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Maurice Papon, la légion du déshonneur
Joelle Meskens, Paris, le temps (quot suisse)
Lundi 19 février 2007
Le mépris, par-delà la mort. Toute sa vie, Maurice Papon a nié sa culpabilité. Repoussant même, à la veille de son procès et plein de morgue, les photos d’enfants juifs déportés.
Il s’est éteint samedi, mais la provocation l’accompagnera jusqu’à la tombe. Son avocat, Francis Vuillemin, a fait savoir ce week-end qu’il serait inhumé avec la Légion d’honneur. Une distinction qu’il n’avait pourtant - bien sûr - plus le droit de porter.
L’homme qui s’est éteint, libre, samedi dans la banlieue parisienne d’un arrêt cardiaque à 96 ans restera comme le symbole de la collaboration. Jamais avant lui un haut fonctionnaire de Vichy n’avait été jugé. Bien malgré lui, il aura permis à la France de regarder enfin son passé en face.
Le procès à l’issue duquel il avait été condamné en 1998 à 10 ans de réclusion pour complicité de crimes contre l’humanité restera un procès pour l’Histoire. Trois ans après que Jacques Chirac, dans un remarquable discours, eut reconnu la responsabilité de l’Etat français sous le régime de Vichy.
Que se serait-il passé si des rescapés de l’Holocauste n’avaient pas cherché avec obstination et des années durant à connaître la vérité ? Maurice Papon aurait sans doute eu droit à l’élogieuse épitaphe qui sied aux brillants fonctionnaires.
Mais en 1981, grâce à l’acharnement de Michel Slitinsky, dont la famille a été déportée, Le Canard enchaîné révèle la double identité de cet ex-ministre gaulliste qui avait géré le Budget sous Giscard, en 1978, et qui avait été le trésorier du parti gaulliste.
Celui qui n’avait de cesse de se présenter comme le serviteur de l’Etat, qui usurpait même une réputation de résistant, avait été le secrétaire général de la préfecture de la Gironde, en 1942.
Dans cette région bordelaise où plus de 1600 Juifs furent raflés. Il avait même été félicité par les nazis pour sa coopération... « Un homme prompt et sûr », disaient-ils de lui. Une note, écrite de sa main, le résume encore : « Il y a lieu de suivre les ordres des SS. »
La procédure mettra seize ans avant d’aboutir. Seize ans avant que s’organise devant la Cour d’assises de Bordeaux le long défilé des témoins de l’indicible.
Jamais, pas une fois devant ces familles venues dire à la barre la douleur de n’avoir pas revu leurs proches, il n’exprime de regrets ni ne dit même un mot de compassion.
« Maurice Papon a toujours opposé à nos efforts sa morgue de haut fonctionnaire au-dessus des lois », se souvient Gérard Boulanger, avocat des parties civiles. « Il était méprisant avec les parties civiles mais respectueux à l’égard du président de la Cour d’assises et de l’avocat général, qui faisaient partie du même monde que lui. » Pire : durant ces six mois de procès, il ne pleure que sur lui-même, obtenant de pouvoir comparaître libre pour raison de santé. Jusqu’au moment de l’examen de son pourvoi en cassation, il se défausse. Il prend alors la fuite en Suisse. Il y sera arrêté en 1999 (voir encadré), puis expulsé vers la France et incarcéré. Avant, finalement, d’être libéré, trois ans plus tard, pour raison de santé encore. « Maurice Papon a bénéficié d’une loi généreuse et juste, alors qu’il n’en était pas vraiment digne », souligne Bernard Kouchner, l’auteur de la loi sur le droit des malades qui avait permis sa remise en liberté. « Sa mort est anecdotique », a réagi ce week-end, Arno Klarsfeld, avocat des parties civiles. « Seule compte sa condamnation. »
A l’heure où disparaît leur bourreau, des familles de victimes regrettent que d’autres Maurice Papon n’aient pas été condamnés. Avant lui, seul un nazi (Klaus Barbie, ancien chef de la Gestapo lyonnaise, condamné à vie) et un milicien (Paul Touvier, condamné à perpétuité) avaient été jugés. René Bousquet, secrétaire général de la police sous Vichy, avait quant à lui été assassiné par un déséquilibré.
Mais Maurice Papon n’emportera pas seulement dans sa tombe les secrets de la collaboration. Sa mort renvoie aussi à d’autres pages sombres de l’Histoire française.
En 1961, alors que personne encore ne s’interroge sur son passé, il est préfet de Paris quand, en pleine guerre d’Algérie, une manifestation à l’appel du FLN tourne au drame. Plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines, de manifestants - les historiens divergent - meurent noyés dans la Seine. C’est lui encore qui, un an plus tard, est toujours aux commandes de la police quand neuf manifestants anti-OAS trouvent la mort au métro Charonne.
Des années après ses crimes, Maurice Papon inspire encore autant de gêne que de haine. Dans un pays où la repentance elle-même fait polémique, peu de politiques ont réagi à son décès.
Et la discrétion prévaut pour ses obsèques, par crainte de manifestations.
Arrêté à Gstaad et expulsé de Suisse
Le Temps
Tentant par tous les moyens d’échapper à la justice française, Maurice Papon avait choisi la fuite en Suisse fin 1999. Mais l’ancien collaborateur du régime de Vichy s’était rapidement fait arrêter à Gstaad puis expulser vers la France, sans possibilité de retour en Suisse.
Le 20 octobre 1999, alors qu’il devait comparaître devant la Cour de cassation à Paris, Maurice Papon avait soudain fait savoir par communiqué qu’il avait choisi « l’exil ». Et ce, alors que la Cour parisienne devait statuer sur son recours contre une peine de 10 ans de prison pour son rôle dans la déportation de juifs sous l’occupation nazie.
Or, l’ancien secrétaire général de la préfecture de Bordeaux se trouvait en fait en Suisse depuis le 11 octobre déjà, dans un hôtel de Martigny en Valais, où il séjourna cinq jours, avant de gagner Gstaad, dans l’Oberland bernois. Repéré par la police française, Maurice Papon sera arrêté dans la station au soir du 21 octobre au Posthotel Rössli.
Durant son arrestation, l’ancien fonctionnaire du régime de Vichy fait une crise de tachycardie, ce qui lui vaut d’être hospitalisé à Berne. Placé en observation durant plusieurs heures, Maurice Papon sera finalement expulsé par hélicoptère vers Pontarlier, d’où il est transféré à l’hôpital de la prison de Fresnes.
Son expulsion avait été décidée in extremis lors d’une réunion extraordinaire du Conseil fédéral le 22 octobre, soit au lendemain même de son arrestation.
Expulsé, Maurice Papon n’aura plus le droit de revenir en Suisse. Et la conseillère fédérale Ruth Metzler déclarera à cette occasion : la Suisse ne veut pas « servir d’abri à une personne condamnée pour crime contre l’humanité ».