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Politique numérique

Publie le mercredi 31 octobre 2007 par Open-Publishing
3 commentaires

de Jack Ralite

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes chers Collègues,

Le contexte de cet important débat, dont je regrette cependant qu’il ne soit pas suivi d’un vote, doit nous faire réfléchir. Le rapport Levy-Jouyet sur l’économie de l’immatériel, qui consacre une large place à la question du dividende numérique, notant qu’il constitue une "opportunité historique à saisir pour soutenir l’innovation", recommande de recourir, pour la privatisation des fréquences hertziennes, à la procédure de l’enchère. Est-ce légitime dès lors qu’il s’agit d’attribuer un droit d’accès aux ressources collectives ?

Autre impératif, à en croire ses auteurs, prendre en compte la convergence entre le secteur des télécommunications et celui de l’audiovisuel, ainsi qu’entre contenu et diffusion, et "affecter mieux qu’aujourd’hui les fréquences en fonction de leur utilité économique" ! On sait que les conclusions de ce rapport sont déjà appliquées aux musées ; l’audiovisuel doit suivre.

Avant-hier, à l’ouverture du Midcom, Mme la ministre de la culture annonçait une « loi globale » à la fin du premier trimestre 2008 : hausse des volumes publicitaires, assouplissement des obligations de production et levée des seuils anticoncentration. « Tout est positif dans ce projet » concluait un courtier en bourse... L’action de TF1 a augmenté le même jour de 12,76 %, celle de M6 de 8,25 %, celle de Canal+ de 7,87 %. Mais, le groupe Alcatel Lucent en est à son troisième avertissement sur des objectifs financiers avec licenciements.

Le Président de la République, dans sa lettre de mission à sa ministre de la culture, demande que les aides publiques à la création favorisent une offre répondant à l’attente du public, ajoutant que des synergies trop longtemps différées doivent être mises en oeuvre pour France Télévision, avec après expertise des modifications de structure. Voilà qui dit assez combien l’esprit des affaires prétend en imposer aux affaires de l’esprit. Si l’on y ajoute la tâche, confiée par l’Élysée à la Garde des sceaux, d’alléger et surtout, de dépénaliser le droit des affaires, on comprend désormais la convergence entre le Medef et le Gouvernement en vient à inventer le réel, comme au temps où Robert Hersant déclarait fièrement : « J’ai une loi d’avance. » De fait, les lobbies sont de plus en plus entreprenants, de plus en plus influents. Orange, SFR, et Bouygues, n’ont-ils pas obtenu, avec la loi de 2006, le marché de la téléphonie mobile personnelle, qui représente 50 millions d’usagers, alors même qu’ils avaient été condamnés par le Conseil de la concurrence pour entente illégale ?

Je le redirai inlassablement, parce que le mélange entre technologie et économie est aujourd’hui victorieux, comme une utopie qui « aurait réussi », Jules Vernes dans le réel, alors que l’utopie sociale s’est effondrée. Il faut démystifier ce phénomène, rejeter cette causalité fatale, cette technique instrumentalisée comme un fatum. Il faut rendre à chacun ce que réclame chaque soir, sur la scène des Bouffes du Nord, un personnage de la pièce de Joël Sommeral : « Je veux mon avenir ! » Quand je pense qu’il y a quelques années, dans un colloque au Sénat, Alain Madelin déclarait sans rire : « Les nouvelles technologies sont naturelles comme la gravitation universelle ? », transformant leurs inventeurs en êtres subsidiaires.

Notre débat est un débat de société. Il a une dimension éthique. Ne laissons pas sous-traiter nos imaginaires, nos intimités, par la combinaison de la fatalité technologique et de la financiarisation du monde. Je l’aurai dit à la ministre si elle était venue, comme elle aurait du le faire. Je vous le dis à vous, monsieur Retailleau : pensez fort à ces propos lorsque vous participerez aux assises de la convergence audiovisuelle, le 23 octobre, au Sénat. Mon utopie à moi est celle de Vitez, de Vilar, de l’immense Diderot des Lumières, c’est une alliance à construire entre forces du travail et forces de la création artistique, scientifique, technologique.

Un bien public rare comme les fréquences hertziennes doit-il, pour répondre aux attentes de la Commission européenne, être privatisé et mis aux enchères pour favoriser le marché de la téléphonie mobile ? Je cite encore le rapport Levy-Jouyet : « Cette possibilité de rebattre régulièrement les cartes est une exigence économique pour que le développement de technologies innovantes et prometteuses ne soit pas compromis par une protection excessive des situations acquises. » L’échec retentissant de la mise sur le marché des licences UMTS en Europe a pourtant coûté 300 milliards, l’équivalent du coût d’un réseau haut débit européen.

Le rapport Jouyet-Levy rappelle tranquillement que « l’expérience de l’UMTS ne doit pas conclure à exclure le bien-fondé de la procédure d’enchère comme mode d’attribution du droit d’accès aux ressources collectives ». Une telle affirmation est très grave même si elle ne concerne que les États-Unis.

En outre, il ne faut pas oublier que les dix années écoulées ont connues bien d’autres déboires. Ainsi, France Télécom et Vivendi, du temps de Michel Bon et de Jean-Marie Messier, ont bien failli faire faillite en 2001 : leurs dettes cumulées se montaient alors à 110 milliards. Ces deux grands champions avaient connu un pic de leurs investissements entre 1995 et 2005 puis ils les ont réduits de 2,8 à 2,2 milliards tandis que la part du chiffre d’affaire consacrée à l’innovation passait de 3,7 à 1,7 %. Notre collègue Retailleau rappelle d’ailleurs ces chiffres. Ces champions n’ont dû leur salut qu’à la vente de leurs bijoux de famille malgré le développement du mobile. Sans doute vous rappelez-vous de mes nombreuses interventions sur Vivendi : à l’époque, la majorité les a toutes écartées et elle a notamment refusé la création d’une commission d’enquête, comme elle l’a d’ailleurs fait il y a deux jours pour EADS. A l’époque, vous souteniez ces deux champions et aujourd’hui, vous voila repartis pour faire de même ! Après ce tableau noir, voici quelques propositions avec, à l’esprit, une pensée de Camus dans l’Homme révolté : « Au bout de ces ténèbres, une lumière est pourtant inévitable que nous devinions déjà et dont nous avons seulement à lutter pour qu’elle soit ».

Il est proposé un commissariat au numérique rattaché au Premier ministre : il existe déjà 150 structures de ce type, il y en aura donc une cent-cinquante-et-unième ! Pour réformer l’État, on peut faire mieux ! En fait, cette structure n’aurait pour but que de donner un seul interlocuteur numérique aux lobbies des téléphones mobiles. Nous voulons garder les instruments existants tout en les démocratisant et nous ne sommes pas favorables à la fusion entre le CSA et l’ARCEP. Si elle peut apparaître justifiée, elle reviendrait pourtant à marginaliser les questions de contenu.

Comme je l’avais déjà proposé lors du débat sur la télévision du futur, nous demandons une charte numérique qui permette de définir les droits d’accès, la solidarité, l’éthique, la responsabilité et le projet éducatif du numérique. Cette charte ferait place aux créations originales en prenant en compte la diversité des outils disponibles. Des assises réuniraient public et privé, s’élargiraient au monde, et d’abord à l’Europe, afin de garantir toutes leurs places à une information pluraliste et critique ainsi qu’au mariage de la « belle numérique » et de la « bête fabuleuse » comme le disait André Breton au sujet de la création. C’est ainsi qu’on donnera sens au passage au numérique et que sera respectée la dignité de chacune et de chacun. Il faut une ambition qui dépasse la seule vision experte. Il faut infléchir le devenir technoscientifique, car il ne suffit pas, à lui seul, à faire un monde humanisé, producteur de civilisation. Nous devons relancer l’investissement, notamment dans l’industrie culturelle, dans la création artistique et la recherche. J’ai bien dit industrie et non pas finances. Les fréquences hertziennes doivent être considérées comme un bien public au sein d’un service public : elles ne peuvent donc être vendues, privatisées, mises aux enchères. Un bien public peut se louer mais, en aucun cas, se vendre !

Le discours idéologique sur l’économie de l’immatériel souligne l’importance de la connaissance et de la culture dans la société et l’économie mais vise à les standardiser en actifs comptables pour les soumettre à une financiarisation généralisée. Au nom du dogme managérial dont traite si bien Pierre Legendre, le capitalisme cognitif vise à vampiriser toute la sphère de l’esprit et de l’imaginaire dans le travail, l’entreprise et dans la vie quotidienne. Or il est possible de penser et d’opposer un processus alternatif qui s’appuie sur la publicisation, la démocratisation et l’humanisation comme l’avaient proposés les États généraux de la culture. Les productions de l’esprit, de la culture de l’éducation et la création sont des biens de l’humanité. Il conviendrait de réfléchir à de nouveaux services publics en définissant de nouveaux droits fondamentaux. L’article premier serait ainsi rédigé : « La protection du vivant, de l’environnement et des produits de l’esprit constitue un cercle sacré. Il s’agit d’un bien commun de l’humanité, non marchand et inviolable ». Ce bien commun mondial pourrait être défini comme une res publica planétaire. Je crois en une utopie concrète grâce à une nouvelle définition de la solidarité et de la mutualisation, bref, à une association universelle de l’humanité.

http://www.groupe-crc.org/article.php3?id_article=3503

Messages

  • La frontière posée par Ralite sur l’inviolable bien commun des ondes est une bataille juste et très très importante. Cet aspect mérite qu’on le défende bec et ongles.

    Cette frontière dessine en creux quelque part une politique du numérique de communication, inspirée par la recherche de la liberté des hommes et par la recherche de la démocratisation de l’échange.

    En effet, plus rien ne justifie la place des opérateurs télécoms sur les ondes et sur les fils. Ils sont devenus de simples guichets où les compteurs tournent et versent dividendes aux actionnaires sans que service ne soit rendu réellement. Pire, les prétextes qui ont servi à l’irruption de ces boites à fric sont éteints : Concurrence (ils ont été condamnés pour entente) et investissements (ils sont faits).

    Pire encore ils deviennent des obstacles face aux progrès techniques opérés qui sont bloqués le temps que ces braves gens obtiennent droits et guichets pour continuer de tondre.

    Les chaines de télé et de radios, utilisant le bien commun des ondes sont devenus également des ententes où la voix de son maitre domine pour l’essentiel.

    L’utilisation du bien public de tout ce qui passe par les ondes, le cable et le fil, doit retourner totalement au bien public, afin de rendre à la population usage démocratique de celui-ci. L’effort d’une politique publique doit porter sur la socialisation de tous les couts de l’échange, afin que celui-ci corresponde à même force à l’air que nous respirons. L’encouragement à la créativité devant porter sur des aides pour que soient inventés des communications gratuites permanentes, sur un abaissement décisif des couts de création des chaines de télé numériques, des radios numériques, à telle fin que quiconque ait les moyens de construire ces médias à même puissance que les autres. Alors oui des appels d’offre peuvent se faire en ce sens pour récompenser ceux qui seraient capables (individus, associations , créateurs, entreprises, etc) d’aider à trouver des solutions qui soient encore moins couteuses, plus efficaces, plus décentralisées, plus protectrices des individus et de leurs libertés, à de bien plus hauts débits, moins sujets aux attaques des centralisateurs, des entreprises privées et publiques, moins espionables.

    Le haut et très haut débit pour le net est au cœur de toutes ces batailles, par fibre, par fil, par ondes WIFI, WIMAX, ainsi que d’autres systèmes moins connus en route vers la maturité, posent les jalons d’une socialisation des couts permettant que se construise un monde de la connaissance et de la démocratisation de celle-ci, un monde de l’échange non construit sur des hiérarchies sociales de classe.

    D’emblée, une politique publique audacieuse aurait tous les moyens techniques à sa disposition pour rendre au peuple ce qui lui appartient. Il faut voir fort et couvrir tout le territoire, + une partie de l’Europe d’un réseau puissant, gratuit, sans censures, que la population puisse maitriser et diriger, qui libère des énergies. Là où quelques chaines à paillettes sarkozystes et ultra-libérales avaient seules le droit de balancer leurs propagandes sur une population passive, le numérique offre maintenant possibilités de faire des chaines sans paillettes pour le prix pratiquement d’un site internet (c’est donc là que doit porter l’effort pour développer et démocratiser l’expression), là où des opérateurs télécoms se mettaient d’accord entre eux pour tondre la population de près, la promesse numérique permet d’emblée, en l’état des connaissances et possibilités techniques de se passer des opérateurs , rendre gratuit et décentralisés totalement ou presque le réseau.

    Il faut voir grand et large, une partie de la marche vers une autre société (sans que celle-ci soit au rabais) passe également par cette bataille du numérique. Ca passe également par la contre-partie de lois protectrices de la liberté sur le net et du respect de ses capacités auto-organisatrices. Ca passe par une politique sociale qui permette aux populations les plus déshéritées d’y accèder (gratuité du réseau, aides à l’obtention de matériels, aides à l’utilisation, aides à la création pour que ça ne se résume pas à une simple augmentation de la capacité à consommer de la merde, etc).

    Une politique du numérique se conçoit donc comme sociale et comme appelant à un tsunami de la liberté d’expression, non pas résumée au droit de quelques intellos triés sur le volet, mais par l’extension au plus grand nombre.

    Copas

    • Merci Copas,

      fraternellement

      Boroh Piotr

    • De rien mon ami.

      Ce que je voulais c’est déterminer une politique d’ensemble qui permette de s’orienter dans chaque débat touchant un segment des médias, du net, des télécoms, du numérique, de la liberté d’expression et du droit des classes populaires d’avoir maitrise sur ces sujets.

      Je suis intimement persuadé qu’on se perd dans tous ces débats si on n’a pas une détermination construite sur des objectifs profonds et clairs.

      Par ailleurs, le numérique actuel, les médias actuels, les télécoms actuels sont bien des exemples basiques de modèles qui brident l’essor des forces productives de la société (j’entends par essor des forces productives un essor de progrès, c’est à dire qui adoucisse le sort des humains, les rendent plus libres et ne dévorent pas le substrat de leur existence : la nature).

      Nous nous trouvons dans une situation où les privilèges du marché d’entreprises géantes aux lèvres cloquées sur le biberon de l’état, entrent en opposition brutale au progrès. Le marché actuel dans ces domaines avec ces entreprises, est une construction réactionnaire, froussarde à la moindre innovation qu’elle combat et bloque le temps qu’on lui confirme officiellement ses privilèges (voir les majors du disque et leur attitude par rapport au net, et les privilèges inouïs qu’ils ont obtenu de l’état : droit d’espionnage, menaces sur la liberté, menaces sur les fournisseurs d’acces au net, menaces sur les logiciels, et les serveurs de redistribution de fichiers, etc).

      Cette affaire du numérique, des systèmes de communications et des médias, montre bien donc l’opposition brutale de groupes financiers et industriels couchant dans le même lit que la nomenclatura bourgeoise d’état , face à l’esprit de la liberté, de l’essor de la société, de l’essor des échanges entre les hommes, les femmes, ... (le + drôle c’est qu’à droite il n’y ait que Bayrou qui se soit rendu compte que le numérique était une question explosive et que la politique actuelle bridait les libertés en même temps que les forces productives, mais il n’a pas le mode d’emploi que nous avons nous sur ce problème, étant plus libres).

      Nous sommes le parti de la liberté et du progrès, on le prouve.

      Copas