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Retour en Algérie (2) - "Alger, odeur de terre mouillée"

Publie le mardi 1er décembre 2009 par Open-Publishing
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Nadir Dendoune est journaliste français. Pour humanite.fr, il "fait le voyage", à l’envers de ses parents.

Deuxième épisode : Alger, odeur de terre mouillée.

A chaque départ, c’est la même zik-mu.

Maman m’oblige à prendre un paquet de bonbons dans mon sac, mon père me demande de rester en France, il y a du travail ici mon fils.

Mes parents viennent de fêter leurs 40 ans.

Ils sont plus vieux en vérité.

Je voulais dire qu’ils venaient de fêter leurs 40 ans dans la même cité. Un endroit que pour rien au monde ils aimeraient quitter. Après les bisous ne vous inquiétez pas je reviens bientôt, tout va bien se passer, je finis par descendre. Une fois sur deux, l’ascenseur est en grève. Je croise des jeunes et des vieux qui me demandent où je vais. Une fois sur deux, je réponds. Maman apparait sur son balcon, elle met sa main devant ses yeux pour se protéger du soleil et essaie de m’apercevoir. A chaque départ, il me reste un gramme d’énergie. Ce matin, j’ai couru avec mon scooter dans les rues de Paris, j’ai fini la matinée chez le dentiste.

Il a été gentil avec moi le toubib des dents, je n’ai eu droit qu’à de petits soins.

J’ai trainé mon sac jusqu’à la gare de Saint-Denis. Le RER D est arrivé en retard, aucune surprise.

Il était bondé et des gens exprimaient leur ras-le-bol, une femme a parlé de prises d’otages.

J’ai eu envie de crier y en a marre des beaufs qui mélangent tout. Vas en Colombie, ma grande.

A la Gare du Nord, j’ai permuté avec le B. Ça roulait bien et j’ai pu m’asseoir. En face de moi, une jolie fille aux yeux noirs et profonds, bien sapée, avait un regard qui se perdait dans le vide. A ma droite, un vieillard de l’âge de mon père, semblait perdu et regardait sans cesse le panneau où était affiché le nom des stations.

J’ai voulu l’aider mais les mots ont été moins réactifs que ma pensée et le daron est parti demander au secours à une dame.

J’ai regardé par la vitre du train. D’un coup, de battre mon cœur est allé plus vite en pensant à cette merveilleuse fille restée à Paris. La banlieue au sens péjoratif du terme s’éloignait.

L’identité nationale pouvait souffler de nouveau.

J’ai repensé à ce que j’avais entendu ce matin à la radio.

Xavier Bertrand, « patron officiel » de l’UMP, gueule-gentille-ne vous-fiez-pas-aux-apparences, pensait que l’édifice de minarets n’était pas indispensable aux musulmans quand ces derniers désiraient pratiquer leur religion.

Merci de parler aux noms des autres.

Il répondait à une polémique née après que les Suisses aient voté largement contre la construction de minarets dans le territoire helvétique.

Si Bertrand avait pu ajouter que les Cathos n’avaient pas besoin de clocher pour kiffer la messe le dimanche, le compte aurait été bon.

A Antony, chez Patrick Devedjian, un vieux d’Occident (ancien mouvement d’extrême droite), pas moyen de resquiller ou d’avoir une ristourne pour emprunter l’Orly-Val, un trajet précoce de sept minutes, douche comprise et vendu 7 euros 60 l’unité.

Désormais, un Monsieur-Sécu veille au grain.

Orly-Sud, comptoir d’Air Algérie. J’ai près de trente minutes de retard sur l’heure du rendez-vous, donc je cavale. J’ai oublié le déo sous les aisselles alors tu t’approches pas de moi mon chéri.

Marliche*, le responsable du voyage-presse n’est pas encore arrivé.

Ouf. Nous sommes fin novembre et les comptoirs sont vides. Souvent, j’emmène mes parents à l’aéroport en plein été. On y arrive trois heures avant l’embarquement.

Faut voir le monde, que des Arabes…

Après, on se demande pourquoi certains Français ne peuvent plus les voir. Ils font du bruit, se chamaillent parce que l’autre a doublé l’autre. Et puis, les odeurs, les épices.

Chirac, en 1991, avait vu juste : le bon Français n’en peut plus de vivre à côté de ces gens-là. « Ces gens-là », Brel aurait trop aimé le climat ambiant.

Alors, moi, en montant à l’intérieur du zinc, j’en avais tellement gros sur la patate, que je me suis mis à enlever toutes les couches de mes vêtements. Il restait plus que le t-shirt « la journée sans immigrés.

Une nana s’est approchée, elle m’a dit je connais ce logo, je l’ai vu sur Internet.

Je me suis demandé comment on avait pu laisser le Président métèque faire croire à la population que c’étaient uniquement « les Français de souche » qui se levait à cinq heures du matin.

J’ai répété mon discours à plusieurs personnes qui avaient entendu parler de notre mouvement, né il y a quelques mois seulement, au domicile de Nadia.

A l’époque, on était six, il y avait du bon fromage et des chips.

L’avion a atterri en douceur, du travail d’arabe.

Comme on était en voyage de presse, sponsorisé par le ministère du tourisme algérien, on a passé la douane sans forcer sur mon charme. Le piston, mon frère. A l’aéroport Houari Boumediene, refait à neuf, les confrères ont allumé leur clope, pourtant les signes d’interdiction inondaient les murs.

L’odeur de la terre mouillée est venue envahir mes narines.

J’étais à Alger.

La nuit était installée.

Douze petits degrés. J’étais trop content d’être là.

Mes parents étaient nés dans ce pays. On est monté dans un minibus, le chauffeur avait entendu dire qu’il devait battre le record du monde de vitesse. La victoire de l’équipe nationale de football était encore visible.

Des grands posters avec le visage des héros étaient suspendus dans les airs, la fierté de toute une nation. Des « one, two, three, viva l’Algérie », écrit au marqueur épais, recouvraient de nombreux murs. A un moment, on est passés devant de longues barres d’immeubles, style barres HLM de chez nous. J’ai cru reconnaitre dans l’une d’entre elles la cité des 4000 à la Courneuve.

L’hôtel est apparu, le meilleur de la ville, une pure merveille, « Hotel El-Djazaïr ». Les autres sont descendus en laissant les bagages à l’intérieur du van. Moi, je n’ai pas pu.

J’ai pensé à « la journée sans immigrés ». J’ai pensé au mot travail, au mot mérite, à la reconnaissance… J’ai demandé à un type de m’aider à sortir les valises, je ne voulais pas que les employés de l’hôtel s’esquintent le dos. J’ai ouvert la porte de ma chambre et j’ai regretté que mes parents ne puissent pas voir ça.

http://www.humanite.fr/Retour-en-Algerie-2

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