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Messe, mensonges et vidéo

Publie le mercredi 28 janvier 2004 par Open-Publishing

La cassette avec le chef il y a 10 ans, les citations de
ses œuvres, son hymne, les larmes sur son discours. Le dixième anniversaire de
Forza Italia a été célébré comme un rite sacré, avec Berlusconi prêtre et saint.


ROME

Ok, nous nous voyons à l’intérieur. Ciao". La jeune fille éteint le portable
et se hâte vers l’entrée principale du Palais des Congrès. "Cela fait tellement
plaisir quand il y a un prêtre de Forza Italia - sourit-elle, en s’adressant à son
interlocuteur - Chez nous les prêtres sont presque tous de gauche...". Nous chercherons
en vain à l’intérieur, dans la foule des 4000, le prêtre anonyme dont parlait
la fille enthousiaste. La messe, au contraire, était là toute entière, du début à la
fin de la journée de la grande célébration des dix ans de Forza Italia. Une messe
annoncée, sur les notes obsessionnelles du refrain de l’hymne, qui à l’intérieur
et à l’extérieur du Palais des Congrès assourdissent l’assistance et préparent
l’arrivée du protagoniste de l’évènement. Ferdinando Adornato (député de Forza
Italia : NdT) l’avait dit au Corriere della Sera : "Oui aux symboles sacrés, mais
nous ne sommes pas les enfants de chœur du chef". Et la moitié de son affirmation
s’est avérée.

Elles sont coiffées comme pour la messe dominicale les dames enthousiastes qui
dès les premières heures du matin ont pris les places assises ("Je n’en peux
plus, je suis partie de Pise à 5h30..." : s’il n’y avait pas le drapeau, elle
pourrait être venue à Rome pour une manifestation du Spi) (Syndicat Italien des
Retraités, adhérent à la CGIL : NdT). Elles sont prêtes pour la messe solennelle,
ces dames avec des fourrures et des bijoux, arrivées trop tard pour trouver de
la place - peut-être s’agit-il d’une coïncidence, mais selon notre mini sondage
les dames enveloppées dans un manteau de fourrure sont toutes des cadres du parti
et des "gouvernements" locaux, une conseillère municipale par ci, une maire par
là. Les jeunes sont très peu nombreux et bien habillés.

Les hommes sont plus désinvoltes, comme plus mélangés, le complet berlusconien à veston
croisé est une chose rare, les doudounes dominent ; quelques uns, comme dans toutes
les églises, ne sont venus que pour accompagner leur femme :" Pensez-vous, je
suis à An, c’est elle qui est à Forza Italia". "Elle", florentine et berlusconienne
de la première heure, s’est perchée sur un petit escalier en enjambant un passage
interdit pour voir une tranche du podium où dans une petite demi heure il apparaîtra,
lui, le président.

Mais ce n’est pas que cela qui fait du samedi romain au Palais des Congrès un
rite sacré. Et pas même la scénographie, somme toute modeste par rapport aux
fastes berlusconiens de jadis : une quantité démesurée de drapeaux du parti - le
matin on les vendait dehors pour dix euros pièce, en journée le prix est monté à 15
(c’est la faute à l’euro, on le sait), quelques tricolores, des banderoles et
des affiches où n’est écrit presque toujours que le lieu de provenance, souvent
un quartier, une petite ville, sinon un village ou un cercle ; un podium blanc
avec toujours la même toile de fond bleue : un gigantesque écran vertical qui
débite des cassettes vidéo et des images du parterre, qui agrandit le visage
de l’orateur. Non, le rite est tout dans la mise en scène, dans le rythme étudié pour
préparer l’entrée du chef : l’hymne, le récit du credo, les citations des textes
sacrés, jusqu’à l’arrivée de l’incarnation du bien, à son discours et à cette
conclusion : "Nous allons gagner, l’amour l’emportera contre la haine"...

La musique et le credo

A 10h45 le refrain de l’hymne résonne depuis un moment. A 11h10 il est en train
d’arriver. Des femmes très fraîchement coiffées chantonnent. "Excusez-moi, mais
cette chanson n’a pas de couplets ? Les connaissez-vous" ? "Oui, bien sûr que nous
les connaissons". Ce sont de très belles paroles ". Mais les dames - une conseillère
d’arrondissement de Rome et une dirigeante de Azzurro Donna (organisation des
femmes de Forza Italia : NdT) - ne s’en souviennent pas sur le moment. Fratelli
d’Italia (hymne national : NdT) démarre et tout le monde s’envole dans un chant
libérateur (au moins on change de musique). Silence. Forza Italia (hymne du parti :
NdT) redémarre, cette fois à partir du premier couplet et en haussant le volume.
Nous y sommes. Il arrive.

Il y en a qui lèvent leur téléphone portable vidéo, font un clic et envoient
des mms aux amis. La présentatrice monte sur le podium, c’est la ministre déléguée à la
Parité et à l’Egalité Professionnelle et tout le monde s’attend à ce qu’elle
soit là pour "lancer" Berlusconi. Pensez-vous ! Elle met en route la cassette
vidéo de ’94, celle du discours de la descente dans l’arène. Un quart d’heure,
souligné par des applaudissements et par des cris d’encouragement, surtout quand
on accuse de quelque chose les communistes ; certains s’y perdent : "Mais est-ce
que c’est le vieux ou le nouveau discours ?

La cassette vidéo s’estompe et l’aide présentatrice de la Parité et de l’Egalité Professionnelle
revient et, après un salut du très sobre coordinateur Bondi ("Aujourd’hui Forza
Italia se donne du corps et de la substance"), elle appelle sur le podium trois
garçons et trois filles, trois costumes gris et trois petits tailleurs noirs,
mi-chemin entre des enfants de chœur et des assistants de salle dans les meetings.
Il sont là pour réciter le "credo laïque" : "Nous croyons à la liberté, dans toutes
ses formes, multiples et vitales". "Nous croyons à la famille, noyau fondateur
de la société". "Nous croyons", etc. etc. A tour de rôle, ils récitent avec passion :
six voix pour un "credo". Deux autres tours après, les garçons lisent des passages
de discours du leader qui, cadré pendant qu’on le cite, s’émeut et fait s’émouvoir.
Et quand enfin c’est à lui, le podium est déjà transformé en un autel, duquel
tombe comme une bénédiction sur la foule la citation du père Baget Bozzo (dirigeant
de Forza Italia : NdT) : "C’est alors que je commençai à considérer Berlusconi
comme un évènement spirituel".

Le leader, le guru, le prêcheur du groupe réuni au Palais des Congrès ne déçoit
pas. Son monde repousse un peu gêné les questions des chroniqueurs étrangers
autour du lifting : "Il était beau même avant". Il soulignent par des applaudissements
bruyants chaque passage - et il sont nombreux - contre les juges et les communistes
et contre les juges communistes. Mais ils s’enthousiasment aussi quand on passe à la "politique étrangère" et
qu’on parle de ces diplomates inutiles qui ne vendent pas nos produits à l’étranger ;
ils s’écorchent les mains en applaudissant toute allusion fiscale, sur l’Irap
(Impôt régional sur les activités productives : NdT) le Palais des Congrès croule
quasiment sous les applaudissements ; ils s’esclaffent quand apparaît sur l’écran
géant le visage rubicond de Bondi à mains jointes comme s’il était en train de
prier ; ils apprécient les allusions continuelles aux bénéfices pour les classes
moins favorisées (la plupart traversent de mauvaises passes, le grand prêcheur
le sait et parle des pensions minimums plutôt que de l’Irpeg (Impôt sur le revenu
des personnes juridiques : NdT) ; à la fin ils savent lever les drapeaux en silence
quand arrive l’hommage aux morts de Nassiriya (ville irakienne où un groupe de
carabiniers du contingent italien a été tué par la guérilla : NdT) et à Marco
Biagi (conseiller du gouvernement pour la réforme des retraites, victime d’un
attentat à Bologne : NdT) (le régisseur encadre Pisanu (ministre de l’intérieur :
NdT), Scajola (ministre de l’intérieur en juillet 2001, pendant le G8 à Gênes :
NdT) est là mais à ce moment précis on le voit pas). Il sont vrais, beaucoup
plus que leur chef lifté, qui touche toutes leurs cordes une par une. En disant
un tas de choses grossièrement fausses.

Des bobards exorbitants

Nous en dressons la liste, dans l’ordre dans lequel il les a dits et où les siens
les ont applaudis. En appréciant surtout les chiffres, parce qu’un mensonge accompagné de
gros chiffres semble presque toujours vrai. Et l’exagération est dans l’air, à la
fin du samedi berlusconien. La crise de la Bourse après le 11 septembre a été grave,
plus grave "maintenant nous pouvons le dire" que celle de ’29. Nous avons hérité de
la troisième dette publique du monde. Nous avons géré "la plus grave crise économique
de l’après-guerre". Le taux de chômage a baissé de 12 à 8,5% (en effet ceci est
vrai, au moins en théorie, si ce n’est que le taux de chômage était de 12% en
’95 et en 2001 déjà de 9,4%).
L’impôt sur les successions qui a été éliminé pesait surtout sur les moyens et
petits patrimoines (ceux qui sont au- dessus de 181.000 euros, lui il les considère
petits).

Les délits dans la rue ont diminué de 40%. Et ainsi de suite, jusqu’à l’amour
qui l’emporte sur la haine. Heureusement il ne conclue pas par la vérité qui
triomphe.
Hors programme, il y a le temps pour un petit bain de foule - avec les gorilles
très inquiets - et après c’est la course des manifestants vers les voitures,
les cars et les charters. "J’ai chanté, je me suis égosillée, j’ai applaudi",
raconte la fan aux cheveux gris en pliant le drapeau dans le coffre. Le courageux
colporteur de "La Repubblica" s’en va lui aussi, avec son paquet de journaux
intact : "Je n’ai vendu qu’un seul exemplaire. Le mien".

par ROBERTA CARLINI

Publié par "Il Manifesto" du 25 janvier 2004

Traduit de l’italien par MC et G.R.

28.01.2004
Collectif Bellaciao