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Présidentielle iranienne : crise politique ou rivalité de leadership ?
Publie le jeudi 2 juillet 2009 par Open-PublishingPar Louisa Aït Hamadouche
Le Conseil des gardiens de la révolution a annoncé les résultats officiels de l’élection présidentielle du 12 juin dernier. Le président sortant, Mahmoud Ahmadinejad, est réélu officiellement avec 63% des voix. Mir Hossein Moussavi arrive deuxième du scrutin avec 34%. Face à la contestation populaire, les autorités ont adopté deux démarches : douce et dure. Pour la première, elles ont annoncé qu’elles allaient procéder à un nouveau décompte de 10% de l’ensemble des urnes, en présence de représentants du pouvoir et de l’opposition. Les candidats malheureux disposent d’un délai de 24 heures pour soumettre la liste de leurs mandants.
La deuxième méthode est la répression. Elles ont ordonné des centaines d’arrestations, au moins 140 hommes politiques, universitaires, étudiants et journalistes. Le quotidien Etetmad a publié une liste de 70 noms de responsables iraniens réformateurs de premier plan, de journalistes et de responsables de la campagne de Mir Hossein Moussavi.
Les réactions internationales : du parti pris au pragmatisme
Les réactions internationales dépendent de la nature des relations des Etats avec l’Iran. Ainsi la Russie a-t-elle immédiatement reconnu les résultats et félicité le vainqueur. Syrie, Venezuela, Hamas palestinien et Hezbollah libanais ont fait de même. Du côté du Brésil, le président Lula a exprimé des doutes quant à l’existence d’une fraude. Le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, a déclaré : « Au Brésil, nous sommes habitués à ce qu’il y ait des fraudes électorales quand il y a une différence de 1 ou 2%, mais avec un résultat de 62% contre 30%, il semble difficile qu’il y ait eu fraude. » Les tensions les plus vives
se sont produites avec le Royaume-Uni. Après l’expulsion de deux diplomates britanniques en poste à Téhéran, le Premier Ministre, Gordon Brown, a déploré une « décision injustifiée appuyée sur des accusations qui sont totalement infondées ». Téhéran accuse le gouvernement britannique d’interférer dans les affaires intérieures iraniennes. Sans surprise, la surenchère est venue du gouvernement israélien, appelant la communauté internationale à agir « sans concession contre l’Iran, son programme nucléaire et l’aide qu’il apporte à des organisations terroristes impliquées dans des tentatives de déstabilisation dans la région ».
Le Qatar a choisi une position d’une extrême prudence, estimant que les troubles consécutifs à la réélection controversée de Mahmoud Ahmadinejad étaient « une affaire interne » et que la stabilité de l’Iran était importante pour le Golfe. Cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani a défendu « l’expérience démocratique » en Iran depuis l’avènement de la République islamique, en 1979, en rappelant, à juste titre d’ailleurs, qu’en trente ans, l’Iran a changé de président à quatre reprises alors que, dans certains pays arabes, le Président n’a jamais changé durant cette période. Bien entendu, le cheikh ne vise ni son pays ni ceux de la région qui n’ont pas plus que les autres changé de dirigeants. Cette omission est sans doute due au fait que ce sont des monarchies…
Le Qatar est l’un des rares pays arabes, notamment dans le Golfe, à avoir réagi officiellement à la crise sans précédent en Iran depuis la révolution islamique en 1979. Il entretient de bonnes relations avec l’Iran. Mais l’ensemble des voisins immédiats ont des relations économiques importantes avec ce dernier. Dubai, par exemple, profite de la manne que lui apportent les 500 avions qui proviennent chaque mois des grandes villes iraniennes. Avant la crise financière, les Iraniens auraient acheté plus de 500 000 appartements dans cet émirat. Ces achats sont, souvent, motivés par la volonté de profiter d’une carte de séjour ou de prêts bancaires à faible taux d’intérêt, explique Mehdi Saboori, de l’Institut français de géopolitique. Ils le font aussi pour faire bénéficier leurs enfants des cursus d’enseignement supérieur offerts par les universités européennes et américaines, telle la Sorbonne, invitée à s’implanter à Abu Dhabi. Concluons ce tour d’horizon des réactions par celle des Etats-Unis. Ces derniers ont commencé par réagir de façon très mesurée, avant de durcir le ton. Barack Obama a fini par se déclarer « choqué » ; il a condamné fermement les violences et invité Téhéran « à gouverner par le consensus et non par la force ». Il a, toutefois, souligné que les Etats-Unis respectaient la souveraineté de la République islamique d’Iran et qu’il n’y avait pas d’ingérence dans les affaires iraniennes. Les conservateurs dans le monde politique et médiatique ont applaudi le changement de ton du Président. Le quotidien conservateur Washington Post approuve le « recul en ce qui concerne la volonté de dialogue avec Khamenei ». Le Wall Street Journal analyse le repositionnement d’Obama comme le début d’un changement significatif de l’approche de la Maison Blanche dans tout le Proche-Orient, dont la stratégie de dialogue avec l’Iran était la pierre angulaire.
Globalement, il apparaît que la position de l’administration américaine est délicate. « Même sans intervention américaine, les mollahs ont essayé de faire porter le chapeau à Obama ; alors, imaginez s’il avait suivi les propositions des conseillers de Bush et essayé de joindre Moussavi », relève à juste titre le Time. Réaliste, le New York Times relève que « derrière un discours tout en muscles, M. Obama dispose de bien peu de moyens de pression sur le gouvernement iranien ». Car, avant tout, il doit prendre en compte que, si l’Iran, sombre dans le chaos, il deviendra quasiment impossible de stabiliser la situation en Afghanistan.
Certains militaires américains, notamment le ministre de la Défense, Robert Gates, reconnaissent depuis des mois que l’Iran peut jouer un rôle important pour mettre un terme au trafic de drogue en Afghanistan, où l’opium et les armes sont la première source de revenus des taliban.
Une élection, deux camps
Mir Hossein Moussavi a perdu avec une différence de 12 millions de voix. Il a immédiatement déclaré que ces résultats étaient fraudés, appelant dans la foulée ses partisans à descendre dans la rue. Ceux qui estiment qu’une fraude de cette ampleur n’est pas possible évoquent plusieurs arguments. Primo, les
derniers sondages donnaient la victoire au président sortant, même si, effectivement, l’écart n’était pas aussi important. Secundo, le candidat Moussavi disposait de 40 000 observateurs postés dans tous les bureaux de vote. Est-il possible qu’aucun de ces observateurs n’ait été témoin d’une fraude portant sur des millions de voix ? Tertio, dans un communiqué, le candidat malheureux explique que ces élections ne sont pas valables parce qu’Ahmadinejad effectue depuis quatre ans des visites en province, où il courtise des citoyens des classes les plus défavorisées en effectuant des distributions. Une affirmation qui montre que le régime iranien compte sur la distribution de la rente, ce qui est bien connu. Ensuite, Moussavi a été invité par le Conseil des gardiens de la Constitution [instance qui valide le scrutin] à venir présenter ses arguments et à prouver ses accusations. Il ne l’a pas fait, déclarant qu’il ne fait pas confiance au Conseil des gardiens. Dans ce cas, il est légitime de se demander pourquoi, s’il ne fait pas confiance dans les institutions officielles -ce qui peut se comprendre- il a cautionné le scrutin en présentant sa candidature et en faisant campagne. Quatrièmement, Moussavi n’a pas accepté la proposition du Conseil des gardiens de procéder à un recomptage de 10% des urnes choisies au hasard. Une fraude de l’ampleur qu’il dénonce serait, pourtant, apparue dans 10% de votes. Cinquièmement, un élément joue particulièrement en défaveur du candidat malheureux : il s’agit de la position des gouvernements et des médias occidentaux. En le soutenant comme ils le font, ils desservent Moussavi et donnent du grain à moudre aux partisans d’Ahmadinejad qui apparaît
comme le défenseur de la République contre les ingérences et les attaques extérieures. D’autres éléments d’ordre politique créditent la réélection d’Ahmadinejad. Daoud Al Charyan fait un parallèle très intéressant entre cette victoire et la réélection de George Bush en 2004. Le Parti républicain avait, alors, exploité le thème de la guerre contre le terrorisme à un moment où l’électorat américain était sous l’emprise de la peur. Ahmadinejad a fait la même chose. Les tensions avec les Etats-Unis et la campagne internationale contre le programme nucléaire de l’Iran ont largement contribué à la victoire
d’Ahmadinejad. Selon Daoud Al Charyan, seuls les étrangers, alimentés par une couverture médiatique étrangère accréditant l’idée qu’Ahmadinejad ne pouvait pas gagner, ont été surpris. Les journalistes, écrit-il, ont donné une vision déformée de l’opinion publique, ne comprenant pas qu’il ne fallait pas confondre niveau politique et niveau sociologique.
Le désaccord sociologique ou même sociétal au sujet de certaines lois réglementant le mode de vie, ne les empêche pas d’être d’accord sur les sujets de sécurité nationale tels que le programme nucléaire, la politique régionale comme l’Irak ou international comme les Etats-Unis. D’autre part, Ahmadinejad ne joue pas le rôle principal dans le processus de prise de décision, qui implique de nombreuses forces religieuses et politiques. L’auteur affirme qu’il y a « consensus sur l’ouverture d’un dialogue avec Washington –même si les uns et les autres divergent sur les demandes à formuler– et sur la nécessité de changer l’image de l’Iran, qui est actuellement celle d’un pays recherchant l’affrontement ».
L’opposition assure que les résultats obtenus par le président sortant ne sont pas légitimes. Quels sont leurs arguments ? Premièrement, ils affirment que, dans la plupart des bureaux de vote, les représentants des candidats n’ont pas pu vérifier que les urnes étaient vides avant leur utilisation. A cela s’ajoutent d’autres questions techniques de type : les représentants des candidats n’ont pas reçu leur accréditation. D’autres ont reçu certaines cartes inutilisables, avec des noms mal orthographiés ou de mauvais bureaux. A la fin du scrutin, certains représentants n’ont pu assister au dépouillement. Les partisans de Moussavi évoquent un autre problème, celui des urnes ambulantes des régions les plus reculées. Mais pour cette élection, le nombre de ces urnes a été augmenté, sans justification objective. Compte tenu de leur nombre évalué à 14 000, les représentants n’ont pas pu suivre les urnes ambulantes. Ils évoquent aussi le manque de bulletins, à Chiraz, à Tabriz, au nord, à l’est et à l’ouest de Téhéran, et dénoncent le fait que les représentants n’aient pu comparer les comptes-rendus des bureaux de vote et ceux de la préfecture, ce qui relève du transport des urnes à la préfecture.
Deux camps, une République islamique
La bataille politico-électorale qui se déroule en Iran oppose deux candidats qui revendiquent le poste présidentiel, mais elle n’est pas une remise en cause des fondements de la République islamique iranienne. La meilleure illustration de ce constat est le fait que Moussavi soit, comme Ahmadinejad, soutenu par des clercs. Le quotidien progressiste Aftab-e Yazd fait remarquer que plusieurs ayatollahs de la ville sainte de Qom et plusieurs membres du camp principaliste (les conservateurs) n’ont pas félicité le président sortant pour sa victoire. Plus important, plusieurs grands ayatollahs, rang le plus élevé du clergé chiite –ils sont en tout une quinzaine en Iran– ont critiqué le résultat de l’élection. Ainsi, le grand ayatollah Youssef Sanei, ancien chef du Conseil des gardiens de la Constitution, estime, sur son site Internet, qu’« il faut entendre la voix du peuple, [qu’] il réclame des droits, le changement, ou la liberté ». Prenant parti pour Moussavi, il affirme qu’« il était le meilleur candidat à ce poste, et qu’il est dommage qu’il n’ait pu remporter l’élection ». Le grand ayatollah Yousef Sanei compte, également, parmi les partisans de Moussavi.
Le grand ayatollah Bayat Zanjani estime, quant à lui, que « même si l’on s’attendait à ce que certains veuillent gagner à n’importe quel prix, et de n’importe quelle manière, on ne pouvait imaginer qu’il était à ce point possible d’aller à l’encontre de la volonté du peuple ». Ce haut dignitaire religieux de la ville de
Qom s’adresse directement à Mir Hossein Moussavi : « Il faut souhaiter que vous et ceux qui vous ont soutenu soyez les gagnants de ce combat pour le droit. Vous avez la responsabilité d’aider les gens à faire valoir leurs droits. » L’ayatollah Hossein Ali Montazeri, qui est depuis des années en résidence surveillée pour s’être montré critique envers le guide suprême Ali Khamenei, s’est également exprimé sur son site Internet. « Malheureusement, cette excellente opportunité qu’est l’élection a été utilisée de la pire façon qui soit, affirme-t-il. Il faut que la République islamique soit capable d’écouter les voix qui demandent des réformes », conclut-il. Citons, également l’ancien président Ali Akbar Rafsandjani et les réformistes réunis autour de l’ancien président Mohammad Khatami.
L’ampleur de la crise se traduit à travers le fait que le guide suprême supposé être un arbitre est devenu partie prenante. Cette implication directe n’est pas étrangère à des raisons moins politiques que personnelles. Des tensions aiguës entre Khamenei et Rafsandjani. George Malbruno rappelle que tout au long de la campagne, Ahmadinejad n’a cessé de dénoncer l’affairisme et la corruption, dont se seraient rendus coupables Rafsandjani et ses enfants, dont la fille aînée a été arrêtée puis relâchée. Rafsandjani, qui prône une ouverture vers l’Occident, a, d’ailleurs, une partie de sa fortune placée en Californie, rappelle Yann Richard. Depuis son élection, le président réélu accuse Rafsandjani d’être derrière les milliers de manifestants qui contestent sa victoire. Rappelons un fait important : en 2005, Ali Akbar Rafsandjani faisait figure de favori. Il a été battu. Reprenant son rôle d’arbitre, le guide suprême a nommément défendu Rafsandjani devant des centaines de milliers de fidèles, en tant que « pilier de la révolution ». Un rééquilibrage nécessaire car Rafsandjani a joué un rôle dans la désignation de Khamenei comme guide suprême à la mort de l’ayatollah Khomeyni en 1989. De plus, il dirige deux instances de régulation du régime. L’une d’elle n’est autre que l’Assemblée des experts qui a le pouvoir de destituer le guide suprême. Il l’aurait fait si seulement il avait pu. Ses dernières tentatives auraient, en fait, échoué.
« Rafsandjani s’est rendu dans la ville sainte de Qom, mais n’a pas réussi à mobiliser les ayatollahs et le haut clergé chiite contre Khamenei », souligne le chercheur Bernard Hourcade.
Au-delà des convergences qui apparaissent à travers les sources de soutien politique, l’existence d’une crise sans pour autant déboucher sur une réelle rupture est visible à travers le profil politique des opposants. Est-il nécessaire de rappeler que Moussavi a été Premier ministre de 1981 à 1989 et que Karoubi a été à la tête des gardiens de la révolution quand, en 1981, Khomeyni a créé ce corps ?
Ahmadinejad ou Moussavi, il paraît certain que le système politique iranien ne changera pas. Quant à Rafsandjani, qui a déjà été deux fois président de la République, il est peu probable qu’il puisse développer une position jusqu’au-boutiste, contrairement à Moussavi, qui s’est dit prêt au « martyre ».
Il continuera de compter plusieurs centres de pouvoir qui se livrent publiquement à une concurrence farouche et l’équilibre restera assuré par le pouvoir du guide suprême, qui cherche le consensus. Ce système a traversé la montée de Mohammad Khatami, en 1997, et le vif désir de réformes qui a suivi.
Le système s’est réformé sur certains aspects, mais n’a pas changé.
L. A. H
http://www.latribune-online.com/suplements/international/19029.html