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Plus de cinquante ans de mensonge officiel sur la disparition de Maurice Audin

Publie le lundi 2 février 2009 par Open-Publishing
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Plus de cinquante ans de mensonge officiel sur la disparition de
Maurice Audin

Le premier janvier de cette année, Michèle Audin, fille de Maurice
Audin, assistant de mathématiques à l’université d’Alger, membre du
Parti Communiste Algérien et militant anti-colonialiste arrêté à son
domicile le 11 juin 1957 par des militaires du premier régiment de
chasseurs parachutistes de l’armée française commandé par le général
Massu et disparu le 21 juin de la même année, refuse la Légion
d’honneur. Gérard Tronel, refondateur du nouveau prix Maurice Audin de
mathématiques, « tentative pour faire naître la vérité » sur la
disparition du jeune mathématicien, en relation la famille Audin, fait
le point sur cette « affaire » avec Liberté 62.

Liberté 62 : « Figurant sur la liste du 1er janvier 2009 des nominations
au grade de chevalier de la Légion d’honneur sur le contingent du
ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, Michèle Audin,
professeur de mathématiques à l’université de Strasbourg et fille du
mathématicien Maurice Audin disparu officiellement à Alger au cours
d’une « évasion » en 1957, a refusé cette décoration dans un récent
courrier au président de la République. Pouvez-vous nous expliquer les
raisons de ce refus ? »

Gérard Tronel : « Le refus de Michèle Audin est motivé par l’absence de
réponse du président de la République à une lettre ouverte adressée le
21 juin 2007 par sa mère, Josette Audin, au moment du cinquantième
anniversaire de l’« évasion » de son père.

Depuis plus de cinquante ans des mensonges ont fait de Maurice Audin,
jeune mathématicien assistant à la faculté des sciences d’Alger,
militant communiste, arrêté par les parachutistes français, torturé, un
« évadé ». L’« évasion » se serait produite pendant une opération de
transfèrement d’un lieu de torture à un autre. En fait, comme le suppose
l’historien Pierre Vidal-Naquet dans son livre L’affaire Audin, Maurice
Audin serait mort sous la torture et l’« évasion » aurait été un scénario
monté de toutes pièces par les militaires responsables de ce forfait
ignoble, forfait couvert par les autorité civiles, militaires et
politiques de la France. Bien des tentatives ont été faites pour
connaître la vérité sur cet événement dramatique de la guerre d’Algérie.

Si l’affaire Audin a pu voir le jour dès juillet 1957, c’est grâce au
courage et à la détermination de Josette Audin qui a alerté Laurent
Schwartz, grand mathématicien français, membre du jury de la thèse de
Maurice Audin. Pour essayer de connaître la vérité et pour protester
contre l’usage systématique de la torture qui se généralisait en
Algérie, un comité Audin a protesté sans relâche, mais en vain. Des
procès n’ont jamais abouti, des demandes d’accès aux archives sont resté
sans réponse. Les lois d’amnistie voté peu après la fin de la guerre en
1962 ont mis une chape de plomb sur tout ce qui touche de près ou de
loin à l’affaire Audin. Les plus hautes autorités de l’Etat, lors de
l’affaire Dreyfus avaient reconnu les crimes de forfaiture qui avaient
envoyé le capitaine Dreyfus au bagne, concernant Maurice Audin elles
s’en tiennent à la thèse invraisemblable de l’« évasion ».

Par son refus Michèle Audin demande au nom des siens que cessent les
mensonges, elle demande l’accès aux documents qui prouveraient que son
père est mort dans des conditions atroces, pour des motifs inavouables ;
sa protestation pourrait aussi s’étendre à tous ceux qui ont « disparu »
dans des conditions analogues, notamment au cours des « corvées de bois »
ou qui ont été « suicidés » comme maître Ali Boumendjel. »

Liberté 62 : « A l’initiative de l’association Maurice Audin, le Prix de
Mathématiques Maurice Audin a été recréé en 2004. Quel sont les buts de
cette association ? »

Gérard Tronel : « J’ai fait allusion au comité Audin, je vais revenir sur
ses actions. Le comité a été créé en 1957 par des intellectuels, j’ai
cité les noms de Laurent Schwartz, de Pierre Vidal-Naquet, j’ajouterai
Madeleine Rebeyrioux. Le comité Audin avait pour objectifs la recherche
de la vérité sur la mort de Maurice Audin, mais aussi la lutte contre la
torture, la fin de la guerre et son corollaire : l’indépendance de
l’Algérie, même si sur ce dernier point l’accord n’était pas toujours
unanime. De plus le comité Audin, soutenu par une partie de la
communauté mathématique, a décerné de 1958 à 1963 un prix de
mathématiques dont tous les lauréats, jeunes à l’époque, sont devenus
des mathématiciens de réputation internationale. La fin de la guerre en
1962, l’épuisement des fonds du comité, la lassitude de la poignée de
militants qui avaient fait vivre le comité Audin, la tournure prise par
les querelles politiques des pouvoirs en Algérie, ont mis en sommeil
toutes les activités du comité et la disparition du prix.

C’est en 2002, à l’occasion d’une réunion, à la Mairie de Paris, du
comité pour l’attribution du nom de Maurice Audin à une rue de la
capitale, que j’ai proposé à Laurent Schwartz de recréer un prix de
mathématique ; il a accepté de soutenir cette initiative. A l’origine ce
prix devait être remis une seule fois, à l’occasion d’un événement lié à
la mort de Maurice Audin, - le cinquantième anniversaire de sa
disparition approchait. Après discussion avec des collègues
mathématiciens qui approuvaient cette initiative il a été décidé de
créer un prix Audin de mathématique qui serait décerné chaque année à
deux jeunes lauréats, l’un algérien, l’autre français. Le montant du
prix est de 3 000 euros à partager entre de les deux lauréats. La
première remise a eu lieu en 2004. Comme il était difficile de gérer ce
prix et que la gestion de fonds, certes modestes, ne pouvait pas se
faire sans couverture officielle, l’association Maurice Audin a été
créée, l’un des membres influents du comité Audin n’ayant pas souhaité
que le comité Audin renaisse de ses cendres. L’association s’est fixé
comme objectifs l’organisation du prix, la défense de la mémoire de
Maurice Audin en luttant pour la recherche de la vérité sur son « évasion ». »

Liberté 62 : "Quelle demande feriez-vous aux autorités
publiques pour faire aboutir votre démarche ?"

Gérard Tronel : « Il ne faut pas oublier que pendant la guerre d’Algérie
des crimes de guerre ont été commis au nom du peuple français et que les
autorités qui représentaient le peuple français doivent rendre des
comptes au peuple français. Comme je l’ai dit, l’association Maurice
Audin œuvre aussi pour la vérité ; deux lettres adressées au président
de la République en 2005 et en 2006 sont restées sans réponse. Des
rumeurs laisseraient croire qu’il n’existerait pas d’archives et que nos
demandes seraient sans objet. A qui fera-t-on croire que, dans un pays
qui se veut de droit, qui a publié la première Déclaration des droits de
l’homme, des militaires mandatés par des responsables politiques ont pu
agir sans ordres écrits et sans rendre compte de leurs actions ? Il doit
exister quelque part des traces de mandat d’arrêt, de procès-verbaux
d’arrestation, des comptes rendus d’interrogatoires.

Avec Josette et Michèle Audin et leurs familles, l’association
renouvelle la demande d’accéder à tous les dossiers concernant la mort
de Maurice Audin. Personne ne peut acheter le silence avec des
décorations, la vérité est au-dessus de ces gestes politiques, la vérité
doit être connue maintenant et non plus étouffée comme elle l’est depuis
plus de cinquante ans. Le président de la République a la possibilité de
nous donner satisfaction. Il a la possibilité de faire cesser les
mensonges sur la mort de l’un des nôtres, nous attendons, nous le
jugerons à ses actes. Je le répète, qu’il fasse le nécessaire pour que
nous ayons accès aux archives de la Présidence de la République, du
ministère des Armés, du ministère de l’Intérieur, du ministère de
l’Education nationale. Quelles raisons pourraient être invoquées pour
couvrir du secret la mort d’un homme torturé et assassiné au nom d’une
cause perdue par la faute d’une politique coloniale qui avait provoqué
tant de drames, de morts injustes et inutiles ?

Propos recueillis par Jérôme Skalski.

http://www.liberte62.com/

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