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Prise d’otages

Publie le vendredi 6 octobre 2006 par Open-Publishing
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de Michel Guilloux

« Ils nous considèrent comme des animaux. » Ainsi réagit une jeune femme de vingt-sept ans, après avoir vu l’irruption de policiers à l’aube dans son appartement des Mureaux. Son bambin de deux ans et demi aurait eu, de plus, un pistolet braqué sur la tempe. Autre appartement visité « par erreur », c’est un enfant trisomique de six ans qui a subi un sort identique. À deux pas de là, une journaliste de l’AFP témoigne que « l’appartement avait été " retourné ", des meubles cassés, des vêtements jetés à terre, des étagères vidées, des matelas retournés ». Une autre mère, d’un bébé de douze mois, a dû interrompre son travail à la chaîne pour assister à la descente. Un responsable de police expliquera benoîtement, plus tard sur France Info, que le bilan ridicule de cette opération - une arrestation - était prévisible, les personnes recherchées, étant au courant, auraient mis les voiles. Alors, la centaine de policiers réquisitionnés s’est livrée au spectacle lamentable de la provocation musclée. Fallait-il en donner pour leur argent aux caméras et micros convoqués dès cinq heures et demie du matin ?

À peine une semaine après la mise en scène similaire montée aux Tarterêts, dans l’Essonne, la Direction générale de la police nationale, tel un enfant pris la main dans le pot de confiture, avance un piètre « c’est pas nous » pour expliquer la présence d’une « nuée de journalistes », aux aurores, cité des Musiciens. Le maire des Mureaux n’aura eu droit à l’information qu’une fois « l’opération » déclenchée... Cette fois, les choses auront été un peu trop loin. La « bavure » est trop voyante. Alors on promet une « expertise » sur ce déchaînement de violence policière. Espérons que celle-ci sera diligentée avec plus de célérité que l’enquête sur la mort de Bouna et Zyad, à Clichy-sous-Bois, toujours menée « avec discrétion », selon l’AFP, un an après les faits.

À qui fera-t-on croire à la rencontre fortuite d’équipes de télévision en mal de sensations et d’une centaine de policiers avides d’en découdre ? Voilà un an, alors que deux jeunes mouraient de leurs blessures dans un transformateur électrique, l’actuel ministre de l’Intérieur semait déjà le doute sur les circonstances du drame, de même sur ld’une bombe lacrymogène contre une mosquée, deux faits qui ont été à l’origine de la révolte des banlieues qui s’ensuivit. En cette rentrée, entre la chasse aux sans-papiers et à leurs enfants et à l’allégeance à George Bush, qui éclairent sa vraie nature, Nicolas Sarkozy fait feu de tout bois : contre les juges de Seine-Saint-Denis, qui, eux, sont en première ligne ; contre ses policiers du même département, coupables, si l’on en croit le Canard enchaîné, de trop se plaindre de la réalité de leurs piètres moyens ; contre la simple vérité des faits, reprenant à son compte l’expression de « guet-apens » pour dramatiser encore plus, s’il le fallait, l’agression de deux CRS. Tout cela crée un climat. Qui peut expliquer le dérapage, si c’en est un, des Mureaux.

La prise d’otages médiatisée des habitants d’une cité populaire de la région parisienne n’est pas qu’une erreur. Elle signe le projet de société dont rêve sans attendre le président de l’UMP. Le pendant du libéralisme sauvage qu’il prône sur le plan économique et de ses ravages sociaux est l’instrumentalisation de la peur comme nouveau ciment social. Une dérive autoritaire sans précédent dans l’exercice du pouvoir est sous-jacente à cette logique. La sécurité n’a rien à voir là-dedans, et certainement pas le droit de vivre en tranquillité des plus pauvres dans les quartiers populaires. De Bobigny aux Mureaux, voudrait-on remettre le feu à des banlieues où rien n’a changé dans l’action de l’État, et pour cause, qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Mais des juges à certains policiers, désormais le trouble, si ce n’est l’indignation, gagne du terrain. Comme le déclare une jeune habitante de la cité des Mureaux : « Il faut arrêter la provocation. » Il n’est que temps.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2006-10-05/2006-10-05-837944

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