Accueil > Pour un pôle public du médicament

Pour un pôle public du médicament

Publie le vendredi 9 mars 2007 par Open-Publishing
4 commentaires

Lire : Quelle réforme pour la Sécurité sociale ?

Pour une nouvelle politique du médicament en France.

de Dr Michel Limousin médecin chef du centre de santé de Malakoff, membre du conseil de campagne de Marie-George Buffet

L’industrie pharmaceutique a une position paradoxale aujourd’hui dans notre pays, position dont il faut bien mesurer les contradictions.

D’un côté c’est une industrie en pleine prospérité capitalistique : industrie puissante, secteur économique de pointe utilisant des technologies sophistiquées, employant 99400 personnes en France bien souvent hautement qualifiées.

La capitalisation boursière est en pleine expansion avec une rentabilité incontestable : ces sociétés sont des vedettes de la bourse. La mondialisation de ce secteur est très avancée, les entreprises sont très souvent multinationales, leur marché dépasse le cadre des frontières ; on ne distingue plus vraiment les sociétés nationales françaises des sociétés multinationales.

L’industrie pharmaceutique mondialisée a un chiffre d’affaire qui la rend plus puissante que certains Etats ! Les regroupements – restructurations – concentrations – licenciements boursiers voulus par les libéraux sont très avancés. Bref, nous avons là le concentré de la politique ultra-libérale mondiale. Ainsi l’industrie pharmaceutique est-elle l’industrie la plus profitable au monde en concurrence avec l’industrie de guerre. Elle a la chance de s’appuyer sur un marché en expan-sion constante : les besoins à couvrir sont immenses, considérés comme prioritaires par les populations et largement solvabilisés par les mécanismes publics ou collectifs (Sécurité sociale, mutuelles, assurances, collectivités publiques ou Etat).

D’un autre côté cette industrie est confrontée aux limites de cette logique. Les besoins de la population rentrent en contradiction fondamentale avec la logique de marché. Si bien qu’aujourd’hui de nombreuses questions se posent. Peut-on considérer que, eu égard aux énormes moyens dont elle dispose, cette industrie répond bien aux besoins de la population ? Est-ce qu’elle fournit réellement les produits utiles et indispensables aux malades dans l’ensemble des domaines de la pathologie ? Est-ce qu’elle offre des produits sécurisés tels que l’exigent les consommateurs ? Est-ce qu’elle agit selon le principe de précaution ? Favorise-t-elle le savoir scientifique dont elle a besoin ?

On peut porter la critique sur plusieurs points incontestables :

• Sur le plan éthique : elle obéit aux lois de fer de la rentabilité. En conséquence elle protège ses intérêts par l’intermédiaire de ses brevets y compris lorsque cela la conduit à refuser aux populations pauvres du tiers monde l’accès au médicament. Qu’on pense à ce véritable crime contre l’humanité qui consiste à laisser l’Afrique mourir du SIDA. Mais elle protège aussi ses intérêts en France lorsqu’elle préfère la liberté des prix au libre accès de ses médicaments les plus modernes aux populations démunies. Qu’on pense au refus de demander le remboursement des pilules contraceptives de troisième génération pour garder un prix de vente élevé. Pour le médicament, la financiarisation poussée à l’extrême induit une perte totale de sens. La démonstration est faite que ce capitalisme pharmaceutique n’a pas la volonté de répondre aux besoins de l’humanité : il exploite simplement un marché.

• Sur le plan de la santé publique : elle refuse de faire de la recherche lorsque le marché n’est pas intéressant . Que ce soit pour le Tiers Monde où des dizaines de millions de gens – marché sans ressources - continuent à subir par exemple la bilharziose et le paludisme sans perspectives thérapeutiques. Que ce soit dans le monde entier où les maladies minoritaires et orphelines – marché trop étroit pour être rentable –, ne sont l’objet d’aucune étude sérieuse.

• Sur le plan scientifique : elle n’investit pas dans la recherche fondamentale parce que le retour sur investissement est aléatoire et de toute façon à long terme, bien loin des exigences immédiates de la bourse. Or ce tarissement des sources de la connaissance porte en lui-même le blocage futur des applications et de leur développement. Ainsi peut-on constater que derrière une production profuse se cachent les prémisses d’un blocage dans lequel nous sommes déjà rentrés. Quelles sont les grandes découvertes réellement nouvelles que nous offre aujourd’hui cette industrie triomphante ? On attend encore l’anti-inflammatoire puissant qui ne sera pas dangereux. On attend les médicaments anti-cancer efficaces. On attend les anti-viraux. On attend les antiparasitaires. On attend les médicaments pour les dégénérescences cérébrales. On attend de nouveaux psychotropes sans effets secondaires, pour les états dissociatifs. On attend les vaccins pour ces maladies si terribles qui tuent des millions de gens. On attend les nouveaux antibiotiques. Bref on attend beaucoup, on dépense beaucoup. Et les résultats sont somme toute bien maigres. Nombre des nouveaux médicaments sont des copies d’anciens, des innovations marginales sur des bases moléculaires déjà connues, voire des formes galéniques remaniées pour des indications relookées. L’effort porte beaucoup plus sur l’art de convaincre les prescripteurs.

• Sur le plan économique : la financiarisation de l’industrie pharmaceutique fait monter artificiellement les prix, elle retire des produits utiles mais dont les marges sont insuffisantes, elle maquille ses budgets recherche en affectant à ces budgets des dépenses qui ne relèvent pas de ce secteur, elle ferme des laboratoires de recherche en France et dans le monde entier, elle gaspille des ressources pour la publicité alors que l’essentiel des achats se fait sur prescription et en principe selon des critères rationnels médicaux et scientifiques. Le marketing est basé sur une extension à outrance des prescriptions. Enfin elle utilise abondamment les ressources publiques sans tenir compte des intérêts généraux du pays. L’emploi n’est pas sa priorité. En France les dépenses de médicaments gardent les taux de progression les plus élevés des dépenses de santé sans augmentation constatée du service rendu. La Sécurité sociale est la véritable vache à lait de l’industrie pharmaceutique dans notre pays.

Une autre politique du médicament est donc indispensable en France, en Europe et dans le monde. Cette politique doit s’établir sur des bases nouvelles :

• Sur le plan éthique : une industrie qui ne spécule pas sur la misère du monde mais qui s’attache à faire progresser la santé humaine. La propriété des brevets ne peut pas être opposée à la vie. L’intérêt immédiat à l’espoir. La financiarisation doit laisser la place à l’industrialisation et au développement durable.

• Sur le plan de la santé publique, les intérêts majeurs des populations doivent être pris en compte. Les lois du marché surtout lorsque celui-ci est solvabilisé par des fonds publics ne peuvent alors être appliquées. Le médicament n’est pas une marchandise comme les autres.

• Sur le plan scientifique : une grande politique de recherche fondamentale doit être mise en œuvre permettant ensuite une valorisation par la recherche appliquée.

• Sur le plan économique, l’emploi et la création de richesses à partager doivent être des objectifs majeurs. Une rationalisation et un contrôle de l’utilisation des fonds publics doivent être recherchés. Il faut exiger que la santé soit hors de portée de l’AGCS et de l’OMC et s’inscrive dans un processus d’économie équitable.

Concrètement nous proposons que cette politique repose sur les mesures suivantes :

1) La création d’un pôle public du médicament :

Nous posons la question : est-ce que les nationalisations dans le secteur de l’industrie pharmaceutique seraient opérantes ? Ce n’est pas certain, nous en avons fait l’expérience dans les années 80. De plus la mondialisation les rendrait impossibles. En effet, comment nationaliser une multinationale ? Il faut donc faire des propositions inédites sur des bases éthiques nouvelles qui soient efficaces dans le monde concret et réel d’aujourd’hui. La priorité aujourd’hui, c’est de maîtriser le processus industriel plus que de produire directement. Nous devons réfléchir en intégrant les possibilités fantastiques de ce marché, les contradictions internes de l’industrie telle que nous venons de la décrire, les besoins nouveaux de l’humanité. En particulier on doit constater que les molécules de demain sont encore à découvrir, que l’industrie existante n’a pas beaucoup de réserves de produits novateurs en développement faute d’investissements long terme, et que la concurrence reste ouverte. Le monde de cette industrie n’est pas clos. De nouveaux acteurs peuvent apparaître. N’oublions pas que 75% des maladies ne trouvent pas de réponses médicamenteuses aujourd’hui.

La création d’un pôle public du médicament serait donc l’instrument de cette nouvelle politique industrielle. L’Etat a su montrer par le passé qu’il était le seul capable de promouvoir des politiques industrielles de très longue portée : qu’on pense à l’industrie nucléaire initiée par le CEA ou plus récemment à l’aéronautique. Des investissements publics doivent être faits dans le secteur de la pharmacie et d’abord dans la recherche que laisse tomber l’industrie privée. Un établissement public devrait être créé pour porter cette politique industrielle. Il pourrait être financé par l’Etat mais aussi par des coopérations internationales avec d’autres pays d’Europe ou par des Etats et des organismes publics internationaux concernés. Un projet européen ambitieux trouverait tout son sens ici. Cet établissement passerait des conventions de recherche avec les laboratoires de l’Université, de l’Inserm, du CNRS, du CEA, de l’Institut Pasteur, de l’ORSTOM ou de tout autre organisme compétent ; une contractualisation avec le privé serait possible. Enfin il pourrait initier ses propres laboratoires. Le point central serait qu’il puisse être propriétaire des brevets qu’il a financé et qu’il puisse les commercialiser ou encore fabriquer les produits issus de cette recherche. Ainsi les richesses créées pourraient-elles servir aux investissements nécessaires futurs. Un effort public initial volontaire important et continu est donc à faire. Par ailleurs un droit à la production des molécules utiles mais abandonnées par l’industrie pour des raisons boursières devrait être créé.

On peut imaginer que la gestion de cet organisme soit démocratique pour que les objectifs initiaux de satisfaction des besoins humains soient durablement soutenus. Une place dans le gouvernement de l’institution devrait donc être réservée aux malades, aux usagers mais aussi aux personnels chercheurs : il faut mettre « le médicament » entre les mains des citoyens pour le sortir de celles des actionnaires. C’est la rupture indispensable à opérer.

2) Gérer autrement les fonds publics qui alimentent l’industrie pharmaceu-tique :

a) Le Comité économique des produits de santé qui fixe les prix des médicaments doit être réformée :
• il doit devenir réellement transparente et démocratique : ouverte aux citoyens
• il doit fixer les prix sur le coût réel de l’ensemble de la chaîne de production
• il doit pouvoir faire mettre au remboursement l’ensemble des médicaments utiles
• et favoriser le remboursement à 100%.
La vérité doit être faite sur les coûts de recherche, le coût de la publicité, le poids des profits et la rétribution du capital.
b) La Sécurité sociale doit pouvoir acheter les médicaments dont les assurés ont besoin dans le cadre de la concurrence et utiliser les procédures de marché public. Une baisse des prix est indispensable pour favoriser la prise en charge complète des traitements.
c) Concernant la production et la commercialisation des produits génériques, l’Etat veillera à ce que la qualité initiale des produits ne soit pas sacrifiée sur l’autel de la réduction des coûts.
d) Des garanties sur la préservation de notre réseau de distribution du médicament doivent être apportées. C’est une véritable mission de service public de proximité.
e) Des efforts dans le domaine de la formation doivent être mis en œuvre : formation indépendante garantie des professionnels de santé, formation des chercheurs de cette industrie.

3) Une politique de coopération internationale :

Une nouvelle politique mondiale est à ouvrir. Politique basée sur la coopération plutôt que la concurrence. Politique basée sur la satisfaction des besoins des populations et non des actionnaires. Coopération dans le domaine de la formation des professionnels de santé.

L’idée d’un nouveau rôle de l’Organisation mondiale de la santé est à creuser : elle pourrait devenir pour certains brevets indispensables à la survie des populations (médicaments du SIDA, Grippe aviaire etc..) propriétaire de ces brevets qui seraient alors classés patrimoine de l’humanité et donc accessibles à tous. Il faut en finir avec les rapports de domination des pays riches sur les pays pauvres.

En conclusion, l’industrie pharmaceutique montre les limites de sa gestion ultra-libérale. Aujourd’hui ceux qui critiquent, qui contestent, qui luttent sont de plus en plus nombreux, de plus en plus divers. Des rassemblements très larges sont à construire. Il faut agir pour une maîtrise publique et citoyenne du médicament à tous les niveaux : mondial, européen, national. Dans ce cadre une politique alternative du médicament est à construire, à la fois ambitieuse et concrète.

Messages

  • Petits chiffres intérésants

    1-Le TAHOR statine anticholestérol est vendu 500 000 F le kilo, 5 fois le prix de l’or

    2- Le COVERSIL antihypertenseur est vendu 1 500 000 F le Kilo, 15 fois le prix de l’or

    3- un STENT petit "ressort" pour déboucher les coronaires coûte 1 500 euros,et des centaines de milliers de STENT sont posés annuellement en FRANCE et plusieurs millions aux USA.

    L. BOURSON

  • En effet la question essentielle est posée : :"Nous posons la question : est-ce que les nationalisations dans le secteur de l’industrie pharmaceutique seraient opérantes ? Ce n’est pas certain, nous en avons fait l’expérience dans les années 80. De plus la mondialisation les rendrait impossibles. En effet, comment nationaliser une multinationale ? ""
    Et la répone est décevante,tres décevante.
    C’est encore la sempiternelle économie mixte:risque et investissement pour l’état et profits pour le privé.
    C’est encore une fois,le recul et l’inaction contre la puissance du capital,parcequ’on en a pas la volonté.
    En quoi la collectivité ne pourrait pas "produire"
    Y a ti il une loi naturelle empéchant ,non d’investir,comme le dit l’article,mais juste le moment d’empocher le profit ?

    EDF,SNCF,lesPTT ,l’ORTF,l’Education Nationale, ETC :
    OUI la sociéte peut se passer de la propriété privée pour organiser,produire et faire marcher une économie !
    Reculer devant le conflit avec le capital est une faiblesse qui sera vue comme telle par la bourgeoisie et elle en profitera pour se renforcer
    Quand donc les révolutionnaires assumeront le rôle prépondérant de la classe ouvriere dans l’economie actuelle ?
    Tout est à nous !!!
    le premier devoir d’un révolutionnaire est de faire la révolution disait vous savez qui.

  • Ayant assisté à une réunion sur la santé l’an dernier un médecin original avait fait deux propositions d’ordre technique qui ne sont pas dénuées d’intérêt contre le lobby du médicament :

     la prescription de mollécules par le médecin traitant : en fait les toubibs à partir d’un diagnostic ne nous prescrivent pas en réalité des médicaments mais des mollécules . cela devrait être inscrit sur l’ordonnance et munis de celle-ci nous irions chez le pharmacien qui jouerait enfin son rôle et proposerait les différents médicaments aux patients qui pourraient choisir le moins honéreux pour la Sécu. le médecin retrouverait ainsi sa véritable fonction et le patient serait plus impliqué. cela causerait la ruine des visiteurs médicaux, ce qui serait une excellente chose !!! Les budgets marketting des labos seraient réduits à leur plus simple expression.

     la vente des médicaments à la découpe : lorsque le patient se présente à la pharmacie, après avoir joué son rôle de patient citoyen celui ne repart qu’avec la quantité nécessaire à son traitement. Si je dois prendre un cachat vert 3 fois par jour pendant une semaine, c’est pas la peine de repartir avec la boite de 30....il y a 9 cachets verts qui finiront à la poubelle mais je les aurais payés. Le pharmacien ouvre les boites, sort son petit ciseau et donne la quantité nécessaire, cela se fait je crois dans certains pays nordiques !!

    Sinon je partage le programme du Docteur Limousin.

    Jean-Philippe VEYTIZOUX

    PS : Attention, les personnes très agées qui peuvent être déboussolées par un changement si radical et se mélanger dans les dosages !!! Peut-être le systême pourrait se mettre en place avec l’arrivée des nouveaux assurés majeurs de façon obligatoire et le volontariat pour les autres avec une forte incitation ou une période d’essai pour tous les assurés de moins de 50 ans ?

    • Ben c’est pas avec ses "solutions" que le capital va être effryé !!
      Le decoupe ,et la molecule seront faite dans le cadre du marché c’est tout.
      le profit sera toujours empoché par le secteur privé !!
      J esuis copntre ces propositions qui ménagent et laissent en place les requins de la santé .