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Recalculés fâchés : témoignages

Publie le jeudi 1er avril 2004 par Open-Publishing
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paru dans Challenge, avril 2004

Moi, Florence B., exclue du chômage

Des cadres, comme Florence Baron, gagnant 5 000 euros net par mois, licenciés, privés
prématurément d’indemnités de chômage avec la réforme de l’Unedic, racontent leur désarroi. Et se révoltent
contre cette trahison.

Un jour, ils ont ouvert leur courrier, et ce fut le choc. « Lorsque j’ai lu la lettre des Assedic,
j’ai eu l’impression de recevoir une décharge électrique dans tout le corps », se souvient
Stéphanie [le prénom a été changé. NDLR], 39 ans, ses immenses yeux verts fixés sur vous. Directrice des
ventes d’un petit opérateur de télécommunications à Paris, elle encadrait quinze personnes et
gagnait 5 700 euros net par mois. « Je suis de la génération de ceux qui n’ont pas de vie de famille
parce qu’ils bossent douze heures par jour », lance l’executive célibataire. En juin 2001, elle a
été licenciée. En 2003, elle a travaillé six mois dans une banque, à 50 % de son salaire. Depuis,
le chômage.

« Une trahison. » Le courrier de son Assedic (Association pour l’emploi dans l’industrie et le
commerce) daté du 14 août, Stéphanie le reçoit en revenant de vacances. L’indemnisation de son
chômage s’arrêtera le 1er janvier 2004, annonce la missive, au lieu de juin comme prévu. Cette décision
découle de la réforme de l’Unedic (qui regroupe les trente Assedic) du 20 décembre 2002 (lire
encadré, page 80). Stéphanie est effondrée : « C’est une trahison. Le licenciement économique, c’est
déjà un choc. Se retrouver au chômage avec 57 % de ses revenus bruts n’est pas évident. Sans fiche
de salaire, on ne peut pas déménager pour payer un loyer moins cher [elle réside dans une rue très
bourgeoise]. Et rechercher du travail ce n’est pas facile. Là, cette lettre, c’est du vol à main
armée. Il s’agit d’une vraie rupture de contrat. »

Stéphanie s’y attendait d’autant moins qu’une de ses anciennes collègues lui a soutenu mordicus
que les personnes inscrites au chômage avant la réforme de l’Unedic de décembre 2002 n’étaient pas
touchées par la baisse de la durée d’indemnisation. Et voici que son Pare (plan d’aide au retour à
l’emploi) doit bel et bien s’arrêter plus tôt que prévu. Alors, Stéphanie s’énerve - « Un jeune
homme aux Assedic me répond : « Vous n’avez droit à rien ». Il se prenait pour Seillière ou quoi ? »
 , mais elle ne se laisse pas faire. Grâce à quinze jours d’activité, les Assedic lui ouvrent de
nouveaux droits jusqu’en août, calculés sur ses six mois passés à la banque. Mais sa colère reste
tenace. Jolie brune sur talons hauts, pleine d’assurance dans son tailleur noir, elle avait
l’habitude de militer à l’UDF, après un passage au RPR. Depuis sa lettre des Assedic, elle s’investit
désormai« Le RMI, c’est humiliant. » Florence Baron, 40 ans, était directrice du marketing au sein
d’une start- !
up informatique à Paris, pour 5 300 euros net par mois. Elle a été licenciée lors d’un plan social
en septembre 2001. Elle aussi se remémore parfaitement le jour où est arrivée la lettre : « C’est
à la fin de septembre 2003. Le courrier m’annonce que mes droits s’arrêtent le 18 janvier, au lieu
d’août 2004. Je suis tellement en colère que je jette la lettre à la poubelle. » Aujourd’hui, elle
ne perçoit plus rien, et explique dans le très chic café Le Rostand, en face du parc du Luxembourg
à Paris, qu’elle ne peut se résoudre à demander le RMI. « Trop humiliant ! »

« Je ne parviens pas à y croire. » « Quand j’apprends que j’arrive en fin de droits, fin octobre
2003, je suis ulcéré, s’énerve David Melerowicz, 47 ans, ancien chargé de mission dans une grande
entreprise de distribution, près de Lille, licencié en février 2002. Un de mes amis venait de
s’inscrire au chômage et m’a prévenu : « Méfie-toi, je crois que le passage de trente à vingt-trois mois
du Pare te concerne également ». J’appelle les Assedic, qui me confirment que mes droits sont
amputés de sept mois. Au début, je ne parviens pas à y croire. » En costume-cravate, buvant un café
dans un salon de l’hôtel Mercure de Lille, David Melerowicz explique qu’il n’a rien contre la
nouvelle règle des vingt-trois mois. « Le problème, c’est que ce n’était pas le deal de départ. La
mentalité nordiste veut que, lors d’un engagement, on tope la main et on ne revient pas dessus. Comment
peut-on déciderévrier 2005, n’a reçu qu’une lettre des Assedic « très sibylline ». Tous les
chômeurs ont e !
u la même. Le courrier est daté du 3 janvier 2003 : « Monsieur, vous avez sûrement été informé par
la presse, la radio ou la télévision, des nouvelles mesures récemment prises concernant
l’indemnisation des demandeurs d’emploi. Les mesures prises préservent votre indemnisation. Sa durée et son
montant brut sont inchangés jusqu’au 31 décembre 2003. […] Dans l’hypothèse où vous seriez
indemnisé à la fin de l’année 2003, votre allocation pourrait être modifiée. » Un conditionnel très flou
qui a laissé croire à de nombreux chômeurs qu’ils n’étaient pas touchés. Et un pari un peu rapide
sur le degré d’information, car le dossier des « recalculés », comme on les nomme poétiquement,
n’a pas bénéficié d’une« Il y a rupture de contrat. » Rares sont ceux qui, comme Arthur Burelli, ont
parcouru la presse à l’époque. Ancien responsable de production dans une petite entreprise de
métallurgie, ce Toulousain de 52 ans a lu les détails de la réforme dans Le Monde. Comme Les Echos,
L’Humanit !
é, ou bien d’autres, ce quotidien indiquait que « les demande !
urs d’emploi actuellement indemnisés » basculeraient dans le nouveau système au 1er janvier 2004.
Mais pas en gros titre. A la fin de la fameuse lettre envoyée en janvier 2003, les Assedic
promettaient, de toute façon, de redonner des nouvelles en septembre 2003. David Melerowicz jure n’avoir
jamais reçu ce courrier. A l’Unedic, on explique que les chômeurs sont informés six mois avant la
fin de leurs droits. En réalité, le délai est souvent beaucoup plus court.
Une fois la nouvelle digérée - quand on la digère -, comment réagir ? Arthur Burelli a décidé de
porter plainte contre les Assedic, auprès du tribunal d’instance de Toulouse, pour dénoncer la « 
rupture de contrat ». Son dossier est prêt. Il ne reste plus qu’à le déposer au tribunal. Il va lui
en coûter 150 euros de frais d’avocat et d’huissier. En novembre, date à laquelle son
assurance-chômage va s’arrêter, ses indemnités passeront de 1 800 euros à zéro. Il n’aura pas droit à
l’allocation spécifique de solidarité (ASS), car son épouse travaille - elle est institutrice. Parents de
trois enfants de 13 à 22 ans, les Burelli ont mis en vente leur maison construite il y a cinq
ans, à Colomiers, près de Toulouse. Sans cela, en novembre, « ça ne sera plus possible ». Soutenu par
le Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), il a bon espoir : « Je suis relativement
optimiste. Les avoc la CGT Chômeurs, mais s’est retrouvée en larmes, atterrée en queue de la
manifestation, !
face à un autre monde : « Je ne veux pas être comme eux »). David Melerowicz est aussi tenté de
se joindre à ce mouvement de près de 2 000 chômeurs, dont les plaintes sont déposées ou vont
l’être.

« Le seul recours, c’est la justice. » A Lille, Daniel Joseph préside le Syndicat des avocats de
France, qui soutient ces plaintes. Il explique : « Les chômeurs en fin de droits se retrouvent dans
un environnement qui ne les soutient pas. Les partenaires sociaux sont divisés sur la question. Le
seul recours possible des demandeurs d’emploi, c’est la justice. Le Pare a été présenté comme un
contrat, il faut le respecter. Sinon, c’est une forme de tromperie. » Les organisations de chômeurs
notent que beaucoup de cadres s’engagent dans une procédure juridique. Toutes insistent sur le
flou de l’information, en mettant en avant cette déclaration de François Fillon à l’Assemblée
nationale, en juin 2003 : « Cette nouvelle réglementation [la réforme de l’Unedic de décembre 2002. NDLR]
ne concerne pas les demandeurs d’emploi indemnisés au 31 décembre dernier. » « Le ministre ne
devait pas être au courant », ner tous ses plans. Il a choisi le Pare parce qu’il offrait de nouveaux
droit !
s aux chômeurs (formations, bilans de compétences…) et que les allocations n’étaient plus
dégressives. « Je me disais que ça pourrait me laisser le temps de lancer un projet. » Après avoir cherché
en vain un poste de directeur de contrôle de gestion, cet autodidacte devenu cadre dirigeant
décide de créer sa propre entreprise. « Mon rêve depuis vingt ans. » Il veut être consultant,
spécialisé dans les call centers et la prise de décision. A terme, il souhaite embaucher un ou deux
salariés. Et se donne un an pour créer sa boîte, jusqu’à fin 2004. Le temps de capter un marché. En
attendant, il adhère à une société qui facture ses missions de conseil aux entreprises et lui verse en
échange des bulletins de salaire. Les Assedic complètent ses revenus. Pour l« Je vais rebondir. »
Catherine Roncier, 43 ans, se tracasse moins. Ancienne responsable commerciale dans une entreprise
allemande de télécommunications à Paris (5 000 euros net par mois), elle a été licenciée en
janvier 2002, !
car la filiale fermait. Elle a « profité un peu du Pare » (u !
n séjour d’un mois et demi à Antigua, aux Caraïbes, chez des amis), après vingt ans de carrière
non-stop. Maintenant, elle suit une formation jusqu’en juin, pour obtenir une maîtrise de marketing
et commerce. Les Assedic lui verseront des indemnités jusqu’à cette date. Elle perd malgré tout
cinq mois par rapport à son Pare initial, mais reste optimiste : « Je n’ai ni charges familiales ni
beaucoup de frais fixes. Je me dis que je vais rebondir. J’ai toujours beaucoup bougé, participé à
la création de trois start-up. Je retrouverai du travail dans le commercial ou le marketing. Je ne
m’inquiète pas. »
Florence Baron a créé son projet professionnel, comme on dit dans les cabinets d’outplacement.
Elle souhaite développer des ventes privées de vêtements de luxe en créant un club de femmes. Elle
inviterait les membres de ce réseau chic à des événements culturels. Son rêve : être parrainée par
une marque de cosmétique. Au vu de sa situation financière inquiétante, elle cherche du travail par
ailleurs. « J’ai postulé pour être vendeuse. Cela n’a pas marché. On m’a dit que j’étais
surdiplômée. Un profil comme le mien fait peur. Aux Etats-Unis, je pense que ça ne se passerait pas ainsi.
 » Elle suit un stage de trois mois d’aide à la recherche d’emploi avec un partenaire de l’ANPE. « 
Histoire de se lever tous les matins. »

« Il faut activer son réseau. » Directeur associé du cabinet d’outplacement EOS Dirigeant, Jacques
Coignard accompagne les cadres après leur licenciement (bilan, stratégie de recherche), et
constate : « Le début de l’année a été exécrable. Nous avons rarement eu une période où aussi peu de gens
ont retrouvé du travail. Certains cadres arrivent en fin de droits et nous rencontrons de plus en
plus de situations psychologiquement difficiles, de gens qui perdent leur identité sociale.
L’essentiel, pour un cadre, est d’activer son réseau. C’est le moyen le plus efficace pour retrouver un
job. »
Côté moral, David Melerowicz dit perdre le sommeil de temps à autre. « Moi, cela fait des mois que
je ne dors plus, que j’ai peur. Je sais que la précarité n’arrive pas qu’aux autres », explique
Florence Baron, divorcée et mère de deux garçons de 18 et 13 ans.
Après deux heures de discussion, Stéphanie s’essuie les yeux. Elle avoue avoir « une boule dans la
gorge un jour sur deux » et ressentir « comme des coups de couteau dans le ventre ». Brutalement,
elle s’interroge : « Sait-on combien de chômeurs vont se suicider parmi ceux qui sortent des
Assedic ? A la CGT Chômeurs, des femmes ont dit qu’elles allaient se jeter sous le métro si ça
continuait. »
L’Association pour l’emploi des cadres (Apec) est confiante. La baisse du marché des offres
d’emplois cadres est moins forte. Le volume des offres, publié par l’Apec et dans la presse, a diminué
de 13 % par rapport à l’année précédente. Mais cette baisse était de 25 % pour la période
antérieure. A quand une hausse ? « La croissance est déjà là », répète le Premier ministre, Jean-Pierre
Raffarin. « Les Français et les Françaises récolteront, au cours de l’année 2004, le fruit de leurs
efforts faits pendant les années 2002 et 2003 », promet-il. Stéphanie, Florence, David, Arthur et
Catherine aimeraient y croire.

Messages

  • Je souhaiterais apporter ma contribution à cet article pour insister sur l’un des aspects de cette infâme réforme.

    Diplômé d’école de commerce, j’ai terminé mes études tardivement, en 1999. Je suis devenu chef de produit dans une société Internet. Etant ce que l’on appelle communément un junior, je bénéficiais d’un salaire moindre que ceux mentionnés dans cet article, soit 2700 euros mensuels et le statut de cadre. Une situation qui me semblait tout à fait appréciable pour un début. Je précise ici qu’au cours de mes études, ce début avait tout de même été précédé de périodes de stages à temps plein, soit l’équivalent d’un peu plus de deux années d’expériences bon marché car jamais indemnisées plus de 450 euros/mois. Il paraît qu’un stagiaire doit être formé par son employeur ce qui sur le papier justifie un tel niveau de rémunération. Un stagiaire fait surtout tout son possible pour réduire la charge de travail des salariés et ainsi réduire les coûts de main d’œuvre de l’employeur, il suffit de consulter les sites d’emploi pour s’en convaincre. Il n’est pas rare que certains postes tout à fait intéressants dans le marketing ou la communication soient confiés à des stagiaires avec tous les risques que cela comporte. Les employeurs pensent de plus en plus à court terme.

    J’ai quitté mon employeur début 2002, contraint à céder à ses pressions à l’issue d’une éprouvante partie d’échecs. Notre actionnaire souhaitait vider la société de tous ses effectifs en attendant des jours meilleurs. Fatigué, sollicité quelques mois plus tôt par un cabinet de recrutement, en cédant, je ne pensais pas alors être confronté à un marché de l’emploi à ce point dégradé. Et malgré l’envoi de plusieurs centaines de CV, l’impensable s’est produit : Les mois se sont transformés en deux longues années. Une situation à laquelle sont confrontés nombre de jeunes diplômés ou cadres juniors. Je parle en connaissance de cause, il me suffit de faire le tour de mon entourage. Sans parler des échos du réseau d’anciens de mon établissement pour le moins alarmistes.

    A la mi-Mars, les ASSEDICS m’ont supprimé 7 mois d’indemnités auxquelles le PARE que j’ai signé me donnait initialement droit. Et non contents de me couper les vivres, je viens de me faire notifier le rejet de ma demande d’ASS. Motif invoqué : Je n’ai pas les cinq années de cotisations requises. Par conséquent, je n’ai d’autre choix de faire une demande d’APL et de RMI. Triste bilan à presque trente ans de ne se voir aucun avenir et en dépits de nombreux sacrifices réalisés, des compétences acquises et de la motivation dont je fais preuve. Je suis en passe de devenir un précaire, sauf intervention d’un miracle (candidature retenu, procès des recalculés perdu par les ASSEDICS) ce n’est plus qu’une question de semaines tout au plus.

    Alors je m’interroge… Quelles garanties offre un pays où le gouvernement n’hésite pas à remettre en cause le principe de non rétroactivité des lois. Quel avenir envisager dans un pays où les organismes sociaux se voient accorder le droit de dénoncer unilatéralement les contrats qu’ils ont signé. Quel est le sens d’un syndicalisme qui ne cesse de pousser à la grève le service public pour des motifs le plus souvent fallacieux, mais qui à l’exception de la CGT, a trahi quelques 600.000 personnes sans emploi, soit la raison d’être du syndicalisme. Plus que jamais je considère le syndicaliste aussi corrompu que le politicien. Quelle confiance accorder aux entreprises après être passé par plus de deux années de chômage en début de carrière ? Le tout à une époque où certains économistes osent avancer l’hypothèse d’une phase de plein-emploi et très probablement d’une imminente pénurie de main œuvre qualifiée. Quel respect avoir pour des recruteurs qui n’accordent plus leur confiance et qui malgré leurs techniques draconiennes (tests bidons) se trompent encore souvent de candidats ? Les cadres ont enfin découvert ce que les ouvriers ont découvert il y a trente ans. La raréfaction du travail. Le rallongement de la formation n’est plus une assurance chômage. Ce que l’on vit aujourd’hui n’est qu’un début. La reprise est à nos portes mais à quand le prochain repli économique ? Dix ans, cinq, deux ? J’ai bien un début de réponse… En tout cas jamais mon avenir ne m’a semblé aussi incertain, tout comme celui de la France phagocytée par Bruxelles.