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On nous tue comme des chiens à El Alto (Bolivie)
Publie le dimanche 19 octobre 2003 par Open-PublishingDimanche 12 octobre, 19 heures, Bolivie. Massacre de sang-froid - il n’y a pas d’autre
mot - de l’armée et de la police à El Alto (banlieue pauvre de La Paz, ndlr). J’écris,
et j’entends les bruits des balles dans le quartier. Toute la journée, les forces de
l’ordre ont tiré sans sommation sur tout ce qui bouge, sur des gens jouant au foot,
comme sur ceux qui manifestaient. L’objectif est évident : imposer l’ordre par la
force, à n’importe quel prix, avec les chars et les mitrailleuses. Contre des gens
avec des frondes, des pierres, des bouts de bois... Il n’y a pas de bilan à ce moment,
mais certainement 20 à 30 morts et plusieurs dizaines de blessés. Le gouvernement
parle de dialogue... et fait parler les balles. Les gens, dans leurs maisons, sont à
plat ventre de peur de recevoir une balle des militaires, qui tirent sans
discernement. Les tanks tirent. Il n’y a pas d’ambulance pour transporter les blessés.
Les voisins emportent les blessés et les morts dans des couvertures, sur des lits...
Ils nous tuent comme des chiens. Ils ont baigné dans le sang les frères d’El Alto,
c’est pourquoi nous déclarons la guerre civile au gringo Sanchez de Lozada (le
président de la République).
Lundi, au matin. Bilan de la veille, provisoire : 26 morts, 90 blessés.
11 heures. Toute la ville d’El Alto descend à La Paz. La marche est immense... « Que
Goni (surnom du président, ndlr) s’en aille » est le seul mot d’ordre. Un officier
supérieur demande par radio de ne pas tirer sur le peuple...
13 heures. Confusion. Le gouvernement ne donne pas de signe de vouloir démissionner.
On parle de contrôle militaire, non seulement d’El Alto, mais aussi de La Paz. A ce
moment de la journée, il y a déjà 5 morts.
14 heures. Le centre-ville est un champ de bataille. Je ne sais où nous allons.
Mardi 14 octobre. Au réveil, le bilan de la journée d’hier 28 morts... Les villes se
réveillent en se demandant ce qui va se passer... Dans la ville d’El Alto et la
campagne alentour, environ 1 million d’habitants vivent dans la misère. Depuis vingt
ans que je suis dans le quartier, il y a eu des améliorations en ce qui concerne
l’eau, le tout-à-l’égout, les rues (et encore), mais le niveau de vie des gens n’a pas
augmenté de façon significative. On y meurt toujours de faim. Nous vivons
quotidiennement dans ce contexte et nous voyons comment les gens se débattent pour
survivre - petit miracle quotidien. Alors quand nous sommes témoins impuissants de la
répression sauvage, nous ne pouvons que partager la douleur, la frustration et la rage
des gens qui nous entourent. La propagande du gouvernement, qui veut faire croire à un
complot pour en finir avec la démocratie, est une injure faite au peuple. Mais
l’arrogance de ce gouvernement ne lui permet pas d’écouter.
Mercredi 15 octobre. Le fait marquant de cette journée est l’entrée dans le conflit de
Cochabamba (la troisième ville du pays, ndlr) et de Santa Cruz. La Paz :
manifestations diverses. A Patacamaya, à 100 kilomètres de la plus grande ville du
pays, les mineurs se sont battus contre l’armée. Plusieurs morts et blessés.
François Donnat, prêtre à El Alto