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Lundi de pentecôte : la non rémunération du travail est illicite

Publie le vendredi 29 avril 2005 par Open-Publishing
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La journée dite de solidarité
Argumentation juridique

La loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 prévoit que les salariés doivent travailler une journée sans être rémunérés pour financer la « solidarité pour l’autonomie des personnes âgées ». Ce texte, contestable dans son principe, est également contestable dans son contenu juridique.

Ce que dit la loi

Une journée de solidarité est instituée pour le financement des actions de solidarité. Elle prend la forme :

- Pour les employeurs, d’une contribution de 0,3 % sur les rémunérations versées à compter du 1° juillet 2004 : « la contribution solidarité autonomie »,

- Pour les salariés, « d’une journée supplémentaire de travail non rémunéré » (art. L. 212-16 al. 1 C. trav.).

Cependant, la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures n’est
pas modifiée (art. L. 212-1 al. 1 C. trav.).

La liste légale des jours fériés n’est pas modifiée (art. L. 222-1 C. trav., où figure donc toujours le lundi de Pentecôte, férié depuis une loi du 8 mars 1886). Or, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ONU, 1966, ratifié par la France), prévoit « la rémunération des jours fériés » (art. 7,d).

La non rémunération du travail est illicite

Selon l’adage, « tout travail mérite salaire ». Pour la Cgt, « il n’est pas possible d’accepter que les salariés soient contraints à une journée de travail gratuit, quelle qu’en soit la date (le lundi de Pentecôte ou un autre jour), ou la forme (suppression d’un jour férié, diminution des journées de RTT, augmentation de la durée du travail hebdomadaire...) » [bureau confédéral, 4 janvier 2005].

Le fait pour l’Etat français de prévoir une journée de travail non rémunéré est contraire au « droit au salaire », prévu par plusieurs textes de droit international (ratifiés par la France, s’imposant à l’ordre juridique interne, au Code du travail et aux statuts des fonctions publiques) :

- la Convention de l’O.I.T. N° 29 sur le travail forcé (1930), interdit « tout travail exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré (art. 2.1),

- la Convention européenne des droits de l’Homme (Rome, 1950, Protocole n°1 de 1952, art. 1, jurisprudence CEDH), en ce que cette journée prive le travailleur de son salaire et porte donc atteinte à son patrimoine,

- le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966), prévoit « un salaire équitable » (art. 7, a),

- la Charte sociale européenne (Strasbourg, 1996) prévoit le « droit à une rémunération équitable » (partie I, art. 1.4 et partie II, art. 4 ; voir notamment la décision Comité Européen des Droits Sociaux du 11 déc. 2001).

Ces règles de droit peuvent être mobilisées dans le cadre de la négociation collective pour demander le paiement de cette journée (respect du droit international et règle d’ordre public social). A défaut, ces règles pourront être mobilisées dans le cadre contentieux devant le conseil des prud’hommes (qui doit trancher le litige au regard du droit - dont font partie ces instruments
internationaux ratifiés par la France - et pas seulement au regard de la loi ; le CPH devant écarter les règles internes contraires à des règles supranationales).

Les modalités envisagées par la loi

L’Etat « sous-traite » aux « partenaires sociaux » la mise en oeuvre de cette privation de rémunération :

- le choix de la journée est déterminée par voie d’accord collectif (il peut s’agir d’un jour férié précédemment chômé, sauf le 1° mai ; d’un jour de RTT, d’une autre modalité), [si l’employeur s’abstient d’une négociation collective, élément substantiel de la mise en oeuvre, il pourrait être condamné par le T.G.I. à indemniser les syndicats et par le CPH à payer la journée de travail],

- en cas de résistance des organisations syndicales de salariés (et dans les entreprises inorganisées), en cas d’absence d’accord, la journée serait le lundi 16 mai - Pentecôte ; si cette journée était déjà travaillée, l’employeur définit une autre journée, après consultation du C.E. ou à défaut des D.P.

- les accords collectifs prévoyant le chômage du lundi de Pentecôte deviennent inopposables, la loi réduisant directement leur portée,

- les accords collectifs et les contrats de travail fixant des durées annuelles en heures sont modifiés, directement par la loi, les durées étant majorées de sept heures par an (1607 heures annuels, cf. modulation, RTT par jours de repos, temps partiel à l’année ; 218 jours de travail, forfait annuel en jours) ou
proportionnellement à la durée contractuelle (temps partiel modulé).

« En principe », tous les salariés sont concernés. Cependant, les modalités peuvent varier :

- pour les salariés à temps complet, « le travail accompli, dans la limite de sept heures, durant la journée de solidarité ne donne pas lieu à rémunération », et en plus ces heures n’ouvrent pas droit - non plus - au repos compensateur (hebdomadaire, annuel - ces heures étant exclues du contingent annuel d’heures supplémentaires),

- pour les salariés à temps partiel, la durée de sept heures est réduite proportionnellement à la durée contractuelle (7 h x temps partiel/durée contractuelle),

- pour les salariés cadres en forfait annuel en jours, dans la limite d’une journée, le travail ne donne pas lieu à rémunération,

- pour les jeunes de moins de 18 ans (apprentis et jeunes travailleurs), si la journée est fixée dans l’entreprise le lundi de Pentecôte ou un autre jour férié, ils ne doivent pas travailler (art. L. 222-2 et L. 222-4 C. trav., et ne doivent pas subir de baisse de rémunération) ; en revanche, si la journée est fixée un autre jour, ils sont concernés comme les autres salariés,

- pour les salariés qui changent d’employeur et qui ont déjà effectué gratuitement une journée de travail, soit ils travaillent lors de la journée fixée dans l’entreprise et sont alors rémunérés (ils bénéficient de l’ensemble des droits, cf. repos compensateur), soit ils ne travaillent pas cette journée.

En revanche, les salariés non-mensualisés ne subissent pas la loi (cf. aides à domicile, intermittents, intérimaires, saisonniers, etc.), en cas de travail, ils devront être intégralement rémunérés.

Cette loi [qui n’a pas été contestée par les parlementaires de l’opposition devant le Conseil constitutionnel] vise à augmenter la durée réelle du travail, sans rémunération ; elle apparaît comme une incitation pour les entreprises à augmenter la durée du travail, au-delà de la durée légale, sans rémunération supplémentaire. Cette loi apparaît contraire à la sécurité juridique des accords et à la liberté contractuelle et contradictoire avec la volonté affichée de
développer le « dialogue social » (cf. loi Fillon IV du 4 mai 2004).
Elle méconnaît le principe d’égalité des citoyens devant la loi, les
salariés étant les seuls à devoir travailler sans être rémunérés.

Michel Miné,
Conseiller juridique DLAJ.

http://www.lesamisdulundi.com/

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