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Ma part de révolte d’intermittent

Publie le mardi 16 septembre 2003 par Open-Publishing

Grèves, blocages, prises de parole en public... Réflexions, analyses,
témoignages. Pour comprendre toujours mieux les conséquences du
nouveau protocole d’assurance chômage sur l’avenir de la création.

" Marc François est acteur, metteur en scène. Cet été, il était
invité à lire un texte de Didier-Georges Gabily dans le cadre des
lectures organisées à la Chartreuse, au Festival d’Avignon. Sensible
au mouvement des intermittents, inquiet, très inquiet, quant à
l’avenir de sa profession, il a tenu, à travers ce témoignage, à
contribuer au mouvement de lutte des intermittents.

" J’ai reçu une lettre des ASSEDIC du spectacle disant que je n’ai
travaillé que deux ans et neuf mois de 1992 à 2002. J’ai ri ! Dans
cette absurdité, car pendant ce temps, outre plusieurs apparitions
sur scène en tant qu’acteur et plusieurs stages en tant que
professeur, j’ai mis en scène dix spectacles. Donc un par an. Dans
des théâtres subventionnés. Centres nationaux, scènes nationales.

Avec tournées. Je ne parlerai pas de trois spectacles en plus des dix
que je n’ai pu mettre en scène, faute d’argent. Donc pas salarié. Ces
dix spectacles, sauf deux, avec des troupes importantes d’une
trentaine de personnes que j’ai payées. Déclarées. J’ai travaillé,
recherché chaque fois, chaque année, la production pour les payer. Et
la liste des coproducteurs était souvent très longue. Charges
patronales, sociales, salaires nets, Payés. Salles de répétitions,
ateliers de décors, de costumes, Payés. Évidemment photocopies,
téléphone, poste, papiers, ordinateurs, fax et tatata, Payés.

Toutes
ces recherches de productions, Pas Payées. Recherche encore, choix de
l’équipe, travail avec le scénographe, le costumier, l’éclairagiste,
maquettes, dessins successifs, Pas Payés. Errances, doutes,
curiosité, réflexions, désaccords, accords, documentations, Pas
Payés. Tous les écrits, articles, interviews, interventions dans les
lycées, les universités, conférences, Pas Payés. Pour ce même
travail, un PDG, Payé, Salarié, Défrayé et tutti quanti. Je dis cela
car j’ai reçu aussi une lettre du CARCICAS, c’est-à-dire ma Caisse de
retraite des cadres de l’industrie cinématographique des activités du
spectacle et de l’audiovisuel. Je ne comprends pas d’ailleurs que le
" A " d’audiovisuel ne soit pas inscrit. Tant qu’à faire.

Je suis
donc cadre d’une industrie. Nous sommes donc frères, cher Seillière.
Avis de la population
Nous abusons des ASSEDIC. Nous en profitons. Pour prendre du bon
temps, pour paresser. Pour s’amuser surtout. Être bohème. Avoir aussi
le temps pour aller mal quelquefois. Le comble. En fait, fatigue et
dégoût profonds. Grandissants. Jusqu’à l’écourement. En vomir. Arrêt
donc de la mise en scène. Justement en 2002-2003, Érémiste.

Maintenant, acteur. Pour la télévision. Rôle du coupable d’un épisode
de la PJ. Seulement deux jours de tournage. J’ai calculé qu’il
faudrait que je joue le rôle-titre du coupable dans une vingtaine
d’épisodes pour obtenir les ASSEDIC, et ceci, en neuf mois d’après la
nouvelle loi. Vous verriez ma gueule dans tous les coupables
possibles des séries télévisées. Parlons-en, des coupables. J’allais
oublier. Ce que nous cherchons toujours à oublier. Devoir, chaque
mois, sur la feuille de pointage des ASSEDIC, cocher la dernière
case : N’a pas travaillé. Mensonge obligatoire.

Qui fait désormais
douter de notre parole. Qui plonge, comme un baptême, dans la honte.
Nous plongeons dans les péchés. Baptême à l’envers. Obligation d’être
à l’envers. Plus jamais à l’endroit.

" Au milieu du chemin de notre vie,
Je me retrouvai par une forêt obscure,
Car la voie droite était perdue.
Ah dire ce qu’elle était, est chose dure,
Cette forêt féroce, et âpre, et forte,
Qui ranime la peur dans la pensée ! "

Début de la Divine Comédie de Dante. Que vous avez sûrement dans
votre bibliothèque ? Que je me répète souvent de manière lancinante.
Nous irons au Paradis quand d’autres n’y seront plus. Allons-y et
pourquoi pas ? Soyons chrétiens avec la fameuse parole : " Les
derniers seront les premiers. " Entendez-vous ou ne faites-vous
qu’écouter ? Chrétiens qui nous gouvernent, serrés aux premiers
rangs, à l’Église, photographiés, filmés, aux enterrements des
célébrités, d’hommes politiques, de chefs d’entreprise, d’artistes
aussi, surtout, vous vous y greffez.

Intermittents tous. Alors vous pouvez entendre. Qu’il vaudrait mieux
que l’on ne soit pas les derniers. C’est dangereux pour vous. Salut.
Hypocrites de première. Mes frères. Pécheurs impénitents comme on
dit. À la messe même. Attention, trois petits points, de suspension,
point de salut. "

Marc François