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Oui, la prison peut devenir l’exception

par PIERRE-OLIVIER SUR & CLÉMENCE WITT, Avocats

Publie le vendredi 14 septembre 2012 par PIERRE-OLIVIER SUR & CLÉMENCE WITT, Avocats - Open-Publishing

« Nos prisons sont pleines, mais vides de sens. » Cette formule de la nouvelle garde des Sceaux, Mme Christiane Taubira, porte l’espoir que la France puisse enfin se doter d’une doctrine carcérale efficace et humaine dans le cadre d’une politique pénale cohérente. Car contrairement aux idées reçues, la prison peut devenir l’exception, tandis que la prévention de la récidive doit demeurer l’objectif. Et puisque l’on a été habitué à la culture des chiffres, nous allons démontrer qu’il est possible de diviser par deux le nombre de prisonniers en France, tout en améliorant les statistiques de la délinquance.

Pour atteindre cet objectif, trois mesures d’urgence s’imposent. Premièrement, extraire les détenus souffrant de pathologies psychiatriques nécessitant un suivi médical (20% de la population carcérale). Deuxièmement, ne plus incarcérer les détenus en attente de jugement et donc présumés innocents (25% de l’effectif). Troisièmement, libérer plus systématiquement - mais avec placement sous surveillance électronique ou suivi en milieu ouvert - ceux qui sont en fin de peine (20% supplémentaires). En recoupant ces trois chiffres et en y retranchant la part incompressible que l’impératif de sûreté publique interdit de libérer, ce sont déjà près de 50% des 66 748 détenus que l’on doit sortir de prison.

Par ailleurs, trois mesures durables sont envisageables. Premièrement, créer une peine de probation, définie par le Conseil de l’Europe comme « l’exécution en milieu ouvert d’une peine ou d’une mesure pénale comportant suivi, conseil et assistance dans le but de réintégrer socialement l’auteur de l’infraction et de contribuer à la sécurité collective » pour remplacer les courtes peines d’emprisonnement. L’initiative a d’ores et déjà été annoncée par la chancellerie. Deuxièmement, renforcer l’encadrement et le suivi des personnes prises en charge en milieu ouvert pour atteindre, comme en Suède, le ratio de 1 agent pour 25 détenus (contre 1 pour 50 en France). Troisièmement, développer un outil statistique irréprochable, harmonisé entre les Etats membres du Conseil de l’Europe, pour évaluer les facteurs de la récidive.

Face à l’augmentation croissante du nombre de détenus, les gouvernements précédents ont, au contraire, réagi par des projets d’accroissement et de modernisation du parc pénitentiaire, creusant le déficit public : le projet Chalandon sous la présidence Mitterrand (13 000 places supplémentaires), le plan Bédier sous la présidence Chirac (partenariats publics-privés), la loi du 27 mars 2012 sous la présidence Sarkozy (objectif de 80 000 places en 2017). Et d’après la Cour des comptes, le loyer des établissements pénitentiaires devrait atteindre 567,3 millions d’euros en 2017. Pourtant, ces initiatives sont vaines, car on sait que tous les pays ayant choisi cette solution ont vu leur taux de détention s’accroître, sans effet sur la surpopulation carcérale. Or, la prison est évidemment criminogène. Les chiffres de la démographe Annie Kensey sont sans appel : 50% des anciens détenus seront à nouveau condamnés à de la prison ferme. Dès lors, la politique du tout carcéral est un élan vers le pire.

Alors, il faut multiplier les peines alternatives. En France, le recours au bracelet électronique en témoigne. Le nombre de détenus sous surveillance électronique a doublé en deux ans, atteignant 10 244 en juillet 2012. Un succès tant pour la prévention de la récidive (seulement 23% de nouvelles condamnations à de la prison ferme), que pour les finances publiques (une personne placée sous surveillance électronique coûte 15,50 euros par jour, contre 94,91 euros pour un détenu). Ce succès doit, à l’aune des pratiques scandinaves, appeler une réforme sans précédent. Le meilleur exemple est celui de la Finlande qui, grâce à une refonte globale de sa politique pénale, a divisé par deux son taux de détention, tout en améliorant les statistiques de la délinquance. Mais une telle révolution carcérale supposait une révolution culturelle, rendue possible par un véritable travail pédagogique auprès des médias et de l’opinion publique finlandaise. Une configuration qui semble émerger en France, comme en témoigne le manifeste « Pour une politique pénale efficace », rédigé par un groupe de travail interprofessionnel et publié le 12 juin 2012 dans Libe.fr. Alors, considérons que « oui », la France peut réduire de moitié sa population carcérale !

http://www.liberation.fr/societe/2012/09/10/oui-la-prison-peut-devenir-l-exception_845281