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MAIS BIEN SÛR, M. DEBRAY ! - RÉFLEXIONS SUR HAÏTI
Publie le mardi 15 juin 2004 par Open-Publishing1 commentaire
MAIS BIEN SÛR, M. DEBRAY ! - RÉFLEXIONS SUR HAÏTI
par Mireille Nicolas
4 juin 2004
Mireille Nicolas, l’auteure de cet article, est professeur de lettres et ethnologue. Elle a enseigné dans plusieurs pays et écrit plusieurs livres. Elle a travaillé notamment en Haïti au Lycée Alexandre Dumas de 1988 à 1992. Les éditions Alternatives ont publié en 1994 son ouvrage « JISTIS, murs peints d’Haïti ». A la suite de ce livre, le Président Aristide l’a invitée à travailler pour lui ; ce qu’elle a pu faire pendant quelques mois. Elle écrivait des lettres, des discours.
L’article d’opinion que nous publions est une réponse aux propos tenus le mercredi 21 avril 2004 par Régis Debray sur la radio France Culture.
Comme pour beaucoup de gens de ma génération, le nom de Régis Debray a signifié, à un moment, la lutte contre les puissances d’argent et la recherche d’une vie meilleure dans un ordre international plus juste ; un jeune homme était parti pour l’Amérique du Sud et, de sa rencontre avec Che Guevara, il en était revenu porteur d’un espoir humaniste. Il était donc resté dans ma mémoire comme une preuve de réflexion et d’honnêteté intellectuelle ; aussi quand j’appris qu’il serait à une conférence à la Sorbonne le 23 janvier 2004 sur le problème haïtien, je m’y rendis vite, sûre qu’il nous éclairerait de détails sur la société haïtienne et sur son évolution.
Cela me paraissait d’autant plus nécessaire que le lynchage médiatique contre le président Aristide avait commencé et que je le trouvais excessif, sans aucune réelle analyse de la situation, avec au contraire l’impression qu’on voulait faire porter au président tout ce que son pays avait accumulé depuis deux cents ans d’échecs, d’erreurs et de maux. Trop de nouvelles me paraissaient fausses, trop d’informations prouvaient que les journalistes avaient dû se suffire d’un verre à la terrasse d’un grand hôtel s’ils ne s’étaient pas contentés de bégayer, comme les pseudo-savants que Fontenelle dénonce dans L’Histoire des Oracles, se recopiant les uns les autres au lieu d’aller vérifier ce qu’ils affirmaient.
Je constatai vite à La Sorbonne que j’étais dans un tribunal où on jugeait le président Aristide, absent, et où on le condamnait sans lui avoir fait la grâce d’un avocat. Quand je pus parler à Régis Debray, je comparai cette sorte de mise à mort métaphorique à la fin du roman Le Rouge et le Noir, quand Julien Sorel voit qu’il n’y a dans le prétoire que des ennemis pour le juger, des ennemis de classe sociale. Régis Debray sourit et dit : « Je suis bien obligé de reconnaître avec vous que ce n’est pas dans des salles de conférence qu’on rencontrera des partisans d’Aristide, ni sur des écrans d’Internet »
J’aimai cette phrase car je la compris ainsi : « Ceux qui soutiennent Aristide sont les pauvres des bidonvilles, sont toujours les pauvres les plus pauvres ». Et c’est bien ce que je crois, même si de plus en plus, des voix se font enfin entendre et surtout sur internet.
Oui, cette phrase me fit du bien, car on avait peu avant essayé de me convaincre qu’il n’y avait plus nulle part un seul Titidien [1] ; que Régis Debray reconnaisse à voix haute, dans ce cadre solennel de la Sorbonne, que le problème haïtien relève de la lutte des classes, est, en son fond véritable, une lutte des classes, quelle satisfaction intellectuelle !
Mais pourquoi alors, sur aucun réseau d’informations français n’y a-t-il eu analyse de la société haïtienne ? Si elle avait été faite, on aurait vu qu’en Haïti la violence n’a jamais cessé et que la plus lourde est la misère dans laquelle on a maintenu la grande majorité de ses habitants ; et cette misère, oui, elle est la plus abjecte des violences, car elle est sournoise, imposée par l’oligarchie locale et quelques pays qui avaient intérêt à la cultiver ; si Aristide était vraiment un dictateur, mais il serait toujours en place, Duvalier y est bien resté trente ans, avec l’aval de la France, des USA, du Vatican et bien d’autres !
C’est pourquoi, je viens m’opposer à vous, monsieur Debray, qui, fort de la réputation que vous avez en France, présentez les choses de façon si biaisée : je viens d’écouter, en effet, mercredi 21 avril, en fin d’après-midi, votre interview sur France-Culture ; tout était noyé dans des généralités, vous ne donniez aucun exemple précis, ajoutant ainsi à la désinformation française -je dis bien française , car il n’est que de cliquer sur Internet pour trouver un grand nombre d’articles qui font une étude documentée, référencée du coup d’état contre le président Aristide. Au cas, Régis Debray, où vous n’en connaîtriez aucun, je vous donne le site de l’un de ceux qui m’a paru et le plus clair et le plus complexe : http://risal.collectifs.net/imprimer.php3 ?id_article=879
Mais déjà dans Le Courrier International du 4 au 10 mars 2004, Jeffrey Sachs demandait si de nos jours on apprenait aux journalistes à mentir [2].
Et moi je me dis : quoique vous ne soyez pas journaliste, pourquoi continuer à faire croire que le président Aristide est parti de son plein gré ?
Vous dites, lors de cette interview : « Aristide est parti de son plein gré ; il l’a demandé lui-même aux Américains ; maintenant il se tait, il a toutes raisons de le faire. J’ai vu Aristide à plusieurs reprises. Seul. Je lui ai dit que les choses allaient se passer mal pour lui. J’ai du respect pour ce qu’il a été ; je lui ai proposé de démissionner en restant sur place dans la vie politique ; l’opposition refusait de parler avec lui ; quand je me suis rendu compte qu’il n’était pas crédible, qu’il était couvert d’insultes, je lui ai dit de faire ce qu’Allende aurait dû faire, comme De Gaulle a fait. C’est une précaution que je lui demandais de prendre (...) Aristide, c’est le grand mystère qui résume peut-être toute l’époque. On commence dans la liberté et on finit dans l’oppression. Ce petit prêtre des pauvres a risqué sa vie à Saint Jean Bosco, s’est trouvé ensuite à Washington et a voulu mettre l’argent et la manipulation au service des pauvres. Il est devenu une sorte de Duvalier. »
Ah, vraiment, monsieur Debray, dire de telles phrases, les lancer à tous vents à des auditeurs qui, pour la plupart ne connaissent pas grand-chose d’Haïti ; vous le déploriez vous-même un peu plus tard, en parlant de Napoléon et de sa réhabilitation de l’esclavage. Besoin de retourner en arrière pour ne pas regarder le présent ? On ne connaît pas Haïti en France disiez-vous ; certes, parce que les media n’en parlent pas ou quand ils s’y lancent disent presque tous la même chose puisqu’ils sont dans l’ensemble tous achetés par les mêmes groupes de presse. [3]
« Aristide est parti de son plein gré »...C’est déjà ce que le commandant Raoul Cédras, à qui le président avait donné sa confiance, déclara, en octobre 1991, et avec lui toute une cour, quand huit mois après l’installation démocratique d’Aristide eut lieu contre lui le deuxième coup d’état qui l’a écarté du pouvoir jusqu’en octobre 1994. [4] Le deuxième, car au premier [5], le peuple avait barré la route, courant du haut des mornes jusqu’aux rues de Port-au-Prince pour arrêter la forfaiture. Il n’avait pu agir de même au deuxième ; les putschistes avaient vu les failles de leur système ; le brouillon raté allait être fort utile...
Quelques années après, en 2004, ils ont encore su mieux faire ; d’abord le dénigrement, la médisance systématique, l’avanie continuelle...le reste suivrait...
Et vous, Régis Debray, vous faites partie de la curée. « Maintenant il se tait », dites-vous, « il a toutes raisons de le faire ! »
Mais il ne se tait pas ! Pourquoi n’avez-vous pas dit aux auditeurs qu’il se tait tellement peu qu’il a porté plainte contre vous en France et qu’un avocat le défendra sous peu ? Appelle-t-on « se taire » parce que la télévision ne raconte pas à vingt heures tout ce qu’elle devrait ? Porter clairement plainte contre vous, est-ce se taire, cela ?
Au moment du lynchage médiatique français des mois de janvier et février, j’ai d’abord, moi aussi, cru qu’il se taisait ; et puis j’ai su qu’au Canada, aux USA, les informations étaient variées, qu’il s’y exprimait et que la France, elle, faisait barrage.
Mais pourquoi ? Pourquoi la France, à quelques exceptions près, a-t-elle fait barrage ? Seriez-vous capable, Régis Debray, de me le dire, puisque vous êtes capable d’affirmer qu’Aristide aujourd’hui se tait comme un être honteux qui, par là-même, reconnaîtrait sa culpabilité, qu’il cuve ses erreurs, tapi dans un coin obscur de la planète... « Il a toutes raisons de le faire » ! Et vous, quelles raisons avez-vous d’aller porter vos conseils à Allende dans sa tombe et à Aristide dans celle où beaucoup croient qu’il demeurera, dans celle de l’exil et de la calomnie !
Merci, en tous cas, Régis Debray, d’avoir associé ces deux noms, Allende et Aristide ; ces deux hommes ont bien des points communs, l’illusion d’avoir cru que tout le monde dans leurs pays allaient s’essayer à la démocratie, l’illusion de croire qu’il n’y a rien de plus important en politique que de vouloir changer l’ordre des choses, de détruire le carcan de la misère imposée par des gens souvent si polis, si gentils, si bien élevés, parlant en Haïti ce français si châtié qui vous est allé au cœur, allant si correctement à la messe de certaines églises en Haïti comme au Chili...
Et alors, monsieur Debray, vous avez transformé l’exigence aristidienne de « passer d’une misère abjecte à une pauvreté digne » en cette phrase pitoyable aux sous-entendus sournois : « Je lui ai dit de faire ce qu’Allende aurait dû faire ».
Alors voici, Régis Debray, ce que vous tirez comme bilan de l’expérience chilienne des années 70 : Allende aurait dû se retirer. Il a voulu s’acharner, il a été tué à La Moneda, tant pis pour lui, bien fait !... Mais peut-être que vous, vous diriez, comme les autres, qu’il s’est suicidé à La Moneda ; peut-être qu’il est parti de son plein gré, un suicide c’est un acte de volonté personnelle, peut-être qu’il a demandé lui-même aux Américains s’il pouvait se suicider...Se suicider pour Allende, se taire pour Aristide...A chacun sa forme de démission toute libre !...
Si je vous comprends bien (puisque c’est vous qui avez abordé un parallèle entre ces deux hommes, vous me permettrez bien de le continuer), peut-être fallait-il que l’un et l’autre abdiquent devant leurs oppositions, (ou leur opposition, puisqu’elles se ressemblaient fort.) « L’opposition refusait de parler avec Aristide », dites-vous. C’est quand même quelque chose, ces démocraties où l’opposition refuse de discuter avec son président élu...
Je croyais au contraire que la démocratie c’était la mise en place de la discussion ; mais peut-être que l’opposition d’Aristide ne le savait pas, ça s’apprend très lentement la démocratie quand on a toujours fait la pluie et le beau temps chez soi...Oui, c’est ce que vous pensez qu’Allende aurait dû faire. Et Titid.
Dire : oui, j’ai été démocratiquement élu, s’il y avait un nouveau vote, je serais encore démocratiquement élu, parce que, zut alors, les pauvres, ils sont toujours plus nombreux que les riches, et de plus en plus nombreux, mais, non, finalement, il vaut mieux que je parte puisque ça convient à mon opposition, et surtout en dehors des urnes...
Je me souviens de Santiago du Chili en septembre 1972, Septiembre la primavera...Allende à la Universidad Técnica del Estado le mercredi 30 août 1972.
Aucune censure, journaux, radios, télévisions ; de plus en plus, on lisait pis que pendre contre Allende ; la burguesia avait tout acheté et manifestait et le bruit des casseroles couvrait les meurtres de la CIA afin que démocratiquement, légalement les camionneurs paralysent le pays.
Le pays le plus démocratique de toutes les Amériques ; le plus fiable général de l’armée, Augusto Pinochet, les mains coupés de Victor Jarra, le plus engagé des chanteurs d’une révolution pacifique et démocratique.
Et il aurait fallu, Régis Debray, qu’Allende sache s’en aller pour ne pas obliger burguesia et CIA à couper les mains d’un guitariste et répandre dans le courant du Mapocho tant de cadavres !
Allende et Aristide voulaient la même chose et vous osez dire en ce XXIème siècle de richesses démesurées, d’abîme de misères, de complots multiformes, vous osez dire, pour feindre de lui rendre hommage, en parlant du second : « Ce petit prêtre des pauvres a risqué sa vie à Saint Jean Bosco ».
Permettez-moi d’abord d’expliquer ; parce que c’est en n’expliquant rien que les journalistes, que vous avez d’ailleurs critiqués pour leur manque de professionnalisme, et les conférenciers, biaisent la réalité : « Ce petit prêtre a risqué sa vie à Saint Jean Bosco » ; vous faites référence à un attentat dont Pè Titid a réchappé, un attentat néo-duvaliériste [6] ; d’ailleurs, Régis Debray, je sens que vous auriez probablement beaucoup aimé que Pè Titid retourne à sa cure, même si déjà beaucoup le détestaient ; « C’est un prêtre qui ne prêche pas le pardon », me dit une commerçante ; c’était en octobre 91, il fallait bien sortir malgré le couvre-feu et faire quelques courses, en rasant les murs même à Pétionville... Ah, le Vatican accepterait qu’il redevienne prêtre [7]... Une sorte d’Abbé Pierre, par exemple, dont pourtant la violence est certaine... Ah, comme on l’aimerait alors Titid, on lui apporterait plein de « pèpè » [8] pour ses miséreux... Et Allende, lui, s’il avait accepté de partir, où il aurait bien pu aller ?... Mais oui, le bon docteur des pauvres, lui-même très pauvre puisqu’il ne les fait pas payer... Ah, les vraies valeurs se perdent décidément partout...
Oui, donc le bon petit Pè Titid avait réchappé à l’attentat en 1988... Mais non, ce n’était pas un bon petit prêtre au sens bondieuserie habituelle du mot ; l’eût-il été, rien de bien neuf ne se serait passé...
Mais voici, Régis Debray, que vous continuez : « Ce petit prêtre (...) s’est retrouvé ensuite à Washington et a voulu mettre l’argent et la manipulation au service des pauvres ».
Puisque vous-même, Régis Debray, vous soulignez combien en général la France ne connaît rien d’Haïti, pourquoi n’avez-vous pas rappelé — quelques mots auraient suffi, vous êtes un bon orateur, vous maniez bien les concepts — pourquoi il était à Washington. Etait-ce un voyage d’agrément, les riches en Haïti vont faire leurs courses à Miami ou à New York ; ils y ont même parfois leur docteur et leur coiffeur. Etait-il à un stage politique ? Un cours de démocratie auprès d’un pays qui est sûr d’être la plus grande puissance démocratique ? Pourquoi pas ? Ou un stage à la CIA pour perdre un peu de la naïveté de tout humaniste qu’il soit croyant, agnostique ou athée ? Ou, comme la France est bien plus loin que les Etats-Unis, un séjour d’apprentissage politique, pour être digne des grands roublards manitous du civisme et de ses détournements ? C’est ce que vous sous-entendez ? « Il s’est trouvé ensuite à Washington et a voulu mettre l’argent et la manipulation au service des pauvres ».
Vouloir mettre l’argent au service des pauvres, voici, Régis Debray, une inconvenance qui nuit en général à tout gouvernement ; c’est connu ; dès qu’un gouvernement décide d’être humain, il lui est plus difficile qu’avant de tenir le cap ; de la même façon, il est sûr que Louis XVI était moins coupable que Louis XIV... mais j’extrapole, c’est plus fort que moi, Régis Debray, vous me donnez envie de plaisanter... Je disais donc que vouloir mettre l’argent au service des pauvres, en Haïti, voici bien une inconvenance ; d’ailleurs, vous rejoignez en cela, une fois de plus, une large frange de la société haïtienne ; lors du deuxième coup d’Etat contre Titid en septembre 1991, l’alibi était le Père Lebrun, le collier enflammé ; la vérité s’est faite ensuite : la demande du Président aux patrons d’usine d’augmenter leurs ouvriers de quelques gourdes ; l’oligarchie qu’Aristide s’amusait à appeler les « patripoches » ne la supporta pas. Je repense à une phrase récente dite le 19 mars 2004 à une conférence à l’Institut de géographie à Paris ; Mme B., une Haïtienne de la diaspora, heureuse, malgré ses déclarations démocrates, du coup d’Etat qui venait de renverser Aristide le 29 février, prouva à l’assistance la bonne volonté de la société qui n’allait pas manquer de naître et nous fit remarquer que celle des riches était entière puisqu’ils « avaient accepté de payer les impôts »...
Régis Debray, et si Titid avait appris à Washington que les riches, même là, doivent les impôts... A propos de cette ville-phare, nous n’avons encore dit, ni vous ni moi, pourquoi Aristide était à Washington d’octobre 1991 à octobre 1994. Trois ans. Trois ans, il a mis trois ans pour arriver à reprendre le mandat qui lui avait été volé, malgré tous les grands discours des nations ! Combien de temps mettra-t-il cette fois-ci, Régis Debray, pour finir les deux ans de mandat que vous avez contribué à lui usurper en tenant vos propos outranciers : « Il est devenu une sorte de Duvalier » ?
Une sorte de... Alors Dominique de Villepin serait-il une sorte de Napoléon ? Régis Debray, une sorte de Victor Hugues ? Et les soucougnans des nuits haïtiennes, des sortes de loups-garous et René Depestre, une sorte de Pythie somnolente ? Et les mystères du vaudou, des sortes de mystère du christianisme ? Et les « délivreurs d’Haïti », des sortes d’escadrons de la mort, mitonnés aux petits fusils en Dominicanie, pendant que se mûrissait la situation dans la grande cuisine internationale ?
On n’en finirait pas...
En tous cas, Titid était en exil à Washington parce qu’un coup militaire, comme il y en a tant eu en Amérique latine, lui avait volé la démocratie ; en exil, dans la tanière des loups ? Oui, grâce au soutien du Black Caucus ; le gouvernement fut bien forcé de l’accepter s’il voulait se démarquer de la CIA qui avait signé le putsch.
C’est faux quand on dit que les expériences ne servent pas ; les expériences sont utiles ; et la France et l’Amérique ont exilé Aristide, le président Aristide, à Bangui d’abord ; on avait amené tes ancêtres dans les Amériques, regarde comme on est bon, on te ramène vers l’Afrique...Et ce serait, lui, Aristide, qui a appris la manipulation ! Bel effet de cape, monsieur Debray ! Vous avez redonné une politique haïtienne à la France qui n’en avait plus depuis longtemps ; quand un intellectuel n’oublie pas qu’il doit servir sa nation, quel style !
J’ai bien écouté votre interview sur France-Culture, ce mercredi 21 avril 2004 ; eh bien, vous m’avez déçu ; vous devenez bien sobre ; vous n’avez pas dit qu’Aristide s’était enrichi, vous n’avez pas dit que c’était un gwo nèg narcotrafiquant ; pourtant, ça plaisait, ça, aux Français ! Et la corruption... Les Argentins cherchent à faire entrer Carlos Menem pour le juger à ce sujet ; lui, s’en garde bien ; et vous vous pactisez avec des gens qui, au lieu de juger Aristide, l’évacuent pour ne pas avoir à le faire...Bizarre, bizarre...Non, vous avez été même modéré puisque vous avez continué « C’est un homme très cultivé, Haïti est le dernier pays où on parle français, il ne faut pas le mépriser, ce n’est pas une brute, jusqu’à la fin, il me citait la Bible ; mystique de jour, bandit de nuit ; il n’était pas un pacifiste, il faisait la guerre au nom de la paix ; il avait peu de respect pour ses adversaires ». Alors là, Régis Debray, seriez-vous capable de dire combien il y avait d’opposants politiques en prison ? Non, eh bien parce qu’il n’y en avait pas ! Jean Dominique a été assassiné mais sa femme elle-même n’a pas accusé Titid ; elle lui a reproché de ne pas avoir été capable de trouver l’assassin de son mari... Vous avez opté pour les grandes formules « mystique de jour, bandit de nuit », vous préférez rester dans le vague parce que vous entendez déjà tous les textes qui donnent des faits des versions bien différentes et bien plus riches et nuancées que tout ce que vous avez pu écrire ; alors, puisque vous avez sûrement commencé ces lectures, je vous laisse devant votre ordinateur, puissiez-vous vous en imprégner pour pouvoir un jour nous raconter comment le FMI et la Banque mondiale [9] ont acculé à la faillite la politique du « petit prêtre défroqué », pourquoi lui qui a plus lutté contre la drogue que tous les présidents précédents réunis [10] a échoué devant les diktats américains, pourquoi il a été obligé d’avoir recours aux lobbying américains tant il était acculé par le refus de ce gouvernement à continuer son aide.
Cependant, je ne dirai pas « Se pa fôt li » [11], malgré tout : mais bien sûr, monsieur Debray, vous seriez capable de me traiter de néo-colonialiste.... [12]
NOTES :
[1] Partisan d’Aristide. (ndlr)
[2] Article P.21, Ne pas tomber dans le piège de Washington, de Jeffrey Sachs, Directeur of the Earth Institute de l’université de Columbia et conseiller spécial du secrétaire général de l’ONU. L’auteur dit exactement : « La crise haïtienne est un nouvel exemple de manipulation cynique d’un petit pays pauvre par les Etats-Unis, les journalistes s’abstenant quant à eux de s’intéresser à la vérité. »
[3] Lire Le Canard Enchaîné du mercredi 17-3-04 : Les papivores marchands de canons : La conclusion revient aux Echos(12/3), propriété, il est vrai, du groupe britannique Pearson, qui dresse ce constat : « Aujourd’hui, Dassault partage avec Lagardère la particularité d’être à la fois un grand groupe de presse et un grand groupe d’armement. A eux deux, ils possèdent plus des trois quarts de la presse française. »
[4] Extrait de Mon Journal du Coup d’Etat : Radio Métropole, mercredi 2-10-91, 14h30 : « René Préval dément qu’Aristide ait démissionné de son poste ». C’est en effet ce que la junte affirme, qu’il est parti de son plein gré et qu’il a signé une lettre de démission.
[5] Les 6 et 7 janvier 199I — Aristide ne prendra le pouvoir que le 7 février prochain ! -tentative de coup d’état par Roger Lafontant.
[6] Septembre 1988.
[7] Le Vatican a exclu Aristide de la prêtrise en fin d’année 94.
[8] « Pèpè », vieux vêtements. La friperie est une des grandes activités commerciales d’Haïti.
[9] Il faudrait citer ici de nombreux articles ; je choisis celui de Michel Chossudovsky : La déstabilisation de Haïti : un coup d’état orchestré et financé par les Etats-Unis (http://risal.collectifs.net/imprimer.php3 ?id_article=879), 4-4-2004, 15 pages.
On peut y lire notamment, p.8 : « Dans une logique particulièrement tordue, les salaires effroyablement bas pratiqués à Haïti qui avaient fait partie du cadre de la politique de la « main-d’œuvre bon marché » du FMI et de la Banque mondiale, étaient considérés comme un moyen d’améliorer le niveau de vie. En d’autres termes, les conditions inhumaines des industries d’assemblage (dans un environnement complètement dérégulé) et les conditions de travaux forcés dans les plantations agricoles haïtiennes sont considérées par le FMI comme la clé pour arriver à la prospérité économique ; en raison de « l’attrait exercé sur les investisseurs étrangers ». Le pays était coincé dans la spirale de sa dette extérieure. Par une ironie amère, des mesures d’austérité dans les secteurs sociaux, soutenues par le FMI et la Banque mondiale, furent imposées à un pays qui compte à peine 1,2 médecin pour 10000 habitants et où la grande majorité de la population est illettrée. Les services sociaux de l’Etat, virtuellement inexistants durant la période Duvalier se sont effondrés.
La conséquence des directives du FMI fut que le pouvoir d’achat poursuivit sa dégringolade, laquelle avait également affecté les groupes à revenus moyens. Dans un même temps, les taux d’intérêt avaient atteint des hauteurs astronomiques. Dans les parties Nord et Est du pays, les hausses brutales des prix du carburant s’étaient traduites par une paralysie virtuelle des transports et des services publics, y compris l’eau et l’électricité. Alors qu’une catastrophe humanitaire menace grandement, l’effondrement de l’économie supervisé par le FMI servit à accroître considérablement la popularité de la Plate-Forme démocratique, qui accusa Aristide de « mauvaise gestion économique ». Inutile de dire que les dirigeants de la Plate-Forme démocratique, y compris Andy Apaid, actuel propriétaire des usines aux conditions si déplorables, sont les principaux protagonistes de l’économie des bas salaires. »
[10] Un Haïtien me disait, en mars 2004, que la drogue existe depuis longtemps en Haïti , lors du coup d’état de 1991, drogue et embargo créèrent vingt familles milliardaires de plus. « Elle existe depuis longtemps et pendant la présidence d’Aristide, jamais il ne fut arrêté autant de dealers, les deux frères Kétan, le groupe Guy Philippe qu’on appelait le gang des Equatoriens, ceux-là, il les a tous eus ; mais certains, ce fut impossible ; le gouvernement des USA lui-même a déclaré : « Il nous a donné plein de trafiquants » ; les journalistes ne peuvent dire le contraire ; Aristide devait lutter même autour de lui ; à l’intérieur de la police, évidemment, il y avait beaucoup de complicité ; il fallait constamment vider les gens et en prendre d’autres, car la présidence ayant peu d’argent, la police était peu payée. Une des raisons qui a amené ce dernier coup d’état, c’est justement qu’Aristide ne voulait pas se plier aux volontés américaines concernant la drogue ; elle constitue une source de revenus et la CIA s’en réjouit surtout pour financer des insurrections armées ; l’establishment financier de Wall Street a intérêt à maintenir le trafic de drogue haïtien, tout en mettant en place une narco-démocratie fiable qui protègera les voies d’acheminement depuis la Colombie. ; le remplacement d’Aristide par un individu plus docile a toujours été le désir de l’administration Bush. »
[11] « Se pa fôt li. » Allusion à un article d’André Linard, dans Le Monde Diplomatique de février 2004 : « Trois interprétations circulent. Les uns estiment avoir été dupés par M.Aristide en 1990. D’autres, moins nombreux, pensent que le coup d’Etat qui l’a écarté en 1991, son exil aux Etats-Unis, puis son retour en 1994 l’ont changé. D’autres enfin le voient prisonnier de contraintes : « Se pas fôt li »( « ce n’est pas de sa faute »), dit le langage populaire, renvoyant à l’entourage du président mais aussi à la communité internationale. :[ Note : Haïti subit toujours un embargo de l’aide publique internationale, tant qu’il ne se conforme pas à des résolutions de l’OEA sur la démocratisation. Lire Paul Farmer, Haïti, l’embargo et la typhoïde, Le Monde Diplomatique, juillet 2003.)
[12] Courrier International, N°699, du 25 au 31 mars 2004. Article de Frank Davies, The Miami Herald (extraits) : Quand Aristide faisait du lobbying aux Etats-Unis : « Selon le ministère de la justice américaine, le gouvernement haïtien aurait versé près de cinq millions de dollars à des groupes de pression et à des avocats américains depuis le retour au pouvoir du président Jean-Bertrand Aristide, en 2OOO. Ainsi le cabinet d’avocats Ira Kurzban, de Miami, aurait perçu quelque trois millions de dollars du gouvernement Aristide au cours des trois dernières années. Et certains groupes de pression ont reconnu avoir touché 1,8 million de dollars pour plaider la cause de l’ancien président auprès du gouvernement américain, de certains diplomates étrangers et des medias. Le gouvernement Aristide aurait tenté ( sans aucun succès) d’obtenir par ce biais la reprise de l’aide américaine, suspendue après les élections controversées de l’an 2000.
Haïti n’est certes pas le seul pays à recourir à des groupes de pression pour obtenir un meilleur accès à Washington, explique Robert Maguire, spécialiste de Haïti au Trinity College de Washington, qui estime cependant que ceux-ci feraient mieux de miser sur leurs ambassades : « Ce n’est pas en faisant appel à des gens qui défendent votre affaire moyennant finance que vous augmenterez votre crédibilité ».
Selon les documents officiels, le gouvernement Aristide aurait donné 945227 dollars à des avocats et à des groupes de pression pour les seuls six premiers mois de l’année 2003. A titre de comparaison, son voisin, la République Dominicaine, n’a consacré que 171000 dollars à ces postes.
Autre scandale, l’opposition haïtienne a bénéficié, à l’inverse, de certaines largesses américaines. L’International Republican Institute (IRI), un organisme lié au Parti républicain, aurait financé des séminaires de « création de parti » en République dominicaine et à Miami à l’attentiondesopposantsaurégimed’Aristide. Les fonds nécessaires, 1,2 million de dollars, provenant de l’Agence américaine pour le développement international. Certains démocrates, emmenés par Chris Dodd, sénateur du Connecticut, accusent les membres de l’IRI d’avoir entretenu des liens avec les anciens dictateurs militaires de Haïti, et d’avoir collaboré avec l’opposition pour saper la position d’Aristide.
Pour Robert Maguire et Alex Dupuy, de la Wesleyan University, les liens étroits que le gouvernement américain a réussi à établir avec la Convergence démocratique, un regroupement de divers partis d’opposition haïtiens, ont incité cette dernière à refuser un partage du pouvoir avec Aristide au mois de février, à l’heure où le pays était balayé par une révolte sanglante. « En un sens, les Etats-Unis ont acheté leur allégeance en les dorlotant », explique Maguire. Selon lui, il est possible que l’opposition ait reçu des messages de Washington lui conseillant explicitement de ne pas négocier avec Aristide. »
URL de l’article : http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=992
Messages
1. > MAIS BIEN SÛR, M. DEBRAY ! - RÉFLEXIONS SUR HAÏTI, 16 juin 2004, 12:34
hou, ça pèse combien de mo tout ça ?
Voilà qui va aussi peser (financièremement) dans le budget du site...mais va laisser dormir R. Debray.
Bizarre que cette dame ne connaisse rien de l’évolution de Debray depuis 20 ans..
elle serait moins surprise ! Passer de l’approche du Che à celle de Miterrand, ça laisse
des traces et ça ouvre la voie à tous les retournements de vestes. JM.