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Mordechaï Vanunu sort de prison, "fier et heureux"

Publie le samedi 24 avril 2004 par Open-Publishing

ASHKELON, Israël - Mordechaï Vanunu est sorti de prison mercredi "fier et heureux", en assumant pleinement, après 18 années de réclusion, d’avoir levé le voile sur l’arsenal nucléaire israélien.

Héros pour les uns, traître pour les autres, cet ancien technicien du nucléaire âgé de 49 ans a franchi les portes de la prison de haute sécurité de Shikma, près d’Ashkelon, en faisant le "V" de la victoire, salué par une foule de militants pacifistes et hué par un même nombre de contre-manifestants.

"Israël n’a pas besoin d’armes nucléaires, d’autant plus que tout le Proche-Orient est maintenant libéré des armes nucléaires", a-t-il dit, les cheveux grisonnants et le regard déterminé, aux micros des journalistes.

Il a réclamé l’ouverture de la centrale atomique de Dimona, dans le désert du Néguev, celle-là même dont il confia les secrets au Sunday Times en 1986, aux inspections internationales.

Vanunu a refusé de répondre en hébreu lors de sa conférence de presse impromptue retransmise en direct à la télévision d’Etat, affirmant sa volonté de protester contre l’interdiction qui lui est faite d’avoir des contacts avec des étrangers.

Il s’est aussi plaint d’avoir fait l’objet de "traitements barbares et cruels" de la part des services de sécurité israéliens.

Le ministre de la Justice, Yosef Lapid, a réfuté ces accusations de mauvais traitements, rappelant que d’autres pays comme les Etats-Unis avaient par le passé exécuté leurs espions. "C’est le traitement qu’il méritait, même si la gauche radicale en a fait un héros", a ajouté le ministre au micro de la radio militaire. "Il a trahi Israël".

Le ministre a menacé Vanunu de le renvoyer derrière les barreaux s’il contrevenait aux conditions mises à sa remise en liberté.

Les indiscrétions de Vanunu sur l’installation ultra-secrète située dans le désert du sud d’Israël avaient amené des experts indépendants à en déduire que l’Etat juif était en possession de 100 à 200 ogives atomiques.

Tout en dénonçant un traitement "cruel et barbare" à son égard de la part des services de sécurité israéliens, Vanunu a souligné qu’il n’avait plus rien à divulguer aujourd’hui.

Mais les autorités l’ont soumis à un grand nombre de restrictions de crainte qu’il ne révèle davantage de secrets d’Etat. "Les connaissances de Vanunu sont très étendues, beaucoup plus que ce qu’il a confié au Sunday Times ou ce qu’il nous a dit pendant son interrogatoire", déclare un responsable de la sécurité au quotidien Yedioth Ahronoth.

D’après le journal, 87 cartons de documents dans lesquels Vanunu détaille la production d’armes nucléaires israélienne "jusqu’au dernier écrou" ont été confisqués avant sa libération.

RESTRICTIONS

Vanunu a interdiction de quitter le pays pendant une période d’un an. Il n’aura pas le droit d’approcher les aéroports, ports ou postes frontaliers et n’aura, pendant six mois, pas le droit de parler à des ressortissants étrangers sans en avoir au préalable informé les forces de sécurité.

Il sera placé sous surveillance dans une résidence cossue du quartier de Jaffa, dans le sud de Tel Aviv, près d’une église où ce Juif né au Maroc et converti au christianisme pourra pratiquer sa religion.

Son premier acte, quelques heures après avoir quitté sa cellule, a été de se rendre dans l’église anglicane St George de Jérusalem pour "remercier" Dieu et ses amis.

Le ministère de la Défense a déclaré que ces restrictions, qui pourront être levées au bout d’un an en cas de "bonne conduite", étaient nécessaires en raison du "danger tangible" constitué par l’hypothèse de nouvelles révélations.

Mais le frère de l’ancien captif dit craindre pour sa sécurité, surtout après la diffusion dans la presse d’une conversation enregistrée sur vidéo qu’il a eue récemment avec des agents du Shin Bet (sécurité intérieure) à propos de ses projets d’homme libre.

Désobligeantes pour Israël, les déclarations de Vanunu, renié par ses propres parents mais "adopté" par un couple de militants américains en 1997, ne sont guère de nature à lui valoir le pardon et l’oubli des Israéliens.

Dans l’enregistrement, Vanunu met en cause la légitimité de l’Etat juif et qualifie le judaïsme de "religion arriérée". Sur Dimona, Vanunu déclare : "Tout comme on a détruit le réacteur irakien (lors d’un raid aérien de Tsahal en 1981), je veux qu’on détruise le réacteur israélien. Je défends le monde arabe."

Vanunu, soutenu par les pacifistes, plusieurs fois cité pour le prix Nobel de la paix, n’a pas caché qu’il préférerait vivre désormais à l’étranger.

AMBIGU�TE

Mordechaï Vanunu a travaillé de 1976 à 1985 dans la centrale de Dimona, avant d’en être licencié. Peu après, il est parti à l’étranger où il confié au Sunday Times des photographies prises clandestinement et des détails de fonctionnement du réacteur.

Le Mossad (services d’espionnage israéliens) a alors, avec le concours d’une femme agent nommée "Cindy", attiré Vanunu de Londres à Rome pour l’enlever et le ramener en Israël à bord d’un yacht. Son procès s’est déroulé à huis clos et il a passé onze années de réclusion à l’isolement.

Ses révélations ont mis à mal la politique d’ambiguïté observée officiellement par Israël dans le domaine nucléaire qui vise à la dissuasion régionale tout en voulant éviter une course aux armements. Elles ont également contredit l’engagement pris, par la bouche de Shimon Peres, alors architecte du programme nucléaire israélien, en 1964, de ne pas devenir le premier pays à introduire des armes atomiques au Proche-Orient.