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Quand on dîne avec le diable, mieux vaut prendre une longue cuiller (presse étrangère)
Publie le mardi 11 décembre 2007 par Open-PublishingLa venue de Kadhafi fait scandale à Paris
FRANCE. Reçu à l’Elysée pour signer des contrats, le « Guide » suscite une tempête de protestations. Nicolas Sarkozy défend sa décision de l’inviter.
Sylvain Besson, Paris le temps (suisse) Mardi 11 décembre 2007
Quand on dîne avec le diable, mieux vaut prendre une longue cuiller. Nicolas Sarkozy pourra méditer cet adage après avoir accueilli, lundi, Mouammar Kadhafi. Cette visite a suscité de vives critiques au sein même du gouvernement français, et apparaît comme l’initiative diplomatique la plus sulfureuse de l’ère Sarkozy.
L’opposition socialiste a ainsi accusé le président de recevoir le chef d’un « Etat terroriste », l’ONG Human Rights Watch a jugé « dérangeant d’accueillir ainsi la Libye quand les citoyens de cet Etat souffrent », tandis que le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, et la secrétaire d’Etat aux droits de l’homme, Rama Yade, exprimaient ouvertement leur malaise (lire ci-contre).
Plus que le principe, c’est la manière qui choque. Mouammar Kadhafi a planté sa tente dans le jardin de l’Hôtel Marigny, riche édifice situé à côté de l’Elysée. Il y a été reçu hier avec le décorum habituel : peloton de gardes républicains, fanfare militaire, et Nicolas Sarkozy qui l’attendait sur le perron.
Le « Guide », suivi par une délégation de 400 personnes, est venu entouré d’un folklore tapageur. C’est dans une improbable Mercedes blanche, plus digne d’une vedette du rap que d’un chef d’Etat, que le leader libyen a pénétré dans la cour de l’Elysée. Allongée et dotée d’un aileron incurvé, la limousine était accompagnée d’un second véhicule, bardé d’antennes destinées à brouiller les téléphones portables et empêcher les attentats. Des musiciens dotés de tambourins et des danseuses orientales, qui attendaient à l’extérieur pour fêter son arrivée, ont dû grelotter des heures dans le froid.
Les rumeurs les plus étonnantes circulent sur la suite de la visite. Mouammar Kadhafi participerait à une chasse présidentielle, rendrait visite aux ouvriers de Renault et ne mangerait que du chameau grillé lors de ses soirées sous la tente. L’Elysée n’a rien confirmé. On sait seulement que le dirigeant libyen rencontrera le président de l’Assemblée nationale ce mardi et sera reçu une seconde fois par Nicolas Sarkozy, mercredi.
Lundi soir, les deux hommes ont signé des contrats pour quelque 10 milliards d’euros, un montant plus important que prévu initialement. Il s’agit de matériels civils - une usine de dessalement d’eau de mer fonctionnant avec un réacteur nucléaire, des avions Airbus - mais aussi d’équipements militaires. Tripoli s’intéresse notamment à l’hélicoptère de combat Tigre et au chasseur Rafale, deux engins très sophistiqués.
« Si le gouvernement français a décidé de parler à la Libye et d’envisager la livraison de cet avion, c’est qu’il estime que c’est tout à fait acceptable », commente une source proche de Dassault, le fabricant, qui n’a encore vendu aucun Rafale à l’exportation.
Pour les dirigeants français, toutefois, recevoir Mouammar Kadhafi n’est pas seulement une question de gros sous, mais de principe. Il s’agit d’encourager un pays qui a renoncé à son programme nucléaire clandestin et au terrorisme d’Etat qui, dans les années1980, avait fait des centaines de morts, dont 54 Français tués dans l’explosion d’un avion de ligne d’UTA en 1989.
Nicolas Sarkozy a également profité de sa rencontre avec le Libyen pour lui demander de « progresser sur le chemin des droits de l’homme ». « La défense des droits de l’homme, ce n’est pas des pétitions de principe, ce sont des résultats », a expliqué le président français à l’issue de la discussion.
Enfin, Paris entend récompenser la Libye pour la libération, en juillet, des infirmières bulgares et du médecin palestinien détenus et torturés pendant huit ans dans les geôles libyennes. Nicolas Sarkozy et son ex-femme Cécilia avaient joué un rôle déterminant dans cette libération. La contrepartie explicite était que le président français aiderait la Libye à retourner à la « respectabilité internationale ».
Dimanche, l’une des infirmières, Christiana Valtcheva, avait refusé de condamner l’invitation en France de Mouammar Kadhafi : « Ceci nous est égal. Il n’y a pas de morale dans la politique. »
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Il ne peut « venir s’essuyer les pieds du sang de ses forfaits »
Rama Yade a critiqué la venue du Libyen, avant de se rétracter.
Sylvain Besson
Embarras palpable au sommet de la diplomatie française. Bernard Kouchner, le ministre des Affaires étrangères, s’est dit « résigné » à recevoir Mouammar Kadhafi, mais s’est félicité de ne pas pouvoir participer au dîner organisé en son honneur lundi soir.
Dans une interview au Parisien, sa secrétaire d’Etat aux Droits de l’homme, Rama Yade, est allée plus loin, qualifiant de « symbole [...] scandaleusement fort » la venue de Mouammar Kadhafi un 10 décembre, Journée internationale des droits de l’homme. « Le colonel Kadhafi, ajoute-t-elle, doit comprendre que notre pays n’est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s’essuyer les pieds du sang de ses forfaits. »
La jeune femme a dû mettre de l’eau dans son vin - « je ne suis pas hostile à cette visite » - après avoir été convoquée, lundi matin, par Nicolas Sarkozy. Plus tard, le président a malicieusement fait remarquer que Rama Yade était avec lui cet été, à Tripoli, lorsque le principe du voyage de Mouammar Kadhafi en France a été arrêté.