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Pour un règlement global, Editorial Politis, Denis Sieffert
Publie le lundi 7 août 2006 par Open-PublishingEditorial Politis, du jeudi 20 juillet 2006
Pour un règlement global
de Denis Sieffert
Avec George Bush, l’histoire est toujours simple. Un micro facétieusement ouvert a capté le fond de sa pensée : « C’est le Hezbollah qui sème sa merde », a-t-il confié en aparté à son complice Tony Blair, au cours du sommet du G8. Ainsi résumée, la guerre qui anéantit une nouvelle fois le Liban relève de l’anecdote. Mais on aurait tort de se gausser de la forte réflexion géostratégique du Président américain. Car, en d’autres termes, c’est la même « analyse » qui domine les discours de la plupart de nos hommes politiques et de beaucoup de commentaires avisés dans la presse.
Nous sommes plongés dans un monde fantasmatique peuplé d’Iraniens et de Syriens qui tirent des ficelles, de chiites poseurs de bombes et lanceurs de roquettes, de « fous de Dieu » qui ne rêvent que d’hégémonie planétaire. Ettout cela sans l’ombre d’une cause. Àceux qui raisonnent ainsi les uns par peur, les autres par idéologie , on a envie de poser une seule question : où étaient donc il y a seulement vingt-cinq ans tous ces mouvements qui « enlèvent aujourd’hui des soldats israéliens » ? Laréponse est simple : il y a vingt-cinq ans, ni le Hezbollah (créé en 1982) ni leHamas (né en 1987) n’existaient.
À leur place, dans la même « guerre », combattaient des mouvements d’obédience plus ou moins marxiste, ounationaliste, en tout cas souvent étrangers à la sphère religieuse. Pourquoi ce rappel historique au moment où un déluge de bombes s’abat sur le Liban et sur Gaza, et que des roquettes frappent le nord d’Israël ? Tout simplement pour que l’on n’oublie pas qu’il y a dans cette région du monde, depuis cinquante ans, une plaie ouverte, et que l’affrontement a bien dû déjà changer mille fois de formes, et les protagonistes mille fois d’uniformes. Ilfut même un temps où les poseurs de bombes étaient les ancêtres politiques de M. Ehoud Olmert, l’actuel Premier ministre israélien.
Il fut un temps, surtout, où le conflit épousait les formes de la guerre froide. Palestiniens, plutôt du côté soviétique, ou chinois, et Israéliens, côté français ou américain, déjà. Or, tout se passe ces jours-ci comme si nous étions aveuglés par les apparences du conflit pour en oublier le fond. D’où l’invraisemblable indigence qui consiste à se demander « qui a commencé ? ». Pour tous ceux qui veulent absolument faire débuter l’histoire le 25 juin 2006, la réponse est simple. Ce jour-là, un groupuscule palestinien hostile à la logique de politisation du Hamas a enlevé un soldat israélien. C’est alors seulement que l’armée israélienne s’est lancée dans une opération de punition collective contre Gaza.
Mais une autre lecture rappelle que le peuple de Gaza est affamé depuis plusieurs mois par des sanctions internationales, tandis qu’Israël le prive de tout débouché extérieur et de toute possibilité de développement, au prétexte que rien ne doit ressembler, ni de près ni de loin, à une société civile normalisée, ni à un embryon d’État. Une mort à petit feu, en somme. Et il suffit que des groupes radicaux, qui ne peuvent que croître et embellir dans ce climat, enlèvent un soldat, pour que le petit feu devienne déluge de feu. Cela sans un geste des puissances occidentales, mais avec les compliments de Washington.
Et les capitales arabes ne sont guère plus brillantes, toutes préoccupées d’être du côté du manche. LeHezbollah tire précisément son prestige de cette situation-là. Quand Gaza saigne et que le monde trouve ça normal, quand les familles sont décimées par des centaines d’arrestations et que le monde s’indigne pour un seul prisonnier israélien , le Hezbollah riposte. C’est en tout cas ainsi que la « rue arabe » le perçoit. Et cette perception de l’histoire vaut bien celle de George W. Bush ou de Nicolas Sarkozy. Au lieu que ce soit ledroit international qui se rappelle àIsraël, au lieu que ce soient les grandes puissances et les Nations unies qui disent à l’État hébreu qu’on ne bombarde pas une population civile, et qu’on ne maintient pas en détention des milliers de prisonniers, c’est une autre barbarie qui se déchaîne. Ce sont des missiles qui tuent des ouvriers des chemins de fer à Haïfa et terrorisent une population.
Là où il n’y a pas le droit, il y a la vengeance. C’est une autre affaire ensuite de savoir si le Hezbollah est vraiment attaché à la question palestinienne. Si l’Iran se soucie des miséreux de Jabalya ou de Khan Younis. Cause réelle ou prétexte ? Le mieux serait encore de retirer l’un et l’autre. Sans compter qu’il n’est pas aisé de convaincre les Iraniens de renoncer à la bombe atomique lorsqu’on donne le spectacle d’un monde dans lequel celui qui jouit de la supériorité militaire peut agir à sa guise. Un monde borgne et unilatéral. Il n’y a donc pas d’échappatoire. Ilfaut un règlement global du ou des conflits au Proche-Orient. Il faut discuter avec le Hamas et cesser ces classifications qui n’ont aucun sens pour peu que l’on ait un minimum de mémoire historique.
Il faut un État palestinien dans les frontières de 1967. Quant à la résolution 1559, qui prévoit le désarmement des milices, et dont la France fait des gorges chaudes, elle sera alors perçue comme une mesure de droit et non comme une nouvelle tentative de déséquilibrer les forces en présence. Repensons cette affaire en termes politiques. Et pour cela, faisons un seul instant l’effort, à Paris, à Washington ou à Tel-Aviv, d’imaginer le monde non selon George Bush, mais selon l’habitant de Gaza ou de Nabatye.