Regards croisés

A propos du Judaisme, de l’Islam et du Sionisme

Il y a de cela bien longtemps, des personnes aux yeux bleus et marron vivaient en Europe. Il y avait bien de temps à autre quelques persécutions parfois terribles contre ces gens là qui ne partageaient pas la même couleur d’yeux que la majeure partie de la population, qui avaient, il est vrai, les yeux noirs ("une personne qui n’a pas les yeux noirs ne peut pas partager la même vision du monde que nous autre" va sans dire), mais dans l’ensemble ceux-ci s’entendaient parfaitement avec leurs confrères aux yeux marrons.

Il y a de cela une cinquantaine d’années les yeux bleus furent parmi les victimes d’une des plus terribles persécutions. Certains des yeux noirs considérant leur particularisme comme un élément vital, dont les autres ne pouvaient être source que de déchéance. Des millions de personnes aux yeux bleus furent ainsi exterminés. La folie meurtrière de certains des yeux noirs terminée, on choisit une solution : les yeux bleus devaient avoir une terre à eux .

Pour cela la seule manière d’imaginer la paix fut de leur proposer un territoire chez les yeux marrons (ce qui certains d’entre eux avaient réclamé depuis bien longtemps d’ailleurs, car évidemment les yeux bleus se doivent de vivre ensemble). De là les yeux bleus se mirent à faire comme tous les autres à travers le monde : ils avaient maintenant le drapeau des yeux bleus, un gouvernement pour les yeux bleus, les frontières des yeux bleus, un hymne et des prières à la gloire des yeux bleus, et surtout évidemment des yeux bleus. Bref, tout plein de petites choses qui font qu’il leur est impossible de vivre avec les autres.

Va sans dire, les yeux marrons, qui furent entre temps expulsés de leurs terres (la terre des yeux bleus n’est pas celle des yeux marron, et celles des yeux marron pas celle des yeux bleus, évidemment), faisaient de même et réclamaient la même chose. Ils ne comprenait donc pas pourquoi on leur refusait : d’où d’interminables débats philosophiques : ce bout de terre appartient-il aux yeux marron ou aux yeux bleus ? Vaste question sur laquelle certains scientifiques travaillent encore. Est-ce que ce sont les yeux marron qui tuent des yeux bleus, ou bien les yeux bleus qui tuent des yeux marron, qui sont les premiers responsables des tueries ? Est-ce que la poule née de l’œuf, ou bien est-ce l’œuf qui est pondu par la poule ? Bref on n’en finissait pas.

Là-dessus, des yeux bleus et des yeux marrons d’une intelligence supérieure (du moins c’est ce qu’on dit) trouvèrent un moyen de mettre fin aux souffrances de leur peuple : les yeux bleus devaient vivre chez eux, et les yeux marrons dans leur coin C.Q.F.D.. Et les poules seraient bien gardées (ce qui au passage ne répondait toujours pas à la question de l’œuf). On décida donc de construire un mur, d’évacuer certains yeux bleus qui vivaient chez les yeux marrons. Mais rien n’y faisait. Chaque jour leur rappelait qu’on allait dans le mur (sans l’abimer, le vrai), mais bon an, mal an, et puisque cela se devait d’être la seule solution, on continuait d’avancer gaiment sur les cadavres.

Pourtant certains avec le temps commencèrent à remettre en cause les idées reçues. Quelques un d’entre eux se rappelaient que le passé leur avait montré que la couleur n’avait pas été un obstacle à la cohabitation des personnes aux yeux bleus et marrons à travers l’Histoire, d’autres commençaient à se demander si la couleur des yeux avait vraiment un sens qui rendait leur quotidien incompatible, d’autres enfin (de véritables fous ceux là) imaginaient même que les symboles nationalistes n’avaient jamais eu aucune signification, qu’ils avaient toujours été là afin de servir des mythes qui vivaient plus dans l’imaginaire que la réalité, qu’ils avaient surtout toujours été les éléments par lesquels une petite poignée d’idéologues arrivent à diviser des hommes, quand ce n’est pas pour les envoyer à une boucherie pour la croyance en ces mêmes mythes.

Mais de cela on ne voulait pas entendre parler. Les yeux bleus ne peuvent pas vivre avec les yeux marrons et vice-versa, penser le contraire serait être un idéaliste, un fou.

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