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M. Barroso s’empare du cas Buttiglione pour sauver la Commission

Publie le jeudi 21 octobre 2004 par Open-Publishing


Arnaud Leparmentier

Le président du collège des commissaires proposera, jeudi, un compromis aux eurodéputés
hostiles à Rocco Buttiglione, après ses propos sur la famille et contre l’homosexualité.
S’il ne se séparera pas du commissaire italien, ses prérogatives seront réduites
ou strictement encadrées.

Sauver sa Commission et son autorité. C’est l’objectif du président de la Commission, l’ancien premier ministre portugais José Manuel Barroso, alors que le Parlement européen menace de ne pas approuver l’investiture du collège des 25 commissaires, le 27 octobre prochain.

L’Italien Rocco Buttiglione, commissaire désigné pour s’occuper de la justice et des affaires intérieures, a mis le feu aux poudres lors de son audition, le 5 octobre, en déclarant que l’homosexualité était un "péché". M. Barroso, qui avait accompli depuis sa nomination, en juin, un sans-faute, n’a pas désamorcé la crise. Elle n’a cessé d’enfler au fur et à mesure que M. Buttiglione, un centriste ancien ministre des affaires européennes de Silvio Berlusconi et ami de Jean-Paul II, réitérait ses propos et qu’il recevait le soutien du Vatican, mais aussi d’éléments plus réactionnaires d’Italie.

Du coup, M. Barroso est désormais en ligne de mire pour avoir, selon l’eurodéputé socialiste français Pierre Moscovici, "méprisé le Parlement".M. Barroso doit proposer jeudi matin un compromis aux présidents des groupes politiques du Parlement. L’enjeu pour le président de la Commission, qui s’appuyait depuis sa nomination sur les chefs d’Etat et de gouvernement, est de ne pas devenir otage des parlementaires. Le chemin est étroit : s’il ne fait rien, il risque d’être élu d’extrême justesse, ce qui le mettra en position de faiblesse face au Parlement, comme le Luxembourgeois Jacques Santer en 1995, voire d’être battu.

"Le statu quo n’est pas une solution", concède l’entourage de M. Barroso. Mais il n’est pas question pour l’instant de sacrifier M. Buttiglione. Ce serait là se mettre à la merci des surenchères du Parlement, qui, après avoir provoqué en 1999 la chute de la Commission Santer, a harcelé le président sortant Romano Prodi.

Au-delà des considérations tactiques, M. Barroso, originaire d’un pays qui interdit l’avortement, ne veut pas que les considérations religieuses ou morales personnelles s’invitent dans le débat européen. Son entourage estime qu’il ne faut pas faire preuve d’intolérance au nom de la tolérance. Même s’il a été plus que maladroit, M. Buttiglione serait victime du politiquement correct, dit-on. Il n’a fait que citer la doctrine officielle de l’Eglise catholique et il n’est pas question de construire l’Europe contre les millions de personnes qui pensent comme lui.

Brisant le silence de mise à Bruxelles, le commissaire sortant, le Tchèque Pavel Telicka, "apprécie que M. Buttiglione ait exprimé son point de vue". Commissaire désigné à l’industrie, l’Allemand Günter Verheugen a également pris la défense de M. Buttiglione. "Chacun a le droit d’avoir son opinion et de vivre sa vie en fonction de certaines valeurs", a-t-il dit.

Plus généralement, l’exécutif européen estime cette querelle avec le Parlement néfaste, alors que l’Europe va devoir approuver la Constitution et entamer les négociations d’adhésion avec la Turquie dans un contexte de méfiance des citoyens vis-à-vis de l’Union, comme l’a montré la faible participation aux élections européennes de juin.

M. Barroso espère résoudre le problème par un compromis tout bruxellois. L’idée est de donner au Parlement la garantie que les principes de respect des minorités, d’égalité des chances et de non-discrimination seront respectés. Le président désigné pourrait s’y engager personnellement, annoncer une directive sur le sujet et promettre de prendre en compte les propositions du Parlement. Il pourrait aussi réaffecter les prérogatives de M. Buttiglione concernant la charte des droits fondamentaux à un autre commissaire, comme celui chargé des affaires sociales. Il existe un précédent : le commissaire conservateur irlandais Padraig Flynn avait été privé, en 1995, d’une partie de ses prérogatives pour avoir tenu des propos conservateurs sur les femmes.

UN PRÉTEXTE POUR S’ABSTENIR

Ces concessions suffiront-elles à récupérer les voix nécessaires au-delà du camp conservateur ? Les libéraux n’ont aucune envie de torpiller un collège au sein duquel ils ont huit commissaires. Une minorité des sociaux-démocrates cherchent un prétexte pour s’abstenir, ce qui permettrait de faire passer M. Barroso. "Le Parlement est prêt à se battre... jusqu’à la première cartouche", plaisante l’eurodéputé UDF Jean-Louis Bourlanges.

Une fois l’étape de l’investiture passée, le président de la Commission retrouvera les coudées franches pour gérer le cas de M. Buttiglione. Mais aujourd’hui un départ du commissaire risquerait d’ouvrir la voie à tous les marchandages, entre partis politiques et gouvernements, et de retarder l’entrée en fonction du collège, prévue le 1er novembre.

Car d’autres commissaires ont été égratignés lors de leurs auditions. La libérale néerlandaise Neelie Kroes a "déçu" le Parlement et siégé dans tant de conseils d’administration qu’elle pourrait connaître de multiples conflits d’intérêt pour gérer le portefeuille de la concurrence. Le socialiste hongrois Laszlo Kovacs n’a pas "convaincu, ni de sa compétence professionnelle dans le domaine de l’énergie, ni de son aptitude à assumer la haute charge pour laquelle il a été proposé", ont estimé les eurodéputés.

Enfin la Verte lettone Ingrida Udre voit son "intégrité" discutée alors qu’elle est mise en cause dans une affaire de financement de parti. Le Parlement a aussi "mis en doute la capacité -de la libérale danoise Mariann Fischer Boel- à défendre avec vigueur et efficacité la politique agricole commune".

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3214,36-383667,0.html