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POLITIS : NANTERRE, DES FLICS DANS LES AMPHIS

Publie le dimanche 28 mars 2004 par Open-Publishing

Le tout-sécuritaire envahit la fac. Des murs de protection ont été
érigés à Nanterre, la police est entrée sur les campus, la contestation
étudiante est étouffée. L’exaspération monte et les actions se
radicalisent.

Ils sont une cinquantaine ce mardi 16 mars, sur le campus de Nanterre,
groupés et déterminés. Banderoles et mots d’ordre : « Sécuritaire hors
de nos vies » ou, plus poétique, « C’est la liberté qui murmure ».
Rapides et discrets malgré le bélier et les masses que certains tiennent
entre leurs mains, ils s’attaquent violemment à l’un des murs construits
à la rentrée 2004, situé entre les bâtiments E et D, pour de « 
fallacieux prétextes de sécurité », comme le dénonçait en février
dernier le Syndicat national de l’administration scolaire et
universitaire et des bibliothèques (Snasub). En cinq minutes à peine,
une immense brèche de cinq mètres de large environ troue le mur de
protection. Victoire pour les étudiants déchaînés, qui se dispersent
aussitôt, laissant derrière eux un tas de gravats et des vigiles
dépités. Pas de forces de l’ordre à l’horizon. C’est un coup d’éclat
supplémentaire pour ces étudiants, qui ne comptent pas en rester là. Car
l’heure n’est plus aux bavardages, et ce sont tous les murs qu’ils
voudraient faire disparaître.

Pour la plupart non-syndiqués ou appartenant à la mouvance autonome et
libertaire, ils voient dans les murs construits sur le campus de
Nanterre le symbole d’une orientation ultrasécuritaire, mise en place
avec la création du Contrat local de sécurité, qui, comme le dénonce une
étudiante affiliée à la CNT, « permet l’ouverture des espaces publics
aux investisseurs privés ». Orientation qu’ils considèrent donc comme
intimement liée au projet d’autonomie des universités voulu par Luc
Ferry. Et leur lutte contre le « flicage » est aussi une lutte contre la
privatisation insidieuse de l’Université « qui le sous-tend et en
découle ». Car, avec ces nouveaux contrats mis en place depuis deux ans,
c’est tout une vision de l’espace fac qui s’écroule. Pour l’un d’entre
eux, « cette logique carcérale [mise en place de caméras de vidéo
surveillance, avec 8 caméras intérieures, 4 extérieures et un centre de
contrôle ; présence policière et construction de murs visant à segmenter
le campus] fait de la fac un lieu de délinquance, duquel il faut
éliminer les éléments les plus dangereux. L’image de l’université comme
lieu de savoir et de culture est alors pervertie. » En effet, la
franchise qui interdisait (depuis le XVe siècle !) la présence policière
sur les campus a été abolie. Aujourd’hui, ce sont la Brigade
anticriminalité (BAC) ou des sociétés de vigiles avec écussons de
l’Éducation nationale qui arpentent le campus, mangent au restaurant
universitaire (RU) et surtout surveillent et répriment. Cela agace. D’où
les empoignades musclées de l’automne dernier, lors des grèves contre la
réforme de l’Université. Ainsi, l’occupation d’une salle de cours a
dégénéré, comme l’explique Sébastien, étudiant en maîtrise d’histoire et
de sociologie : « Lors de l’appel à la grève dans la Fonction publique
en 2003, nous avons décidé avec d’autres d’occuper une salle pour nous
faire entendre. Malheureusement, ça a mal tourné : l’administration a
appelé les vigiles, qui nous ont agressés, et nous avons répondu. Après,
la police a pris le relais. » Bilan : confiscation d’une bombe
lacrymogène, 48 heures de garde à vue pour la dizaine d’occupants et un
passage en conseil de discipline, prévu le 29 mars 2004 (1), seulement
pour Sébastien, les autres étant des non-inscrits. Le jeune homme, qui
risque une expulsion définitive de Nanterre, craint pour la suite de ses
études, mais surtout pour l’avenir de la liberté de contestation. Pour
la section Snasub-FSU de Paris-X, « cette très nette dégradation des
rapports entre les organisations étudiantes et la présidence de
l’université, accentuée depuis la rentrée 2004, résulte de cette dérive
à coloration sécuritaire tout à fait dans l’esprit de la réforme de
l’Université voulue par l’actuel gouvernement ». Car à celle-ci répond
un radicalisme de plus en plus difficile à étouffer.

[Le 21 octobre, près de 400 étudiants se rassemblaient pour demander un
dialogue. Pour toute réponse, la présidence leur envoyait un cordon de
vigiles munis de bombes lacrymogènes, qu’ils n’ont pas hésité à
utiliser. Et annonçait la fermeture du local des JCR.]

Pourtant ce n’est pas faute d’avoir essayé : le local des Jeunesses
communistes révolutionnaires (JCR) a été fermé, puis muré récemment.
Deux étudiantes de ce syndicat s’insurgent : « Depuis la rentrée, nous
nous opposons à la politique de sélection qui règne à Nanterre et qui a
abouti à la non-insciption de nombreux étudiants, d’origine étrangère ou
venant de filiales peu valorisantes,bac pro notamment. Nous refusons
une telle discrimination, qui a pour motif de faire de Nanterre une
université de prestige, un espace pour privilégiés, qui puisse s’insérer
dans le grand projet « Seine-Arche » visant à étendre le pôle
d’excellence de la Défense jusqu’à Nanterre. C’est une honte. Aussi
avons-nous décidé d’occuper la tour administrative dans la nuit du lundi
au mardi 21 octobre. » La BAC est venue les déloger, à coups de
matraque. Le lendemain, près de 400 étudiants scandalisés se
rassemblaient pour demander un dialogue avec la direction. Pour toute
réponse, la présidence leur envoyait un cordon de vigiles munis de
bombes lacrymogènes, qu’ils n’ont pas hésité à utiliser. Et annonçait la
fermeture du local des JCR. La SNASUB, dans un communiqué, condamnait
cette « tentative d’entraver l’expression démocratique en muselant les
organisations syndicales », en particulier celles qui ne sont pas
représentées au conseil d’administration.

A la tension entre la direction et les étudiants, s’ajoute celle qui
secoue les organisations étudiantes. L’Unef, le syndicat majoritaire de
gauche, est très critiqué. Pour Sébastien, « les syndicats étudiants
traditionnels comme l’Unef, qui eux siègent au conseil
d’administration, ne se sont pas battus contre cette politique du
tout-sécuritaire qui augure de la privatisation des facs. Les étudiants
ne se sentent pas représentés. C’est pour cela que ces actions
spontanées sont de plus en plus nombreuses et le seront d’autant plus
qu’aucun dialogue n’est possible ni avec la présidence de 1’université,
ni avec les syndicats. » Un constat qu’approuve Gabriel, un autre
étudiant : « Si les attaques se multiplient, les résistances aussi. A
Nanterre, on voit bien qu’il y a beaucoup plus d’étudiants que les
années précédentes prêts à se bouger. » En effet, les campagnes de
distribution de tracts sont légion « quand on ne nous arrache pas les
tracts des mains », précise Sébastien. Les AG succèdent aux AG. Des
actions s’inventent et se concrétisent, à l’image de la tentative de
destruction du mur. Comme le souligne une étudiante, « on fait tout pour
que la présidence, qui tente, par tous les moyens, d’éviter les
rassemblements, de restreindre les échanges, de mettre au pas la vie
estudiantine, déjà bien morose, ne l’emporte pas. » Même s’ils se
sentent souvent confinés, bâillonnés, les contestataires étudiants, les
« enragés » comme ils se sont surnommés en référence à Mai 68, veulent
jouer les trublions, afin de faire entendre haut et fort que l’avenir de
l’Université mérite un vrai débat public. Quitte à opter pour la
radicalité. Et à se faire exclure.

Aline Chambras

(1) Le lundi 29 mars 2004, à 14 h, manifestation de soutien devant le
ministère de l’Éducation nationale, où se tiendront les conseils de
discipline (salle 205, 101, rue de Grenelle, Paris VII).

Pour plus de renseignements, rendez-vous sur le site

http://enrages-nanterre.freeservers.com