Accueil > NÉPAL : L’ADIEU AU PEUPLE EN ARME
La fin d’une révolution sous tutelle coloniale
« Les peuples qui font les révolutions à moitié creusent leurs tombeaux » Saint-Just
Le 18 janvier 2007, à Shaktipur, Chitwan, Nawalparasi, les bataillons de l’Armée populaire de libération déposaient leurs armes devant 111 Gurkhas, extraits de régiments britanniques.
Rien de glorieux à cette reddition qui s’accompagne du recensement et du fichage des miliciens communistes.
La scène diffusée sur les télés indiennes ressemble aux redditions de bandits, orchestrées, de temps à autre au Bihâr, par le gouvernement indien.
« Il ne s’agit pas d’un abandon des arsenaux, mais de leur emmagasinage dans des conteneurs des nations unies » tente d’expliquer, en vain, un cadre du parti.
Difficile d’enseigner aux masses les raisons de cette débandade de l’armée rouge.
Le général Jan Erik Wilhemlsen, bras droit de Ian Martin, représentant l’ONU au Népal et commandant du Gurkha Interim Special Task Force réserverait les clefs de ces conteneurs aux commissaires politiques.
Nul ne sait si cela a suscité des débats au sein d’un parti qui exigeait la fermeture des centres de recrutement Gurkha, tenu par des officiers britanniques.
Le 19 janvier 2007, le politburo dissolvait les gouvernements du peuple.
Pourquoi « cette mort subite », une telle capitulation alors que le Parti maoïste prétendait contrôler 80 pour cent du territoire ?
Comment dès lors empêcher les compagnies étrangères, la Texaco, l’ONGC (1), par exemple, de faire main basse sur les ressources naturelles et de recruter du personnel ?
Car la première conséquence de ce démantèlement est de transformer les militants orphelins en soldat de fortune.
Des « chaosbaadi »(2) prêts à s’embaucher chez l’ennemi pour un salaire de misère.
RAISON D’UNE TRAHISON
L’adieu aux armes, la dissolution des Comités populaires respecte l’esprit d’un traité (Comprehensive Peace Agreement), signé le 21 novembre 2006, avec le Premier ministre Girija Prasad Koirala, âgé de 85 ans.
Le vieil homme est surnommé, à Nepalgang, « le fantôme de la liberté »...
« On a connu des bolcheviks plus tenaces et moins soucieux de la parole donnée aux bourgeois et aux moribonds » murmurent les vrais communistes à Katmandou.
Ce jour-là au moment où des maoïstes subalternes ratifiaient le CPA, le président chinois Hu Jin Tao rencontrait, à New Delhi, son homologue indien, le docteur Manmohan Singh.
L’ex-gouverneur de la Reserve Bank of India est l’auteur, dans les années 90, de la politique dite de « libéralisation, privatisation, globalisation ».
C’est lui, le « sadarji », qui réussit (3), par des mesures drastiques, à alléger la dette extérieure de l’Union indienne.
Dans leur sillage, le presque chef d’État Prachandad, qui a accordé récemment un entretien au journal « Le Figaro », discutait avec les membres de la Banque mondiale.
À la différence des maharadjas et des bourgeois enrichis par une économie parasite, le tourisme, les maoïstes népalais se proposent de re-construire sérieusement « à la chinoise » le royaume le plus pauvre du monde.
Et ainsi rembourser les dettes du royaume que la clique Gyanendra était incapable d’endiguer.
La politique du « bol de fer » cher à Mao séduit les investisseurs.
Dans cette perspective, la « route des martyrs », construite sans moyen financier, sous la mitraille, à l’Ouest du Népal, apparaît comme une curieuse vitrine de la nouvelle économie politique.
Un auteur anglo-saxon pourrait écrire que « la révolution maobaadi est le raccourci sanglant - nécessaire - d’un régime féodal endetté vers un capitalisme triomphant ».
L’abandon du caractère anti-impérialiste de la Cause signale cette honteuse dérive ; et la désertion des campagnes, au profit des villes, la trahison des camarades.
La distribution « aux nouvelles élites » de valises remplies de roupies parachève le processus.
On parle, en Inde, pudiquement d’un plan Marshall...
Le suzerain Thakur versait, à l’été 2006, 100 millions de dollars aux valets de ferme népalais.
Quatre-vingt-trois députés, estampillés « mao », entrent ainsi à l’Assemblée ; et sont conviés à participer à un prochain gouvernement d’union.
Des considérations géo-stratégiques entre la Chine, l’Inde, l’Angleterre, et une mise en valeur d’un « transfert de pouvoir » semblent avoir pris le pas sur un réel programme révolutionnaire.
Nous assistons là à l’émergence de « nouveaux renégats » dont la mission est de neutraliser la lutte des classes.
Cette assemblée « constituante », adoubée par les nations unies, compterait 330 députés.
Avec 83 « maoïstes » dans l’hémicycle dont 15 pour cent d’intouchables, c’est dire que le peuple restera à jamais un tiers-état !
La révolution népalaise a certes brisé une idole, vieille de 238 ans, mais non la croyance au timonier blanc.
Car dans cette révolution, riche en couleurs, c’est l’impérialisme, incarné par les Nations unies, qui a déterminé, lors du dernier Jana Andolan (4) en avril 2006, le mode de passage du féodalisme à une démocratie bourgeoise et nommé a priori leurs représentants.
« Le Parti communiste maoïste a brisé l’échine d’un tigre royal sans chiffonner l’uniforme du chasseur blanc » résume un vieux chaman en pays gurung.
Le souffle du Progrès, dans ce pays exotique tout juste libéré d’un roi ubuesque, ne dissipe pas un certain malaise...
Le cirque de l’humanitaire rappelle, à l’ombre des Annapurna, l’époque coloniale : lorsque les missionnaires convertissaient les âmes avec un bol de riz, et transmutaient les hommes les plus rebelles en gens soumis.
HIMALOVE
1.Oil National Gas Company. Le trust pétrolier indien constituait une joint venture avec la Texaco, en 2002, afin d’exploiter des gisements découverts à Nepalganj et à Chitwan.
2.« Chaosbaadi » est le terme péjoratif employé par les royalistes pour désigner les maobaadi.
3.Le paysage indien porte les séquelles de cette politique libérale ; on compte des centaines de fermiers endettés, suicidés chaque mois, avec les pesticides vendus par une multinationale.
4. Selon les observateurs népalais, Jana Andolan I, en 1950, Jana Andolan II, en 1990, ont abouti rapidement à des traités inégaux signés par les Koirala ou les Rana avec l’Inde dépossédant le pays de ses ressources naturelles (Traité Mahakali, par exemple). La révolte populaire d’avril 2006, « très encadrée » à Katmandou, a été taillée sur le modèle de la baisaki de 1990 ; les ambassades US, indienne et anglaise ont négocié directement avec l’état major maobaadi afin que les manifestants ne prennent pas d’assaut le palais royal...
Pour en savoir plus sur le Népal.
« La Chute de la maison Shah Dev » http://www.mai68.org
« Le poignard népalais et la croix gammée hindoue » http://www.confidentiel.net
« La Clef de la révolution népalaise se trouve à New Delhi » http://www.mai68.org
« La Fin de l’ère Gurkha » http://www.paris.indymedia.org
« La Griffe des Léopards rouges » http://www.mai68.org
« Népal : des maoïstes à visage humain », publié, entre autres, sur le site France-info
« Le Népal est-il un protectorat indien ? » http://www.paris.indymedia.org
PS : Si un éditeur est intéressé par un livre sur la révolution maobaadi, me contacter.
himalove@yahoo.com