Accueil > Pour Rajna et Pavlina

de CARLA CASALINI traduit de l’italien par karl&rosa
La valeur ajoutée à ce moment disjoncté...", bat le Canto Blues alla Deriva de Franco Sasso et il revient à l’esprit pour le situer dans d’autres lieux, dédié à d’autres vies, à Rajna et Pavlina Ljubenova, dont nous connaissons peu de rêves et de désirs, des ouvrières de la fabrique italienne de chaussures Euroshoes de Dupniszta, qui occupe 160 salariées bulgares dépendant de l’entrepreneur des Marches Claudio Marocchi. Il est difficile d’apprendre de lui combien de valeur ajoutée il en a tiré avant qu’elles ne meurent, toutes les deux, d’un ictus, d’un infarctus, sur leur lieu de travail. En Bulgarie, cette histoire a occupé les médias, avec nombre d’attaques aux entrepreneurs étrangers, mais aussi avec des accents sur la corruption dans les inspections du travail et sur les "sanctions minimes" prévues par la loi.
"Nous sommes habitués à voir les institutions et les organes de contrôle de l’état intervenir toujours post mortem", dénonce l’écrivain Georgi Gospodinov (dans le site Bulgarie-Italie), et pourtant "c’est un secret de Polichinelle que dans des centaines d’entreprises de chaussures et d’habillement, souvent à capital étranger, on parle d’horaires de travail de 12, 14, 16 heures, d’émissions nocives, de bas salaires : on admet que plusieurs propriétaires de telles entreprises ont acheté le droit de ne pas subir de contrôles".
Gospodinov expose aussi "le côté plus sombre" de la situation : presque aucun salarié n’ose protester, "la règle non écrite est que tout mécontentement est payé par la perte de l’emploi". Et justement dans les zones parsemées de telles usines, le chômage sévit. "Je connais une vieille femme - témoigne l’écrivain - qui travaille dans un pressing avec une paye journalière de 1 leva (0,50 euros). Mais elle est reconnaissante parce qu’elle a un travail.
Dans les statistiques, les histoires de ces femmes et de ces hommes se désincarnent dans d’arides chiffres : entre 1990 et 2005 plus de 2200 Bulgares "sont morts sur leur lieu de travail", des milliers se sont mutilés, aujourd’hui au moins 300.000 travaillent dans des conditions à risque".
Abandonnés, dans ces entreprises même la seule inscription à un syndicat est impensable, ces régions de l’Est de l’Europe sont devenues les arrière-boutiques de l’Ouest, la valeur ajoutée à ses griffes. Le philosophe allemand Peter Sloterdijk, dans une interview à il manifesto me taquinait, sarcastique, sur "l’unification européenne" et, en se souvenant de l’unification de l’Allemagne : les vieux Européens sont comme "les sociétaires d’un club de tennis", qui invitent les "nouveaux" mais qui savent qu’ils ne les feront pas jouer.
L’Italie est parmi ces sociétaires. No logo ? En ce que nous savons, le syndicat textile de chez nous semble n’avoir rien fait pour les ouvrières de la Euroshoes, et portant cette usine travaille comme sous-traitante pour l’entreprise des Marches Linea moda, dont le titulaire résulte être toujours monsieur Marocchi.