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Non aux livres-machines

par Livres de papier

Publie le mardi 21 février 2012 par Livres de papier - Open-Publishing
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dernier tract du collectif livres de papier :

NON AUX LIVRES-MACHINES,
NON AUX LECTEURS-ROBOTS

« LES SEULES PERSONNES NÉCESSAIRES dans l’édition sont maintenant le lecteur et l’écrivain. » Les nouveaux thuriféraires du numérique
ont beau affirmer le contraire, le PDG d’Amazon est là pour remettre
les choses au clair. Oui, le livre électronique est bel et bien en
train de tuer libraires, bibliothécaires et autres intermédiaires de la
chaîne du livre. Et non, les métiers du livre n’ont décidemment rien
à gagner à renoncer à leur savoir-faire pour se transformer en
gestionnaires de bases de données et grappiller les quelques miettes
que voudront bien leur laisser Google et consorts. Car l’informatisation
de la chaîne du livre menace le sens même de nos professions
 : pour les quelques start-up florissantes qui se partagent
le marché du « numérique alternatif », combien de vacataires
payés une misère pour océriser à tour de bras, combien d’ouvrages
imprimés à bas-coût à l’étranger, combien de traducteurs et de correcteurs laissés sur le carreau car remplacés par des algorithmes
moins coûteux ?

Au fond, on nous joue toujours le même air : « il faut s’a-dapter
 », quand bien même ces innovations révolutionnaires sont portées
par des multinationales avides et mégalomaniaques, des
start-up toujours à l’affût de secteurs à moderniser et de prédicateurs
pécuniairement impliqués ou pétris d’idéologies progressistes
faisandées.

Eh bien non ! Nous ne voulons pas nous adapter aux industries
du divertissement et de l’électronique qui ambitionnent de détruire
les métiers du livre pour mieux accaparer le marché de la culture
 : « La dernière chose que souhaitent les entrepreneurs du Net
c’est d’encourager la lecture lente, oisive, ou concentrée. Il est de
leur intérêt économique d’encourager la distraction*. »

À l’heure où le mal-être social s’intensifie à mesure que la précarité
se généralise, le gouvernement applique consciencieusement consciencieusement
la stratégie du capitalisme transnational : le basculement
intégral au tout-numérique, notamment grâce au passage de la
TVA de 5,5 % à 7 % pour les seuls ouvrages papier. Nouvelle source
de croissance, écologisme de façade qui rapporte, dépossession
des savoir-faire humains par des machines toujours plus complexes
et performantes, la numérisation du réel produit en série
des êtres idéalement formatés pour jouir sans fin d’un monde
d’où le silence, la réflexion et l’empathie disparaissent au profit de
l’intérêt bien compris, du chacun-pour-soi et du tout-tout-desuite.

Le collectif Livres de papier pense qu’il est urgent et nécessaire
de stopper une bonne part de ces innovations destructrices présentées
par certains comme une avancée. Le livre est pour nous
un point d’ancrage, un objet d’inscription pour une pensée cohérente cohérente
et articulée, hors du réseau et des flux incessants d’informations
et de sollicitations : il demeure l’un des derniers lieux de
résistance. Par ailleurs, nous ne manquons pas d’armes critiques
pour combattre cette dématérialisation du livre - contrairement à
ce qu’affirment ceux qui voient en nous des Cassandre. Le collectif
Livres de papier appelle donc à la résistance et à la mobilisation
de tous les acteurs de la chaîne du livre, des lectrices et des lecteurs,
par le refus de numériser les fonds des éditeurs, de combattre
la rationalisation et la déshumanisation des bibliothèques et
l’introduction des RFID et des bornes automatiques, de donner de
l’argent public aux numérisateurs et aux fabricants de liseuses,
d’utiliser des gadgets électroniques néfastes et polluants, d’acheter
des livres ailleurs qu’en librairie indépendante et d’accepter la
numérisation de la vie. Il est urgent de refonder un discours critique
radical, d’imaginer des perspectives et de développer des
pratiques qui, si elles ne se satisfont pas de la situation actuelle
(concentration capitalistique à l’oeuvre dans l’édition et la diffusion/
distribution, etc.), refusent d’avoir comme seul horizon l’avenir
technolibéral imposé par les numérisateurs.

« ON COMPREND QUE L’ENNUI ait partie liée avec le goût des
livres et lui donne si souvent naissance. Leur fréquentation
réclame des biens devenus rares : le silence, si
difficile à obtenir dans des lieux où bourdonne désormais
un incessant commentaire musical ; la solitude,
devenue insupportable à des adolescents reliés en permanence
à leurs copains ; la patience et la longueur du
temps, désormais intolérables dans l’exigence vorace
du plaisir immédiat. Silence, solitude, lenteur, les vocables
qui disent à la fois le tourment et la fécondité de
l’ennui sont aussi les compagnons nécessaires de la
lecture. Aussi est-ce un étonnement toujours renouvelé
de voir attribué l’inappétence de la jeunesse pour la
lecture à l’incompétence des maîtres ou à l’inadaptation
des méthodes de lecture. Ce qui barre l’accès au
livre est plus profond et plus massif. Lire suppose des
conditions devenues presque exorbitantes : ne pas
céder à la consommation fascinée des images ; supporter
d’être seul, car si on peut lire côte à côte, on ne
lit pas ensemble ; accéder au plaisir de l’ennui. »
Mona OZOUF.
« L’école, le plaisir et l’ennui ».
In : Revue internationale d’éducation - Sèvres,
n° 57, septembre 2011, p. 54

* Nicholas CARR. « Google nous rend-il stupides ? ». In : Les Cahiers
de la librairie n° 7, janvier 2009, p. 36.

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