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Marxisme et Ecologie : pour l’ECOSOCIALISME
Publie le lundi 25 septembre 2006 par Open-Publishing3 commentaires
Marxisme et écologie : une rencontre nécessaire mais pas toujours évidente.
par Pierre Eyben
Mis en ligne le 22 septembre 2006
« Ceux qui jettent les salariés comme des Kleenex sont les mêmes qui prennent la planète pour une poubelle. (M. Löwy) »
Marxisme rime malheureusement encore trop pour certains communistes avec productivisme. Or, l’évolution économique de ces dernières années a démontré de façon éclatante que la course au productivisme et à la croissance n’était pas forcément synonyme d’une quelconque amélioration des conditions de vie pour les populations du Sud mais également du Nord. Les indices de mesure du bien-être sont en baisse depuis les années 70 quasi partout sur la planète. Les inégalités s’accroissent et ce sont toujours d’avantage les plus nantis qui ont accès aux ressources. Les luttes pour le contrôle des ressources s’aiguisent au même rythme que celles-ci sont consommées. Cette impasse productiviste est intimement liée au capitalisme mais elle n’a jusqu’ici pas vraiment (voir pas du tout) été prise en compte dans les tentatives d’alternatives au capitalisme.
L’irruption des mouvements écologistes (essentiellement ces 30 dernières années) se base sur une constatation simple : il convient de prendre en compte un nouveau paramètre : la planète. Il y a eu une prise de conscience du fait que nos choix de vie et de consommation ne sont pas sans conséquence sur notre ôte, la Terre, et sans ôte, plus de vie possible. Avec le réchauffement climatique, la pollution de l’air, l’épuisement des ressources fossiles ou la raréfaction de l’eau potable, c’est donc la question de la survie de l’humanité sur cette planète qui est posée. Mais très souvent, le pas qui consiste à lier la démolition de la biosphère et le système économique dans lequel nous (sur)vivons n’est pas franchi par des écologistes qui préfèrent tenter d’aplanir les conséquences des ravages capitalistes plutôt que d’arracher le mal à la racine.
Le but de ce texte assez synthétique est de montrer combien marxisme et écologie sont complémentaires et non opposés pour peu que l’un et l’autre prennent la peine de regarder en face leurs insuffisances et erreurs passées pour franchir certains rubicons idéologiques. Si l’on prend la peine d’y regarder sereinement, on se rend compte en effet que ces courants de pensée se réclament tous deux de valeurs qualitatives : la valeur d’usage, la satisfaction des besoins, l’égalité sociale pour l’un, la sauvegarde de la nature, l’équilibre écologique pour l’autre. Tous deux conçoivent l’économie comme "encastrée" dans l’environnement : social pour l’un, naturel pour l’autre.
Marxisme = productivisme ?
Le communisme dit réalisé, de Staline à Mao en passant par bien d’autres avatars supposés d’inspiration marxistes, a quasi toujours rimé avec productivisme. Il est vrai que l’on pouvait difficilement demander à la Russie du début de 19ième siècle, sortant à peine de la paysannerie d’avoir des préoccupations environnementalistes. Même si une analyse plus fine serait utile, cette logique productiviste a toutefois persisté et est toujours souvent présente dans les expériences actuelles se réclamant du communisme.
Mais ce productivisme est-il intimement lié au modèle économique marxiste de 1848 ? Marx ne pouvait en son siècle présumer des catastrophes majeures que l’hyper-productivisme et l’hyper-consumérisme capitalistes causeraient aujourd’hui [1]. Il a toutefois, au travers de divers textes, exprimé son soucis écologique. Dans Le Capital, il s’inquiétait déjà de l’agriculture intensive et écrivait « Dans l’agriculture moderne, de même que dans l’industrie des villes, l’accroissement de la productivité et le rendement supérieur du travail s’achètent au prix de la destruction et du tarissement de la force de travail. En outre, chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. Plus un pays, les États-Unis du Nord de l’Amérique, par exemple, se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s’accomplit rapidement [...]. La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : La terre et le travailleur » [2] . Il a aussi et avant tout introduit la distinction essentielle entre valeur d’usage et valeur d’échange, distinction qui est la clé pour comprendre tout le mécanisme de marchandisation de l’économie mais est aussi l’essence même de la vraie valeur des objets/marchandises pour un communiste, à savoir leur usage [3]. Ce concept qualitatif est sans doute un des fondements essentiels de toute vision écologique. Les sociétés humaines ont d’abord échangé et fixé la valeur des objets en fonction de l’usage. Aujourd’hui, les publicitaires tentent de nous imposer artificiellement le besoin pour un produit mais leur objectif comme celui des entreprises pour lesquelles ils œuvrent est bien le profit au travers de la plus-value qu’ils peuvent réaliser par la vente de celui-ci et/ou de la quantité vendue.
Certains aspects ont été peu developpés par Marx comme le fait que par sa dynamique expansionniste, le capital met en danger ou détruit les propres conditions de sa survie, à commencer par l’environnement naturel - une possibilité que Marx n’avait pas pris suffisamment en considération [4].
Ecologie = capitalisme ?
Partout en Europe, la plupart des mouvements écologistes ont fait le deuil de toute remise en question fondamentale du système capitaliste et des bases de l’économie de marché, ils font le pari de la possible « canalisation » du capitalisme . Acceptant le déficit de contrôle démocratique de l’activité économique, ils basent également leur action sur une modification des habitudes de la consommation individuelle. Pourtant, au-delà de l’écologie « institutionnalisée » qui a renoncé à toute modification en profondeur de la société, de nombreux mouvements écologistes plus radicaux fleurissent encore. Conscients de l’incompatibilité entre une préservation à long terme de la planète dont nous sommes les ôtes et la recherche à court terme de profit dans une société capitaliste de plus en plus libéralisée (c.-à-d., soyons clairs, non démocratiquement contrôlée), des groupes alter-écologistes se développent. Le mouvement dit « de la décroissance » qui se base sur une affirmation d’une éclatante limpidité « le système de croissance éternelle dans lequel nous vivons est incompatible avec la planète finie sur laquelle nous vivons » mais est encore assez hétéroclite quant à sa traduction politique a jeté un pavé dans la mare qui ne finit pas de créer réactions épidermiques ou prises de conscience dans tout le mouvement altermondialiste. Une société qui refuse le progrès scientifique aurait-elle plus de sens que la notre qui l’intègre (ou plutôt laisse au secteur privé la liberté de le faire) sans prendre le temps de l’assimiler et/ou d’en mesurer les conséquences (OGM contrôlés par Monsanto,...) ? Une société qui remplace les multinationales gérées en bourses par des PME locales gérées de façon aussi inégalitaire par des petits patrons serait-elle un progrès ? Le repli complet sur une économie locale ne serait-il pas sur certains aspects un choix anti-écologique car moins effectif ? L’interprétation dogmatique faite par certains de la « décroissance soutenable » apporte parfois de mauvaises réponses [5] (entre autre en niant certains apports essentiels dus au courant marxiste) mais le concept de décroissance pose de bonnes questions et ouvre souvent des pistes utiles.
Les écologistes se trompent s’ils pensent pouvoir faire l’économie de la critique marxienne du capitalisme : une écologie qui ne se rend pas compte du rapport entre "productivisme capitaliste" [6] et "logique du profit" est vouée à l’échec - ou pire, à la récupération par le système.
Un point de rencontre
Le mode de production et de consommation actuel des pays capitalistes avancés, fondé sur une logique d’accumulation illimitée (du capital, des profits, des marchandises), de gaspillage des ressources, de consommation ostentatoire, et de destruction accélérée de l’environnement, n’est pas viable à moyen terme. Il peut encore moins être étendu à l’ensemble de la planète, sous peine de crise écologique majeure, et est donc intimement lié au maintien (et dans les faits au renforcement) des inégalités. Selon des calculs récents, si l’on généralisait à l’ensemble de la population mondiale la consommation moyenne d’énergie des USA, les réserves connues de pétrole seraient épuisées en dix neuf jours [7].
Une économie démocratiquement planifiée avec décentralisation (partout où cela est possible et utile) est la voie à suivre. Il n’existe pas au sein de la société capitaliste d’alternative écologique conséquente [8] . La planification permet de produire en fonction de besoins réels et des ressources disponibles et non en supposant que par un miracle que seul les économistes peuvent comprendre (et encore, pas tous) la loi de l’offre et de la demande suffiront à réguler correctement la production. La décentralisation permet de coller aux réalités locales. Les systèmes centralisés rigides outre la mort de toute démocratie réelle, ont souvent conduit à des erreurs catastrophiques (surproductions ou pénuries graves). Les limites de la décentralisation sont uniquement la nécessaire solidarité entre tous et la nécessité de gérer certains aspects à plus grande échelle (comme par exemple les transports en commun). La question de la propriété des ressources épuisables (minerais, fossiles,...) et des éléments essentiels à la vie (eau, air,...) demeure essentielle, tout comme celle de la propriété des moyens de production. Que ce soient une collectivisation au niveau local, national ou mondial, cette question de la propriété des ressources mondiales et des moyens de production est primordiale car elle est la base même de l’exploitation du Sud par le Nord comme des plus précaires au sein de tous les pays de la planète. La question de l’Etat est également centrale. L’Etat aujourd’hui abandonne ses fonctions de redistribution et augmente celles de répression alors même que cet Etat répressif devrait selon Marx et Engels disparaitre.
L’avenir est donc à ce que James O’Connor définit comme l’éco-socialisme, à savoir les théories et les mouvements qui aspirent à subordonner la valeur d’échange à la valeur d’usage, en organisant la production en fonction des besoins sociaux et des exigences de la protection de l’environnement. Leur but, un socialisme écologique, serait une société écologiquement rationnelle fondée sur le contrôle démocratique, l’égalité sociale, et la prédominance de la valeur d’usage [9] . En somme, il s’agit de réimbriquer l’économique dans l’écologique, et l’écologique dans le social, c’est-à-dire dans les conflits entre classes.
p_eyben@no-log.org
Source :
[1] Le système capitaliste actuel ne (sur)vit qu’au travers d’une croissance aussi artificielle que ravageuse. Les ressources non renouvelable (charbon, pétrole, gaz, minerais) sont consommées à une vitesse toujours plus grande et la pénurie n’est plus un lointain spectre mais le lot direct des générations qui nous suivront
[2] K. Marx, Le Capital, livre premier, T. II, éd. sociales, Paris, 1973, p. 181-82.
[3] K. Marx, Le Capital, livre troisième, T. III, éd. sociales, Paris, 1974, p. 199.
[4] J. O’Connor, "La seconde contradiction du capitalisme : causes et conséquences", Actuel Marx n° 12. "L’écologie, ce matérialisme historique", Paris, 1992, pp. 30, 36
[5] M. Nejszaten, " La décroissance simpliste", http://www.acontrecourant.be/903.html
[6] Qu’il soit marxiste ou pas, le mouvement ouvrier traditionnel en Europe - syndicats, partis sociaux-démocrates et communistes - reste encore profondément marqué par l’idéologie du "progrès" et par le productivisme, allant même, dans certains cas, à défendre, sans se poser trop de questions, l’énergie nucléaire ou l’industrie automobile
[7] M.Mies, "Liberacion del consumo o politizacion de la vida cotidiana", Mentras Tanto, n° 48, Barcelone, 1992, p. 73.
[8] La micro-rationalité des actionnaires, le profit à court terme qui l’oriente, est incompatible avec la macro-rationalité écologique, le principe de précaution, la préservation des écosystèmes, le souci des générations futures.
[9] J. O’Connor, Natural Causes. Essays in Ecological Marxism, New York, The Guilford Press, 1998, pp. 278, 331.
site : www.mouvements.be
Messages
1. > Marxisme et Ecologie : pour l’ECOSOCIALISME, 25 septembre 2006, 15:55
Dans cette direction, j’aime bien le petit texte ci-dessous, qui résume bien les choses, à mon sens :
<>
Je crois qu’il est tiré d’une introduction aux textes "Environnement" du dernier congrès de la IVème internationale (pas sûr).
OC
1. > Marxisme et Ecologie : pour l’ECOSOCIALISME, 25 septembre 2006, 15:57
Oups, pb technique ? Voilà le texte (enfin, j’espère...)
"Une réorganisation d’ensemble du mode de production et de consommation est nécessaire, fondée sur des critères extérieurs au marché capitaliste : les besoins réels de la population et la sauvegarde de l’environnement. En d’autres termes, une économie de transition au socialisme fondée sur le choix démocratique des priorités et des investissements par la population elle-même — et non par les « lois du marché » ou par un Politburo omniscient. Une économie planifiée, capable de surmonter durablement les tensions entre satisfaction des besoins sociaux et impératifs écologiques. Une transition conduisant à un mode de vie alternatif, à une civilisation nouvelle, au-delà du règne de l’argent, des habitudes de consommation artificiellement induites par la publicité, et de la production à l’infini de marchandises nuisibles à l’environnement."
2. > Marxisme et Ecologie : pour l’ECOSOCIALISME, 23 janvier 2007, 18:52
Oui. Du coup l’écosocialisme n’est pas l’écosociétalisme sorte de béquille du capital et nouvel avatar du néosolidarisme. CD