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Nice (Alpes-Maritimes) : saisonniers en rade sur le sable

Publie le vendredi 5 août 2005 par Open-Publishing

de Philippe Jérôme

« Le patron m’a fait dormir sur la plage à côté de mon lieu de travail. J’ai tenu un mois et demi avant de m’enfuir ! » Paul-Antoine, un trentenaire sorti de l’école hôtelière de Nice, CAP de cuisinier en poche et qui se définissait comme « saisonnier professionnel » (l’hiver à la montagne, l’été à la mer) avant de se poser définitivement dans un palace de Monaco, a connu, en 2003, cette mésaventure que le syndicaliste CFDT Jean Boutong (lire ci-après) estime « banale » sur la Côte d’Azur. « Certains plagistes proposent à leurs employés de jour de jouer le rôle de veilleur de nuit », explique-t-il. C’est ce qui est arrivé à notre cuisinier corse : « J’étais payé un peu plus car j’étais responsable du matériel pendant la nuit. Cela a fini par m’angoisser... »

Débrouille pour les salaires

Cette précarité matérielle et morale est le lot de bien des saisonniers pour beaucoup étudiants qui « bossent dur pendant l’été dans un boulot sans intérêt », comme Fatima, employée chez un marchand de glaces : « Je travaille de 7 heures à 20 heures, sauf le dimanche. Je touche 8 euros de l’heure... J’en ai vraiment marre, mais j’en ai besoin pour payer les droits d’inscription à la fac et mes bouquins de droit. » De l’autre côté de la barrière, les petits patrons d’hôtels et de restaurants continuent d’alimenter la rubrique offres d’emploi du quotidien local, alors que la saison d’été bat son plein. « Les jeunes ne savent pas travailler et les anciens exigent les 35 heures », se plaint ce restaurateur niçois du cours Saleya, qui recherche un plongeur. « Moi, j’offre le SMIC plus les pourboires à un garçon de plage, mais les gens qui viennent de l’extérieur du département sont rebutés par le coût du logement », s’inquiète un plagiste, qui, d’une année sur l’autre, tourne avec seulement les deux tiers du personnel nécessaire.

Plus que le salaire moyen, qui, selon une étude INSEE Sud de 2001, est dans le tourisme et la restauration de 4 % inférieur à celui des autres secteurs économiques de la région PACA, c’est bien le logement qui constitue, autant pour le salarié saisonnier que pour son employeur, le problème principal sur la Côte d’Azur. Car l’étude officielle ne révèle pas ce secret de Polichinelle qu’est le versement au « black » d’une partie de ce salaire, sans compter les pourboires souvent non déclarés. « Au début je n’ai rien dit sur mon hébergement à la plage, car je pouvais me faire, avec les heures sup’, jusqu’à 500 euros par semaine », explique Paul Antoine qui, sur le carreau après un licenciement, s’est retrouvé sur le sable - ce qui était un moindre mal. Comme lui, les deux tiers des saisonniers employés dans les activités touristiques ont moins de vingt-cinq ans, la moitié de ces travailleurs au statut bien particulier étant versés dans l’hôtellerie et la restauration. Il est évident que, sans eux, l’industrie touristique entre Cannes et Menton aurait quelques ratés en été.

Impossible de se loger

Ces données, déjà pointées dans le rapport, publié en 1999, du conseiller d’État et ancien ministre Anicet Le Pors, avaient donné lieu à l’élaboration par le gouvernement Jospin de quinze mesures sociales à prendre en priorité, dont cinq pour faciliter l’accès au logement. Le tout visait à améliorer le sort des saisonniers, et notamment des plus jeunes, pour lesquels « faire la saison » est souvent une étape décisive dans un parcours d’insertion professionnelle. La philosophie politique de la ministre du Tourisme de l’époque, Michèle Demessine, étant que la qualité des prestations offertes, donc l’essor et la prospérité de notre industrie touristique, dépend étroitement des bonnes conditions de vie et d’épanouissement au travail des salariés de ce secteur économique. Un secteur vital pour certaines régions, comme la Côte d’Azur, qui accueille, bon an mal an, une dizaine de millions de touristes entre Pâques et la fin septembre.

Il était ainsi prévu la création de 6 000 logements pour saisonniers, une adaptation de l’APL ainsi qu’une nouvelle réglementation autorisant la sous-location de meublés. Où en sommes-nous en cet été 2005 ? Éclairage, qui vaut réponse, de ce restaurateur niçois : « J’ai un frère et un neveu qui sont de la partie et qui voulaient bien travailler avec moi tout l’été. Ils sont restés trois jours à l’hôtel, car je ne pouvais pas les loger, cherchant un appartement. C’était vraiment trop cher alors ils sont repartis ! » Il semble en effet que, dans les Alpes-Maritimes, où la moitié de l’économie locale dépend de l’activité touristique, l’accès au logement soit devenu particulièrement ardu ces derniers temps. Les loyers dans le privé sont équivalents à ceux de Paris intra-muros : jusqu’à 500 euros un studio dans le Vieux Nice. Quant au déficit en logements sociaux, il est abyssal : plus de vingt mille demandes de HLM non satisfaites dans la région niçoise. « Nous avons du mal à loger des fonctionnaires mutés dans la région, alors, pensez donc ! les saisonniers... » explique un agent administratif de l’office HLM départemental. Voilà pourquoi il n’est pas rare de voir maintenant de jeunes travailleurs - que l’on a peu de chances de rencontrer à la « maison des saisonniers » de Nice, dont l’ouverture se fait toujours attendre - se partager un studio à six ou sept, des étudiants squatters chez les parents ou des Paul-Antoine tomber de fatigue sur le sable après le boulot.

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