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« Pendant deux ans et demi, l’argent que gagnait Jérôme Kerviel n’a jamais été fictif »

Publie le mercredi 27 février 2008 par Open-Publishing

Par ELISABETH MEYER - AVOCATE DE JÉRÔME KERVIEL

Une semaine après la publication du rapport de l’inspection de la Société Générale sur la fraude qui a conduit à 4,9 milliards d’euros de pertes, Elisabeth Meyer, l’avocate de Jérôme Kerviel, livre sa lecture du document aux « Echos ». Elle relève notamment que le rapport écarte l’hypothèse d’une intrusion informatique et s’étonne qu’il ne fasse pas mention d’éventuelles alertes du service de la trésorerie alors même, souligne-t-elle, qu’il semble que « la banque a encaissé 500 millions d’euros au mois de juillet 2007, puis 1,4 milliard fin décembre ». Elle estime que la banque « a attendu de solder sa position, donc de savoir si elle allait perdre de l’argent, avant de saisir la justice ».

Le rapport de l’inspection de la Société Générale vient d’être publié. Ses conclusions vous ont-elles surprise ?

Elles confortent ma conviction. Depuis le début de cette affaire, la Société Générale nous sert plusieurs versions. Alors que la banque a porté plainte, notamment pour intrusion informatique, on découvre dans ce rapport que ce fait n’est plus avéré. C’est un des trois chefs d’inculpation qui s’effondre. Avant lui, ce sont les thèses d’éventuelles complicités ou de détournement de fonds qu’on nous avait présentées comme quasi certaines qui s’étaient évaporées.

Il apparaît cependant clairement que Jérôme Kerviel a déjoué tous les contrôles...

Les contrôles ont été menés. Dans le rapport, on constate qu’il y a eu 74 alertes sur la période, plus celle d’Eurex, soit une tous les trois jours ! Jérôme Kerviel n’était donc pas indétectable.

Que voulez-vous dire ?

Si, le 23 janvier au soir, au lieu d’une perte, elle avait réalisé un gain, la Société Générale aurait-elle déposé plainte ?

Vous estimez donc que la hiérarchie était au courant des agissements du trader ?

Je ne souhaite pas m’exprimer sur le fond du dossier. Il ressort d’un tableau qu’a publié l’un de vos confrères que la banque a encaissé 500 millions d’euros au mois de juillet 2007, puis 1,4 milliard fin décembre, sans que cela ne déclenche une alerte. Soit Jérôme Kerviel a fait quelque chose d’illégal et la banque ne doit pas en tirer profit, soit c’est régulier et toute cette affaire n’a pas lieu d’être. Vous remarquez d’ailleurs que, dans le rapport de l’inspection, il n’est jamais fait mention d’éventuelles alertes du service de la trésorerie. C’est le grand absent de ce document. C’est à se demander si, pendant deux ans et demi, quelqu’un a contrôlé la trésorerie de la Société Générale.

Mais les opérations fictives passées par le trader n’avaient-elles pas justement pour objectif de masquer les gains ou les pertes ?

Ces opérations pouvaient cacher un risque. Elles ne pouvaient en aucun cas masquer une entrée ou une sortie de cash. Or, pendant deux ans et demi, l’argent que gagnait Jérôme Kerviel n’a jamais été fictif. Dès 2005, la banque l’avait déjà identifié et elle l’avait rappelé à l’ordre.

Pensez-vous, comme l’a déclaré Jérôme Kerviel, que ces pratiques sont courantes dans les salles de marché ?

Sa déposition telle qu’elle est sortie dans la presse a été tronquée. Les propos de Jérôme Kerviel ont été volontairement sortis du contexte pour appuyer une thèse à un moment donné.

Mais Jérôme Kerviel ne nie pas les faits...

Il ne s’agit pas d’en faire une victime mais, comme je viens de vous le dire, il y a des incohérences dans le discours de la Société Générale qu’il faut pointer du doigt.
La banque dit aujourd’hui vouloir tourner rapidement la page.

Je comprends que la Société Générale ait aujourd’hui intérêt à bâcler l’instruction pour passer à autre chose mais, lorsqu’on déclenche une instruction pénale et qu’un homme est mis en prison, on ne peut pas ensuite vouloir accélérer la procédure judiciaire. Surtout que la banque a attendu près d’une semaine après la découverte des faits avant de déposer plainte.

Qu’aurait-elle pu faire ?

Je constate qu’elle a attendu de solder sa position, donc de savoir si elle allait perdre de l’argent, avant de saisir la justice. Le dimanche 20 janvier, la banque a ainsi laissé Jérôme Kerviel repartir libre de la Défense alors même qu’il présentait un danger potentiel pour elle tant que la position n’avait pas été débouclée. Il aurait en effet pu divulguer des informations les 21, 22 et 23 janvier, il ne l’a pas fait. Trois semaines plus tard, alors qu’il n’a jamais fui et a toujours coopéré avec la justice, elle demande sa mise en détention provisoire. C’est une affaire d’argent, je le dis depuis le premier jour !

Jérôme Kerviel est en prison depuis le 8 février. Allez-vous demander sa libération ?

Oui mais j’attends le moment opportun pour le faire et je ne souhaite pas en dire davantage pour l’instant. Des informations et contre-informations sont sorties à plusieurs moments clefs de cette affaire et je ne souhaite pas en faire de même. Ce que je constate, c’est que l’incarcération de Jérôme Kerviel le désigne comme un coupable aux yeux de l’opinion alors que l’instruction ne fait que débuter et qu’il n’a pas encore été jugé. C’est le drame de la détention provisoire.

PROPOS RECUEILLIS PAR ELSA CONESA, VALÉRIE DE SENNEVILLE ET FRANÇOIS VIDAL

http://www.lesechos.fr/info/finance/4692544.htm