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Récidive, manipulation et démagogie

Publie le mardi 27 septembre 2005 par Open-Publishing
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de Bernard Lallement

Après deux faits divers successifs, mettant en cause deux récidivistes accusés de viols, le débat sur la récidive se ravive d’autant plus que, dans le même temps, Nicolas Sarkozy, a insisté sur la nécessité de se douter d’un arsenal renfoncé de contrôle des personnes soupçonnées de terrorisme.

En déclarant, lundi soir, vouloir équiper les délinquants sexuels, à leur fin de peines, d’un bracelet électronique mobile (BEM) avec un effet rétroactif au préjudice de ceux antérieurement condamnés, le Garde des sceaux a, pour la première fois, entendu violer un principe constitutionnel, celui de la non rétroactivité des lois pénales.

Pour bien enfoncer le clou, Pascal Clément a exhorté les parlementaires, appelés à examiner ces dispositions introduites dans le projet de loi contre la récidive le 12 octobre prochain, à ne pas soulever son inconstitutionnalité devant le Conseil constitutionnel. « Un homme politique ne peut dire en conscience : je laisse de côté parce qu’il y aurait risque d’inconstitutionnalité » a-t-il déclaré. Il vient, d’ailleurs, de se faire rappeler à l’ordre par le président de la haute assemblée.

Au-delà de son caractère démagogique, les propos du ministre de la justice, par ailleurs avocat dans la vie active, a au moins le mérite de la franchise et de la clarté. L’ordre républicain revisité par la chancellerie est à l’aulne des Mains sales de Sartre : « tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces. » Là est, au demeurant, toute la question.

Le débat sur la récidive est aussi vieux que celui du passage à l’acte du criminel. Il comporte son cortège de passions et de querelles fluctuant au gré des émotions ressenties par une opinion publique à l’annonce d’un fait divers, et renvoie à la finalité de la loi pénale.

Si chacun s’accorde pour appeler de ses vœux une société avec un minimum de délinquants, les théories pour y parvenir n’ont cessé de varier dans le temps et, de facto, sont toujours tributaires des émois occasionnés, dans la population, par un crime particulièrement atroce ou présenté comme tel. C’est dire, qu’en ce domaine, la raison est loin d’y trouver son compte.

Mais toutes les réflexions ont en commun de mettre au centre de leurs préoccupations la prison, qui reste la pierre angulaire de notre système répressif avec cette croyance, toujours vivace, dans l’exemplarité de la peine.

La lecture de l’histoire contemporaine nous donne quelques indications méritant réflexion. Les thèses abolitionnistes reçoivent un meilleur accueil lorsque l’économie connaît prospérité et plein emploi. En revanche, celles qui prônent une répression plus sévère ont toute chance d’être entendues quand chômage et récession sont au rendez-vous.

Laissant de côté tout humanisme, nous sommes frappés par l’interdépendance des systèmes économiques et pénaux.

Notre politique pénale, actuellement suivie, tourne autour de cette quasi certitude que la meilleure des préventions contre le crime réside dans la punition elle-même. Parce que les peines sont sévères, les (futurs) délinquants y regarderont à deux fois avant de violer la loi. De même, ceux déjà punis auront à cœur de rester « dans le droit chemin » pour ne pas connaître, à nouveau, les affres d’une condamnation.

Raisonnement simpliste, sécurisant mais erroné et ne résistant pas à l’examen. L’exemple du viol en est la parfaite illustration. Il y a trente ans, ce crime était presque banalisé. Les poursuites négligeaient les Cours d’assises au bénéfice des tribunaux correctionnels. C’est tout juste si les victimes n’étaient pas suspectées d’incitation ! A juste titre, les consciences se sont rebellées devant ce comportement sexiste. A l’époque la magistrature, contrairement à aujourd’hui, était très majoritairement masculine. Les mentalités ont évolué et les viols n’ont cessé d’être de plus en plus sévèrement punis par un jury populaire. Et pourtant, malgré une répression ne cessant d’aller crescendo, les viols, et plus généralement les atteintes aux personnes, ne cessent de croître également.

Hors la répression point de salut

Nous savons bien, et les thèses de Michel Foucault restent toujours d’une criante actualité, que la répression ne peut, à elle seule, venir à bout de la délinquance. L’exemplarité de la peine, particulièrement de la détention dans les conditions délétères où elle est actuellement exécutée, ne peut suffire. Seule, sur le long terme, la prévention et l’accompagnement des condamnés revêt quelque efficacité.

Il est facile de mettre des gens derrière des hauts murs. C’est rapide, spectaculaire et efficace sur le court terme. Mais, un jour, ils sortiront et il faudra bien s’en occuper. Cela demande des moyens matériels et humains et surtout une volonté politique qui s’exprime sur un autre registre que celui des passions.

Or, sur ce point, le budget de la justice est très clair : économie et restriction. Les postes de magistrats et de greffiers sont revus à la baisse. Il en est de même des éducateurs du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) dont le rôle est fondamental dans le suivi socio-éducatif des délinquants. Par ailleurs les juges sont priés de lever le pied dans leurs dépenses, le Garde des sceaux ayant affirmé que la réduction des frais de justice est une priorité pour 2006.

En outre, l’état de nos prisons est tel qu’il a suscité la stupeur du Commissaire européen aux droits de l’homme, qualifiant le centre de détention des Baumettes à Marseille de « répugnant. » Quant à la salle du dépôt, au palais de justice de Paris, il a affirmé : « de ma vie, sauf peut être en Moldavie, je n’ai vu un centre aussi répugnant que celui-ci, c’est affreux.

Plus de 60 900 personnes seraient incarcérées, dans des conditions déplorables déjà dénoncées par le Conseil de l’Europe et une commission parlementaire, pour 49 00 places. En deux ans, notre ministre de l’intérieur a œuvré pour que la détention augmente de 20 % et prétend, encore, accélérer et durcir le mouvement. Sans aucun suivi ni accompagnement, ni personnel suffisant, il ne faut pas chercher plus loin les raisons de la récidive.

Les statistiques le démontrent aisément : les affaires connaissant le feu de l’actualité, pour dramatiques qu’elles soient, sont une toute petite minorité. Les libérations conditionnelles sont le plus sur moyen d’éviter une nouvelle commission de délits ou de crimes, mais la chancellerie entend bien en restreindre le champ d’application.

Pourtant, Pierre Tournier, chercheur au CNRS, a démontré dans un rapport publié peu après le meurtre de Nelly Crémel que le taux de récidive est bien moins important chez les condamnés à des peines alternatives plutôt que pour ceux qui sortent en fin de peines. Par ailleurs, il est précisé, dans cette même étude, que la récidive en matière criminelle n’est que de 0,5 %. « Auctoritas,non veritas, facit legum » relevait déjà Thomas Hobbes

Aussi, le gouvernement voudrait-il nous faire croire que le pays est peuplé de criminels, et qu’il y a priorité à en prémunir les braves gens, qu’il ne s’y prendrait pas autrement.

Surfer sur la peur, et entonner le couplet sécuritaire, sont toujours des réflexes payant à l’approche d’élections incertaines. La recette a fait florès en 2002.

Bernard Lallement

http://sartre.blogspirit.com

Messages

  • Oui, tu fais le point mais tu ne mets pas assez les pieds dans le plat sur l’interdépendance relevée avec l’économique.

    Car il n’est pas innocent que cet individu soit à la fois libéral (économique) et ministre de l’intérieur.
    Les ravages du libéralisme pour le peuple et les profits pour la classe des nantis dont il est le serviteur-profiteur, ont l’immense avantage d’être doublement profitables puisque le gain est aussi politique.
    En portant la répression sur le devant de la scène médiatique, on occupe les esprits avec les conséquences et non les causes de notre société malade et on provoque le vote sécuritaire dans les couches intermédiaires.

    Libéralisme > ravages sociaux > délinquance>répression/médiatisation de la répression> élections gagnées !

    Nous avons donc un couple très cohérent ici mis en oeuvre un peu trop grossièrement par cet individu.

    Le libéralisme traité politiquement par la répression et sa médiatisation ( ou par l’infirmerie, là c’est la petite entreprise du social-démocrate ;o) permet en plus de remporter des élections dans le cadre démocratique concédé mais pour mieux le contourner et faire passer l’ensemble...

    Plus que jamais un projet alternatif de société, éradiquant les causes profondes qui nous frappent , et porté par le peuple éclairé est nécessaire.

    Pour finir, ce Bush à la française ne respecte pas les valeurs de la république, il dépasse les bornes, il est dangereux.

    Jean-Michel (Paris)