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Plongée chez les Inuit : Ikajuutitsiamarip palauq tuviniit deuxième partie

Publie le mardi 4 octobre 2005 par Open-Publishing

Lire également première partie

de Laiguillon

Comportements sociaux

Il y a quasi absence de la nuit et la lumière dans la désignation des saisons et des mois et insiste plutôt sur l’évocation des cycles naturels et sociaux. - Guy Bordin : page 98 -

Par l’intégration de son propre rythme dans celui du milieu naturel, l’inuit ne ressent son environnement que par des cycles plus profonds que seul celui des apparences ou des conditions extérieures.

Les jeunes hommes partaient à pied chasser le caribou (animal indispensable pour les vêtements). Les hommes plus agés restaient sur le littoral et continuaient à chasser le gibier marin. Cette répartition impliquait un partage équitable des produits obtenus.
Vladimir Randa : page 107 -

Partager les rôles pour que chacun trouve sa place.

L’attitude des Inuit à l’égard des animaux est avant tout pragmatique, dictée par la nécessité. Fondamentalement, la question de la légitimité de la prédation humaine ne se pose pas dans la mesure où celle-ci découle pour ainsi dire des faits. Le raisonnement des Inuit va plus loin : pour prospérer, les animaux ont besoin d’être chassés. Humains et animaux ne sont donc pas perçus dans un rapport antagoniste mais une relation réciproquement bénéfique. - Vladimir Randa : page 111 -

S’il est légitime de tuer pour pourvoir à ses besoins, il est prohibé de tuer plus qu’on ne peut consommer, transporter, conserver ou stocker. En principe, toutes les parties consommables de la carcasse doivent être prélevées, de même que la peau. On ne doit en aucun cas infliger des souffances physiques inutiles ou des blessures morales, par exemple la moquerie, même en ce qui concerne les animaux aussi insignifiants que les insectes. C’est le message délivré aux enfants dés leur plus jeune âge, notamment par les femmes. - Vladimir Randa : page 112 -

Gaspillage de la vie et des ressources rigoureusement impensables mais les considérations morales qui s’y ajoutent indiquent une conscience de la vie globale et pas seulement un réflexe instinctif.

La couture est un repère structurant pour les individus et la jeune fille commence très tôt ses premiers travaux. La première paire de kamiik (bottes) sera souvent offerte à ses grands-parents ou à la sage-femme qui a présidé à sa naissance, comme preuve de son attachement à la tradition et à son respect des règles de partage. - Cécile Herrmann : page 127 -

Au programme des premiers cours d’éducation : le don ...

Comme l’animal s’est offert et pour assurer son retour, on prendra soin de lui en distribuant généreusement sa chair et la couturière confectionnera des vêtements un utilisant les pièces de sa peau selon leurs dispositions originales. La peau des pattes sera utilisée pour les bottes et les moufles, celle de la tête deviendra un capuchon, la fourrure du garot et de l’échine couvrira les épaules et le dos celle de la croupe sera transformée en pantalons. Cet assemblage identificatoire reproduit à sa manière l’harmonie de l’univers. - Vladimir Randa : page 128 -

On ne prend pas la vie de l’animal mais il l’offre. Non seulement celui-ci participe à l’harmonie mais de ce don découle le respect du bénéficiaire. Pas de domination ou de rapport de force, mais un échange.

Trois modes de circulation des denrées alimentaires sont en vigueur :
 le commensalisme (visite aux voisins, invitations et formes plus festives)
 Partage entre chasseurs dépendant de la participation réelle ou symbolique (bénéfice de la capture pouvait revenir à celui qui l‘apercevait)
 Le don stucturé essentiellement autour des relations de parenté (membres de la famille, homonymie, membres de la communauté,...) - Yohann Cesa : page 184 -

Par ces trois modes, l’ensemble de la communauté bénéficie des denrées. Comme les cercles d’une pierre jetée dans l’eau, le don inonde l’intégralité de la communauté

Justice

Pas de système juridique structuré, les règlements de conflits se caractérisaient essentiellement par leur souplesse en vue de rétablir rapidement la paix et leur efficacité compte-tenu de la cohésion du groupe.

La norme voulait cependant que l’on n’intervienne pas dans les affaires des autres.

Il arrivait souvent que la partie victime décide d’ignorer le délit, non par résignation mais par évitement ou ignorance du conflit. On pardonnait souvent surtout si le contrevenant s’était amendé lui-même. On intervenait cependant lorsque la survie du groupe était en jeu mais ces interventions visaient moins à sanctionner l’individu qu’à rétablir l’ordre et la paix.

En matière d’action publique les Inuit pratiquaient parfois l’expulsion ou l’exécution en ultime recours (pour des délits comme le meurtre, la cruauté, les mauvais traitements, les mensonges répétés, l’adultère, l’abus de pouvoir). L’exécuteur était désigné par la communauté (parent du contrevenant) et n’encourait ni sanction du groupe, ni vengeance de la famille. L’expulsion équivalait souvent à une exécution (environnement arctique). Il existait aussi des cas d’exil définitifs vers d’autres camps. - Pierre Rousseau : page 196 -

L’abus de pouvoir pouvant être puni de mort...sans vouloir me laisser aller à quelques poncifs faciles, voilà une coutume qui transformerait la politique. Je ne veux même pas parler du mensonge...

La communauté pouvait exercer aussi divers moyens de pression comme : confession publique, reproche, avertissement, dérision, humour et moquerie, injures et humiliation, privation temporaire du soutien social (protection du groupe). - Pierre Rousseau : page 200 -

L’exécution ou l’expulsion étaient des cas extrèmes dans lesquels le groupe et sa stabilité étaient en jeu. Une autre approche de la justice éclairait les cas les plus courants et il semble admis que le but est de singulariser l’individu par rapport au groupe. Cette désocialisation est très durement ressentie mais elle ne s’accompagne pas de la privation de la liberté ou de la vie.

On pratiquait plus fréquemment les « duels judiciaires » : duels de coups de poing, coups de tête, de luttes et de chants (chants souvent sarcastiques et le vainqueur était celui dont les chants étaient jugés les meilleurs par le public). - Pierre Rousseau : page 199 -

Laisser dégonfler un conflit dans différentes sortes de joute et toujours le groupe comme jury.

Education

Chez les Inuit, l’apprentissage ne suit pas les mêmes voies qu’en occident. L’enfant jouit d’une grande autonomie dans sa découverte du monde extérieur. Il est encouragé à apprendre par lui-même, essentiellement par l’observation, l’écoute et l’imitation des adultes. Tâche impossible à réaliser lorsque les acteurs de ce processus sont tenus à distance : les futurs chasseurs sur les bancs de l’école et les leurs tuteurs parcourant leurs territoires de chasse. - Vladimir Randa : page 116 -

Le dialogue et l’écoute sont les vecteurs de la transmission de la culture et l’apprentissage réel autorise la mise en pratique immédiate et continuelle. Ici aussi le fossé est grand avec la forme que prend l’éducation dans les pays développés. En ce qui nous concerne et pour les plus chanceux, la responsabilité de la transmission de la culture est donnée à l’éducation scolaire. Le rôle magistral des parents diminue progressivement. La rupture est ainsi beaucoup plus brusque et l’enfant passe en général sans grande transition de l’état d’apprenant à celui d’acteur réel.

C’est souvent un parent rituel ou bien la mère, qui tend à assurer la validation des actions premières (premières paroles, premiers pas, etc...) à travers la narration de l’événement, répétée à l’ensemble des membres du groupe. - Céline Petit : page 210 -

La communauté suit en direct l’évolution de chacun de ses individus...

Les explications orales des adultes sont extrèmement rares car toutes les pratiques ludiques inuit favorisent l’expérimentation. Elle inclut des prises de risques contrôlées et l’acquisition d’une confiance en soi nécessaire à l’innovation. Comme l’enfant est porteur de l’identité de l’ancêtre éponyme, il apparaît comme une personne sociale complète et les interventions verbales tendent à ignorer la directivité au profit de la plaisanterie ou d’injonctions paradoxales pour éprouver les facultés interprétatives de l’enfant. - Céline Petit : page 212 -

Pas de paternalisme ou de directives étroites mais au contraire une joute dans laquelle l’enfant est respecté comme personne à part entière. Il n’est pas question de canaliser la personnalité mais de la laisser s’épanouir par de simples sollicitations.

...mais leur culture et leur intelligence a su leur redonner vie. Renaissance de l’autonomie inuit

Deux grands espaces ont pu être rendus aux Inuit : le nunavik (« le grand territoire habité) d’abord (1975) puis le Nunavut (« notre terre ») (1999) et sur lesquels ils disposent d’une autonomie interne. Les processus de négociations politiques actuels sont menés avec patience, constance et détermination, en conformité avec la pensée inuit et sur la base des éléments fondamentaux du pouvoir traditionnel où l’autoritarisme est fermement évincé au profit de la concertation, de la prise de décision consensuelle et de la cohésion sociale. - Sylvie Teveny : page 162 -

Etats d’âme

Contrairement à ce que peut éventuellement laisser supposer mes commentaires, il ne s’agit nullement ici de sublimer ou d’encenser l’animisme comme seul socle valable de l’humanité. Si l’animisme est sans aucun doute la base commune à toutes les religions d’aujourd’hui, bien qu’elles s’en soient séparées très largement, le propos n’est pas de prôner son retour glorieux.

En tentant ainsi de se soustraire à un rousseauisme caricatural, il n’en reste pas moins que la culture inuit peut très largement nous renvoyer devant nos choix culturels occidentaux et éventuellement leurs limites.

En observant de plus près ce peuple singulier, il apparaît rapidement qui s’il n’est pas exempt de traits peu plaisants (chamanisme, ...), il procède indubitablement de choix réfléchis et intelligents qui ont fait leurs preuves. En tant que preuve nous pourrions n’en retenir qu’une, c’est sa capacité à résister aux chocs que nous lui avons imposé (christianisme, modernité, déplacements,...) et qui ne semblent pas avoir durablement remis en question la vitalité de cette culture.

Alors laissons-nous aller un bref moment. Résistons aux sentiments de supériorité dont nous nourrissons tant nous avons besoin de nous convaincre qu’il ne faut rien regretter. Et bien pour moi, si, j’ai bien quelques regrets et en lisant les coutumes de mon frère Inuit et des amérindiens en général, je me dis que l’autel de notre fatuité commence sérieusement à se fissurer. Lorsque je croise leurs regards étonnés, eux sur le bord de la route et moi dans un train grand vitesse vers un avenir bien trouble, je ne peux m’empêcher de penser que la sagesse n’est pas forcément dans le wagon de tête.

Nous avons édifié nos religions comme symbole de notre évolution spirituelle. Quelle vanité ! La religion n’est pas à l’échelle de l’homme et se moque de l’homme. Tout est organisé pour canaliser la vie présente par des promesses pour une autre, future et paradisiaque.

Si à la base, des règles de vie communautaire ont pu expliquer que des hommes transcrivent les desseins d’un tout-puissant, il semble évident que nous ne retenons de ces desseins que le principe égoïste de nous assurer une après-vie idyllique. Notre rapport à l’autre et à la communauté est relégué au second plan et nous instrumentalisons des vestiges spirituels pour régler nos comptes avec une vie terrienne qui nous échappe. Nous transformons gaiement des préceptes en prétextes et donnons allègrement la victoire au diable.

Pour les Inuit leur spiritualité est dirigée vers les autres et s’exprime avec le temps présent.

Pas d’hypothétiques promesses mais une inscription dans un équilibre quotidien qui irradie leurs actes.

Les iroquois qui laissent adopter leur nouveau-né par un couple sans enfant et établisse ainsi un lien familial spécial avec ceux-ci. Je trouve qu’en un seul acte, ce peuple vient de nous jeter quelques-unes de nos habitudes judéo-chrétienne au visage. Si cette coutume n’attire pas forcément une admiration béate, elle nous pousse à nous poser des questions sur certaines choses que l’on croyait acquises. L’amour parental n’est donc pas issu de l’instinct ? S’il est instinctif, c’est que l’amour des autres lui est supérieur ? Le moteur de notre incompréhension d’un tel cas, ne serait-il pas dans une certaine mesure notre sens de la propriété ? Comment expliquer la possibilité des Inuit et des Amérindiens à reconsidérer la famille par des liens autres que ceux du sang ?

Comment semblent-ils réussirent à mêler respect de l’individualité et respect de la communauté ? Est-ce en inculquant le don comme une des expériences premières de la société ?

Pourtant rien ne semble indiquer qu’ils formatent les enfants dés leur naissance.

Comment en procédant ainsi, parviennent-ils à garder une cohésion aussi parfaite ?

Au contraire, n’est-ce pas justement une de nos particularités ?

Qui parmi nous laisserait un enfant exprimer autant sa personnalité et lui attribuerait autant d’autonomie ? Des mécanismes complexes de blocage nous paraîtrons vite insurmontables, comme la peur qu’il soit vraiment différent, la peur qu’il soit inadapté à notre merveilleuse société, la peur de ne pas savoir le guider sur un chemin différent, la peur de paraître différent aux yeux des autres, la jalousie aussi un peu ? ... Que dire de l’importance de la parole dans son apprentissage ? N’est-ce pas un outil que nous délaissons petit à petit ou que nous laissons à d’autres ? J’ai parfois le sentiment diffus que nous confondons éducation, transmission et formation et qu’un des buts inconscient ou non de la scolarité actuelle, reste le formatage et le cadrage.

Nos chemins ont été bien différents, c’est un fait certain. Je pourrais continuer à mettre en relief nos différences (liens avec les aînés, opposition du verbe avoir et du verbe être) mais je préfère vous laisser une partie de cet exercice.

Le chemin parcouru par les Inuit depuis huit mille ans a peut-être été tourmenté le plus durement ces dernières années. Leur intégration est remarquable et ce peuple n’a rien à envier à personne. L’idée d’une imminence de la fin du monde dans leur cosmologie est inquiétante pour leur communauté semble t’il (page 77, Frédéric Laugrand) et je souhaite très sincèrement que ce ne soit que le signe de leur renaissance.

Références concernant les données sur les inuit (auteurs et numéros de pages) :

L’espace Culturel Inuit :

Extraits issus du livre au format de poche : "Les Inuit de l’Arctique canadien" ISBN : 2-922876-05-5 , collection « Francophonies ». Huret Pauline (dir.), Cidef-Afi/Inuksuk, Québec, 2003 .En vente à l’Espace culturel inuit.

Remerciements à Sylvie Teveny pour sa confiance et sa gentillesse.

Les considérations sont personnelles et n’engagent que moi. Elles ne sont en aucun cas reprises de l’ouvrage ci-dessus qui reste factuel et totalement objectif.

http://www.e-torpedo.net/article.php3?id_article=448