Accueil > "On va droit dans le mur"

de François Koch
La journaliste Florence Aubenas, ex-otage en Irak, s’engage dans le combat des droits de l’homme en détention. Elle critique avec virulence le projet de loi pénitentiaire que va examiner l’Assemblée nationale. Entretien exclusif.
Attendu depuis plusieurs décennies, le projet de loi pénitentiaire répond avant tout aux exigences des instances européennes, jugeant que les prisons françaises imposent aux détenus des conditions de vie dégradantes. Bien qu’amélioré par le Sénat en mars dernier, le texte demeure critiqué par des associations, des syndicats de magistrats, d’avocats et de surveillants. Pourtant, la nouvelle ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, affirme aussi qu’il faut humaniser les établissements et mieux préparer la réinsertion des délinquants pour lutter contre la récidive. Les divergences portent sur la méthode et les moyens. Elue le 2 juillet 2009 présidente de l’Observatoire international des prisons, Florence Aubenas tente de peser dans le débat.
Pourquoi avoir accepté la présidence de l’Observatoire international des prisons ?
Depuis le début des années 1990, les prisons sont évoquées avec les mêmes termes : surpopulation et droits de l’homme bafoués. Depuis deux décennies, j’observe cette situation comme journaliste : rien ne change. Je perçois même une régression. Avec une opinion publique qui ne se sent pas concernée par les droits de l’homme en prison. A la tête d’un contre-pouvoir comme l’OIP, sans couleur partisane, j’espère contribuer à faire bouger les choses.
Le fait d’avoir connu la détention est-il un atout ?
La condition d’otage en Irak n’est pas comparable à celle d’un détenu dans une prison française. C’est un autre univers : j’étais dans le noir, enchaînée toute la journée, dans l’incertitude quant à l’avenir.
Et la célébrité ?
En rentrant d’Irak, je suis devenue célèbre en l’espace d’une minute. Un choc. Ça me trouble toujours. J’ai d’abord mis cette notoriété au service des innocents d’Outreau. L’utiliser maintenant pour le combat des droits de l’homme en détention me va bien. Même si c’est un domaine où il y a surtout des coups à prendre. Je reçois déjà des courriers : "Les prisonniers font la grasse matinée devant la télé alors que les SDF meurent dehors !"
Pourquoi critiquez-vous le projet de loi pénitentiaire ?
La France fait cette loi parce qu’elle a trente ans de retard. On s’est contenté de répéter : "Puisqu’on est la patrie des droits de l’homme, tout va très bien chez nous." Du coup, nous nous sommes fait lourdement taper sur les doigts par les instances européennes. Pourtant, ce projet ne leur répond qu’en apparence. C’est un texte essentiellement bavard. Trois exemples :
1. Il est rappelé que la prison punit et réinsère. Or une règle européenne impose déjà à l’administration pénitentiaire (AP) de proposer aux détenus une activité (éducation, formation professionnelle, travail...). Le projet de loi renverse l’obligation : le prisonnier est contraint d’accepter l’activité offerte par l’AP, mais cette dernière n’est pas tenue de proposer quoi que ce soit.
2. La Cour européenne des droits de l’homme a
souvent condamné la France pour sa pratique humiliante et dégradante des
fouilles répétitives sur les détenus. Certains d’entre eux doivent baisser leur
slip sept fois par jour. La nouvelle loi n’empêchera pas ces abus de
perdurer.
3. Les députés vont signer un chèque en blanc. Les détenus étant différents les uns des autres, toutes les peines devraient être gérées de manière spécifique. La nouvelle loi s’inspire de cette idée, mais ne l’exploite pas jusqu’au bout, puisqu’elle veut officialiser une gestion à deux vitesses où les détenus sont séparés en deux groupes : les gentils et les méchants, avec des conditions de vie très différentes. Quels seront les critères de répartition ? La loi renvoie à un décret. Sans préciser si les détenus auront le droit de contester la décision de l’AP. Au lieu de réduire l’arbitraire, la loi va l’augmenter.
Les sénateurs ont amélioré le projet concernant la règle "un détenu par cellule".
Oui. Ce principe inscrit dans une loi en 1875 n’est toujours pas appliqué ! Ce qui est tout à fait révélateur de l’efficacité des textes sur la prison... Le projet renonçait à l’application de ce droit, en raison du manque de places. Heureusement, les sénateurs n’ont pas accepté ce recul et ont inséré un moratoire de cinq ans pour réduire la surpopulation carcérale. De manière assez perverse, le gouvernement affirme qu’aucun détenu ne demande à être seul. C’est vrai, parce que les prisonniers savent que la réponse sera toujours négative. Ou alors qu’ils seront transférés dans un établissement loin de leur famille.
Espérez-vous une amélioration du projet par les députés ?
Non, au contraire. Sur les libertés et les droits fondamentaux, les sénateurs sont plus ouverts que les députés. Ces derniers sont tétanisés par la pression sécuritaire : "Il ne faut pas relâcher les assassins d’enfants", leur disent des gens, sur les marchés.
Pourquoi les politiques, de droite comme de gauche, ne prennent-ils pas le problème à bras-le-corps ?
Parce que, selon eux, ce n’est jamais le moment. Ils sont angoissés à l’idée de passer pour laxistes. Les politiques veulent bien aller voir l’excellent film de Jacques Audiard Un prophète, mais pas mettre leur nez dans la vraie prison et voir la réalité en face.
Que devraient-ils expliquer à leurs électeurs ?
Lorsque l’on humilie les détenus, en les traitant de manière indigne, avec parfois six personnes dans une seule cellule, sans cloison pour les toilettes, sans les protéger contre la violence, ils sortent plus abîmés qu’ils ne l’étaient en entrant. Des rapports officiels soulignent que les cours de promenade sont des zones de non-droit, où la sécurité n’est pas assurée et où règnent la loi du plus fort et les trafics. C’est la spirale de la récidive vers une société plus violente. Quand je débats avec des policiers et des magistrats, ils disent plus fort que moi : "La prison est criminogène."
Mais les juges ne prononcent pas moins de peines de prison.
"On n’a pas trouvé mieux", disent-ils par fatalisme. Du coup, il y a 62 420 détenus pour 53 323 places. Et la surpopulation augmente, avec son lot de matelas à même le sol des cellules. Les projets de construction d’établissements ne sont pas la solution. Faute d’une vraie réflexion, le gouvernement se contente, en douce, de mettre en place un "petit robinet" pour faire sortir des détenus et éviter l’explosion : la loi va permettre aux prisonniers d’être libérés avec un bracelet électronique s’il ne leur reste que quatre mois de détention à effectuer. Mais ce type de mesures collectives, une grâce déguisée, produira encore plus de récidives. Parce que l’on balancera les détenus dehors, sans préparation, sans logement ni travail. Prenons conscience de ce que sont les prisons : une folie. On va vers une catastrophe, droit dans le mur, et la nouvelle loi ne fait rien pour l’éviter.
Votre association est perçue par les pouvoirs publics comme hostile à l’existence des prisons. Est-ce vrai ?
Nous ne sommes pas d’irresponsables gauchistes rêvant de la suppression des prisons. Nous disons simplement la même chose que les instances européennes : l’incarcération ne doit être qu’une sanction de dernier recours. Et aucune sortie ne devrait se faire sans préparation, ce qui n’est pas le cas, faute de moyens. Se contenter d’enfermer entre quatre murs des délinquants ne les métamorphose pas en honnêtes gens. C’est la "honte de la République", a déclaré Nicolas Sarkozy. Il serait temps de passer du discours aux actes.
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/on-va-droit-dans-le-mur_786145.html?p=2
Messages
1. "On va droit dans le mur", 11 septembre 2009, 18:00
Tous ces gens qui ne sont pas allés en prison et qui auraient du y aller...
1. "On va droit dans le mur", 11 septembre 2009, 19:40
Et tout ceux qui y envoient les autres alors qu’ils devraient y être...
2. "On va droit dans le mur", 14 septembre 2009, 08:58
La prison n’est pas la solution.
Alain 04