Que deviennent les SDF ?

Que deviennent les SDF ?

Daniel Terrolle,chercheur au Laboratoire d’Anthropologie urbaine à Ivry (1), travaille depuis 1991 sur les sans-abri à Paris (hébergement, alimentation, habillement, soins...).Il s’est rapidement étonné de l’absence de réponse à cette question simple :que deviennent-ils ?

Il n’existe que deux sorties possibles de leur situation : la réinsertion ou la mort. Son enquête a commencé sur la
première. S’il existe de très nombreux rapports sur
« comment réinsérer les SDF », il n’existe aucune statistique à ce sujet. Son enquête auprès des responsables associatifs révèle un double discours significatif :
si, publiquement, ils affirment qu’un SDF peut se réinsérer, en privé ils évaluent entre 1 % et 2 % le nombre de ceux qui « tombent à la rue » et rebondissent assez vite, entre 4 % et 5 % ceux qui, après de multiples tentatives et
échecs, finissent par intégrer une vie protégée. Quant aux autres 93 %, « ils disparaissent ». C’est-à-dire que l’on ne sait pas ce qu’ils deviennent.

Daniel Terrolle s’est alors mis à
travailler sur la mort des sans-
abri, mais constate rapidement
qu’il n’existe aucune statistique
sur ces décès et leurs causes.
L’Insee n’utilise pas de catégorie
« SDF » dans ce genre de statis-
tiques, mais la catégorie « inac-
tifs », comprenant rentiers,
retraités, chômeurs,... Aucune
autre étude n’a été menée sur
des échantillons, montrant un
réel refus politique d’avoir de
disposer de tels chiffres.
Privé de chiffres, l’anthropolo-
gue tente alors de reconstituer
le parcours, depuis sa découver-
te, d’un cadavre de SDF dans
l’espace public jusqu’à sa desti-
nation finale. Il se heurte à un
refus définitif d’informations à
l’Institut médico-légal de Paris
(sous la tutelle de la Préfecture
de Police, donc du ministère de
l’Intérieur). Même sensibilité à
ce sujet de la part de la Mairie
de Paris qui, via les Services
funéraires de la Ville de Paris,
gère l’inhumation des plus
démunis dans des caveaux à
décomposition rapide, au cime-
tière parisien de Thiais. Le corps
y séjourne 5 ans avant que ses
restes ne soient incinérés au
crématorium du Père-Lachaise
et les cendres dispersées dans
le jardin si mal nommé « du
souvenir ».

« Il est impossible de
différencier les SDF des plus
démunis »
au sein des listes, lui
assure-t-on. C’est fou comme
les pauvres se ressemblent, au
point de les confondre ainsi...
Bref, sur ce versant de la mort ,
aucun comptage n’est possible.
Dans les publications des deux
observatoires de la pauvreté,
c’est le même silence sur cette
question, et l’on va même
jusqu’à faire des études sur les
maladies mais pas sur la morta-
lité. Si, interrogés en privé, les
médecins qui les soignent attes-
tent de leur
« faible espérance
de vie »
, aucun d’entre-eux ne le
déclare en public, sans doute au
nom d’une éthique médicale
obscure.

Les associations d’aide aux SDF
s’alignent toutes sur le même
mutisme ou mensonge à ce
propos. Certaines accompa-
gnent les « morts de la rue »
pour leur inhumation rituelle à
Thiais, mais se refusent à
donner le moindre nombre réel.
On arrive tout juste à savoir que
le mois où il y a le plus de décès
de SDF est... août. Morts pour
cause de déshydratation et d’in-
différence.

Bref, pour Daniel Terrolle, tout
converge vers la démonstration
d’un verrouillage des informa-
tions et des données sur la réin-
sertion et la mort des sans-abri.
On pratique un mutisme
consensuel sur le nombre de
ces cadavres et sur le devenir
des sans-abri. Pourquoi ?

G.K.W.Van den Paraboum
Journal gratuit : Piaf de juillet / août 2006, Page 12

1 - D.Terrolle,La mort des SDF à Paris :un révéla-
teur social implacable - Études sur la Mort.
L’Esprit du Temps,n°122,2002,p 55 à 68.
Téléchargeable sur :
http://univ-paris8.fr/sociologie
2 - Tentative de réponse de Daniel Terrolle
dans un prochain numéro du PIAF !

– http://www.le-piaf.org/journaux/LeP...