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"Pas question que je m’agenouille devant M. Chirac"

Publie le samedi 28 juin 2003 par Open-Publishing

Le porte-parole de la Confédération paysanne, José Bové, détenu depuis le 22 juin à la maison d’arrêt de Villeneuve-lès- Maguelone, a répondu aux questions que "Le Monde" lui a fait parvenir. Il raconte son interpellation et soupçonne le gouvernement d’avoir "voulu jouer des muscles" pour "faire oublier" les incidents lors de la récente visite de Jean-Pierre Raffarin en Corse. Il dénonce une "volonté de criminalisation du mouvement social". S’agissant d’une grâce éventuelle, il déclare qu’il ne "-s-’opposerai-t- pas" à une "libération anticipée", mais juge qu’il la devrait au "mouvement social" et non à Jacques Chirac.

Détenu depuis le 22 juin à la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault), José Bové a répondu par écrit aux questions que Le Monde lui avait fait poser par l’un des élus qui ont été autorisés à lui rendre visite. Il nous a adressé ses réponses par le même canal.

Vous êtes en prison pour la deuxième fois en un an. La première expérience vous avait marqué ; quel est aujourd’hui votre état d’esprit ?

Je suis très serein malgré les conditions de mon incarcération. En effet, je suis enfermé dans une cellule au rez-de-chaussée qui donne sur un mur intérieur, face à une soufflerie qui fonctionne 24 heures sur 24. Mes conditions sont celles de tous les détenus, à l’exception du fait que je ne peux me déplacer seul. Je suis accompagné en permanence par un surveillant dès que je dois quitter le bâtiment où je suis.

Comment avez-vous vécu votre arrestation ?

Je suis arrivé à la maison d’arrêt le dimanche à 6 h 40 en hélicoptère, après avoir été réveillé avant 6 heures du matin le même jour par le bruit de la porte vitrée de ma maison sur le Larzac qui volait en éclats. Je n’ai même pas eu le temps de m’habiller avant que les gendarmes mobiles envahissent ma chambre à coucher. Ils étaient très agressifs et refusaient que je puisse prendre des affaires. Seule l’intervention des gendarmes de Millau a permis de faire baisser la tension. J’ai été menotté dans la maison sans pouvoir laisser un mot à ma compagne, absente. Dans cette situation, ils ont voulu me faire signer une déclaration, ce que j’ai refusé. Ils m’ont conduit aussitôt à l’hélicoptère. Je me suis rendu compte à ce moment-là que tout le hameau était militairement occupé, gardes mobiles, chiens policiers, motos tout terrain, engin blindé. Les voisins réveillés en sursaut étaient tenus à l’écart ! J’avais l’impression de revivre ce que les Kanaks d’Ouvéa m’avaient raconté sur les événements de 1988, quand l’armée avait investi les tribus, dans l’affaire de la grotte.

Comment expliquez-vous un tel déploiement de force ?

Il n’a aucun sens par rapport au discours que j’ai toujours tenu. J’ai toujours déclaré qu’il n’était pas question pour moi de me cacher ni de fuir. J’ai réaffirmé qu’il ne tenait qu’à eux de venir et qu’ils savaient où j’habitais. Alors, est-ce que MM. Perben et Sarkozy ont voulu jouer des muscles pour faire oublier les événements de l’accueil en Corse ? Est-ce qu’ils voulaient se répartir les rôles entre le gouvernement et le président de la République ? En tout état de cause, c’est un grand raté. Et personne ne sera dupe des décisions qui pourraient intervenir en provenance de l’Elysée.

Pourquoi avez-vous refusé de rencontrer le juge d’application des peines ?

Contrairement aux assertions de M. Perben, je n’ai jamais refusé de rencontrer ce juge. Je lui ai fait parvenir un courrier le 17 avril, dans lequel je lui expliquais que, compte tenu de l’action de plus de 800 000 citoyens auprès du chef de l’Etat, j’attendais la réponse de celui-ci avant de discuter d’un possible aménagement de peine. La seule réponse fut l’envoi de la force, contrairement aux us et coutumes habituels en pareilles circonstances. Pourquoi discuter d’un aménagement avant de savoir si la peine sera exécutée ou non ?

J’ai toujours affirmé depuis ma condamnation définitive qu’il n’était pas question pour moi de m’agenouiller devant le président Chirac. Néanmoins, si ma libération anticipée devait arriver, je ne m’y opposerais pas. Mais que les choses soient claires : elle sera le fait de la mobilisation du mouvement social, et de lui seul ! Je ne vendrai pas mon âme pour un plat de lentilles.

Comment appréciez-vous les prises de position de M. Chirac en faveur de l’environnement et du développement durable ?

Le président de la République, depuis le sommet de Johannesburg, veut apparaître sur la scène internationale comme l’homme qui défend l’avenir de la planète face aux multinationales et aux puissants. "La planète brûle", "Les OGM ne sont pas forcément une solution pour les pays du Sud"... J’ai l’impression d’un décalage complet entre ce discours et la réalité de la politique du gouvernement Raffarin. En effet, que ce soit en matière de politique agricole commune, où la France vient de signer le projet de réforme, qui n’est que l’alignement de l’Europe sur l’OMC, ou en matière d’OGM, où le gouvernement et sa majorité prônent la levée du moratoire européen pour relancer la compétition, la logique marchande prend le pas sur toute autre considération. Que M. Raffarin annonce qu’il fera prévaloir le protocole de Carthagène pour s’opposer aux Etats-Unis face à l’OMC sur les OGM, que M. Gaymard arrête les essais en plein champ des OGM, dont la quasi- totalité ne sont que des essais à but commercial !

Etes-vous de ceux qui considèrent que le gouvernement est dans une logique de "criminalisation des mouvements sociaux" ?

Il est clair aujourd’hui qu’il y a une volonté de criminalisation du mouvement social. La répression policière et judiciaire après les manifestations contre les projets Fillon ou/et Ferry, la poursuite des personnes qui font preuve de solidarité avec les étrangers à Calais, l’expulsion de la Maison des "sans" à Paris, la mise à pied de syndicalistes, la controverse sur le paiement des jours de grève ou l’acharnement financier contre Greenpeace, etc., tous ces faits se rajoutent à la répression que subit la Confédération paysanne au niveau tant judiciaire que financier (suppression de 20 % du budget public par Gaymard au profit de la FNSEA). Le message est clair. L’ordre plutôt que la justice. Mais cela n’a jamais empêché un mouvement social de se développer. Cela ne fait que rajouter de la rancœur et de l’indignation.

La peine qui vous est infligée va-t-elle vous conduire à chercher d’autres formes d’action ?

Depuis près de six ans, un mouvement large s’est développé pour dénoncer la logique de la globalisation économique de la vie de chacun et chacune. Grâce à la pédagogie de l’action, la prise de conscience s’est faite. La dénonciation des rôles de l’OMC (bœuf aux hormones), du projet de l’AMI (accord multilatéral sur l’investissement), des volontés de transformer les services en marchandises ont débouché sur la victoire de Seattle et de Porto Alegre.

Ce combat doit encore se renforcer avec le sommet de l’OMC qui se déroulera du 10 au 14 septembre à Cancun, au Mexique. C’est pourquoi nous avons décidé, avec tous les mouvements syndicaux et associatifs, d’organiser un grand rassemblement les 8, 9 et 10 août sur le Larzac pour affirmer que d’autres mondes sont possibles. Cela sera le point de départ des mobilisations de septembre contre l’OMC, mais aussi contre les funestes projets sur la Sécurité sociale. Et si tout est fait pour que l’_expression soit encore muselée, il ne reste plus à ceux qui refusent l’inacceptable que de dire "non" et de sortir du cadre de la loi.

La désobéissance civile est un moyen, pas une fin en soi. C’est la seule force des faibles, quand tous les autres moyens ont été épuisés. Au gouvernement français et à M. Chirac d’assumer leurs responsabilités, nous assumons les nôtres.

Entretien préparé par Caroline Monnot