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Quand Wall Street lance une OPA sur l’Europe

Publie le mercredi 24 mai 2006 par Open-Publishing
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de Bruno Odent

Financiarisation . Le New York Stock Exchange entend racheter Euronext, regroupement de Bourses européennes rassemblant les places de Paris, Bruxelles, Amsterdam et Lisbonne.

Wall Street s’apprête à prendre directement pied en Europe. Et elle devrait bénéficier pour cela du consentement , voire de la complicité de quatre grandes Bourses européennes (Paris , Amsterdam, Bruxelles et Lisbonne) qui forment ensemble, sous le vocable Euronext, une seule et même société dite de marché, c’est-à-dire spécialisée dans la gestion de l’échange des titres, leur régulation, l’entrée de firmes en Bourse, etc. Le New York Stock Exchange (NYSE) qui vient opportunément d’acquérir lui-même en mars un statut de société cotée lui permettant d’intervenir comme le premier prédateur venu, met quelque 8 milliards d’euros sur la table pour acheter le groupe européen et créer, à la faveur de cette fusion, un nouveau groupe mondial d’une valeur de 16 milliards d’euros.

Le conseil d’administration d’Euronext qui se réunit aujourd’hui à Amsterdam devrait donner son aval à cette fusion, la préférant à une autre opération de concentration du même type sous l’égide de la Deutsche Börse (Bourse allemande) de Francfort. Les dirigeants et les principaux actionnaires d’Euronext justifiaient en effet hier le choix de New York en indiquant qu’il était plus avantageux que les propositions allemandes, car il leur permettrait de « conserver davantage d’autonomie. » Au total, cette course à la masse critique vise à la fois l’intégration et le contrôle des marchés boursiers de la planète.

La combinaison transatlantique créerait le premier marché boursier du monde, avec une valeur cumulée des sociétés cotées de 21 000 milliards d’euros. Le nouvel ensemble, destiné d’évidence à devenir le coeur boursier de la planète, serait tout simplement baptisé NYSE-Euronext. Il serait coté à New York et à Paris, et les postes de direction seraient partagés entre les dirigeants actuels d’Euronext et du NYSE. « Il sera le seul marché financier réellement mondial et le plus liquide de la planète, et offrira aux investisseurs et aux émetteurs aux États-Unis, en Europe et à travers le monde des avantages incomparables », a lancé triomphalement John Thain, le PDG du NYYSE.

L’aboutissement de cette opération fait la démonstration de l’incapacité de l’Europe telle qu’elle se construit, sous l’égide surtout des disciplines monétaristes qui ont prévalu pour le lancement de la monnaie unique, à s’émanciper des tutelles états-uniennes. Ironie du sort : c’est en plein processus d’installation de l’euro et avec la volonté affichée de « consolider le grand marché » que les différents gouvernements européens ont donné fin 2000 le feu vert à la Commission pour autoriser l’introduction en Bourse des... Bourses elles-mêmes. Du coup, les places financières européennes sont devenues tout simplement « opeables ».

Le terrain laissant libre cours à cette banalisation anglosaxonne avait été ainsi déjà bien labouré. Dernier ajustement en date : au début de l’année, l’UE s’est engagée dans une transformation profonde de ses normes de comptabilité, sous l’égide de l’International Accouting Standards Board (IASB), un organisme privé basé aux États-Unis dans lequel on retrouve les représentants des places financières internationales, ceux des grands cabinets anglo-saxons d’audit ou le président de la Banque mondiale (voir l’article de François Congost dans nos pages « Europe » du 7 janvier 2006).

Cette uniformisation des standards et l’intégration boursière transatlantique obéissent aussi à la volonté de faciliter encore davantage la circulation des flux financiers d’un bord à l’autre de l’océan. Pour les États-Unis qui vivent au crédit du reste de la planète affichant des déficits et un endettement considérables, le besoin de drainer les capitaux étrangers est devenu une question cruciale. Quant aux groupes européens, très impliqués dans des investissements aux USA qu’ils soient « physiques » et destinés à prendre pied sur le marché nord-américain ou « de placement » pour racheter des bons du trésor US, ils se promettent aussi de meilleurs rendements.

Au bout du compte, ces transferts de capitaux, bien moins médiatisés dans leurs dimensions que ceux générés par les « délocalisations », mais bien plus redoutables dans leur dimension, vont accroître encore le processus de financiarisation au détriment de l’emploi et des salaires. C’est dire combien il est urgent de dessiner une orientation prenant le contre-pied de ce Monopoly mondial. On peut desserrer peu à peu l’emprise des marchés financiers. À condition d’avoir bien davantage recours au crédit et de le rendre sélectif - c’est-à-dire cher pour les opérations boursières et bon marché ou même bonifié pour les investissements dans l’emploi ou la formation. L’Europe et la Banque centrale européenne pourraient avoir là un rôle décisif à jouer. À condition de savoir oser une remise en question copernicienne.

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