Renaud le renégat

Le parcours de Renaud, révélation dans la catégorie chansons de variété, est caractéristique de la droitisation de la société française. Alors qu’il prétend ne pas vouloir plaire à tout le monde, il se contente de se conformer à l’idéologie commune pour recouvrer un succès qui lui avait tourné le dos.

Ses prises de position marquent une courbe rentrante remarquable : remise en cause de la contestation dans les banlieues, stigmatisation condescendante de la scène rap, critique grossière des Farcs, condamnation sans nuance de la « dictature » cubaine, campagne pour le oui à la constitution européenne… Ses thèmes de prédilection ne peuvent que faire l’unanimité. Depuis 2005, il lutte activement pour la libération d’Ingrid Bétancourt et organise le 23 février 2006, à l’occasion des quatre ans de détention de l’otage, un grand concert réunissant de nombreuses personnalités. Il s’est investi ces derniers temps dans la lutte contre la corrida et pour la réintroduction des ours dans les Pyrénées. Les thèmes de ces chansons sont tout aussi consensuels. On apprend que Renaud est pour la paix dans la chanson Manhattan-Kaboul, que Renaud n’aime pas la TV réalité et qu’il est opposé à la cigarette. Il y a plus. Renaud pratique le révisionnisme : il nie en personne tout un pan de son œuvre. Il ne veut même plus chanter ses textes de colère comme « Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ? ». Ses chansons les plus engagées perdent pour lui tout sens en dehors du contexte social qui les a vu naître. Son autocritique stalinienne donne de l’eau au moulin des bien-pensants qui affluent pour l’encenser.

L’exhibitionnisme sentimental a été une autre concession dans la voie de la résurrection commerciale. Il n’a pas compté pour ce qui constitue la plus grande cause de sa vie : le succès. Des plateaux de Michel Drucker à Marc-Olivier Fogiel à la couverture de Paris-Match, Renaud cherche la lumière pour sortir de l’ombre. Sa vie privée est mise au service de sa vie professionnelle : ses déboires conjugaux, sa reconquête du bonheur, la naissance de son fils. Rien ne nous a été épargné.

Il reconnaît d’ailleurs être pétri de paradoxes, ce qui est supposé plaider en faveur de son ouverture d’esprit. En fait, ses contradictions ne sont que la cristallisation d’une compromission rampante. Il cultive toujours l’image du contestataire mais la seule chose qu’il remet en cause est son passé. Celui qui chantait "Société, tu m’auras pas" s’est une nouvelle fois parjuré.