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Retour sur l’université d’été du MEDEF / L’Huma du 1er septembre
Publie le mardi 5 septembre 2006 par Open-Publishing1 commentaire
Les patrons
tutoient Sarkozy
Medef. En vedette américaine, le président de l’UMP promet au MEDEF, en cas de victoire à la présidentielle, de s’attaquer au droit de grève.
Il n’est resté qu’une trentaine de minutes, mais ça suffit : il fait ce qu’il veut, il est chez lui. Ministre de l’Intérieur et, plus encore hier en fin de matinée, président de l’UMP en course pour la présidentielle, Nicolas Sarkozy a littéralement conclu le rendez-vous annuel du MEDEF à Jouy-en-Josas (Yvelines). Comme si c’était naturel. Comme un aveu de consanguinité. « Nicolas, vous êtes... » Laurence Parisot fait mine de calculer son effet et appuie pour revendiquer le lien : « Nicolas, tu es... Nous étions à Sciences-Po ensemble. Tu es un fidèle de notre université d’été. Au cours de ces trois jours, tout le monde a insisté sur l’importance de l’engagement. Les gens doivent s’engager derrière un projet, mais pour ça, il faut un leader. Tu as des choses à nous dire sur la question ? »
Les cyniques
dans sa poche
Dans son discours mi-bilan mi-programme, Nicolas Sarkozy n’a pas hésité à mettre les cyniques - et ils étaient visiblement nombreux - dans sa poche, quand ils n’y étaient pas déjà, en ricanant sur les squatteurs de Cachan (« Quand j’ai fait évacuer le squat et qu’ils se sont mis à occuper le trottoir, j’ai fait évacuer le trottoir, mais le maire socialiste a décidé de les accueillir dans un gymnase et maintenant, c’est son problème »). Sur les questions sociales et économiques, le ministre de l’Intérieur s’est bien gardé d’évoquer les annonces « pour l’emploi » du gouvernement Villepin, en se contentant de rappeler son attachement, très populaire au MEDEF, à la « méritocratie ». « Moi, je ne parle pas de justice sociale, se vante-t-il. L’adjectif ne sert à rien. Je suis pour la justice tout court. Donner un diplôme à tout le monde, c’est une injustice : on privilégie celui qui n’a rien fait. La justice, ce n’est pas que tout le monde gagne la même chose, c’est que, quand on travaille plus que les autres, il est normal qu’on gagne plus que les autres. Les socialistes sont les spécialistes en la matière : pour eux, ça n’a aucune importance qu’il y ait un retard, si tout le monde est en retard ! »
Dans une allusion à la révision des règles de représentativité syndicale, Nicolas Sarkozy disserte : « Le problème de la France, ce n’est pas d’avoir des syndicats trop puissants, mais au contraire pas assez puissants. Car quand on est petit, on a tendance à faire la politique de ceux qui sont les plus durs et les plus sectaires. » Répétant ce qu’il avait déjà promis avec la mise en oeuvre d’un « service minimum » dans les transports, le candidat à l’investiture UMP propose encore de s’attaquer frontalement au droit de grève. « Je souhaite que par la loi, et ce sera une de mes propositions, lorsqu’il y a un conflit et une grève dans une entreprise, dans une université ou dans une administration, on organise dans les 8 jours un vote à bulletin secret pour en finir avec la dictature de certaines minorités » Tonnerre d’applaudissements. « Vous avez noté que je n’ai pas évoqué les lycées, parce qu’il faut dire que le droit de grève dans les lycées, c’est quelque chose que je considère comme pas tout à fait normal »
Du baume
sur les plaies
des patrons
À l’issue de son discours, Nicolas Sarkozy tente de mettre du baume sur les plaies des patrons. « Mes chers amis, je ne vois pas la France comme immobile et je ne vois pas les Français comme des conservateurs. Les Français sont tout à fait prêts à comprendre le changement si on leur explique. » Un brin désemparés jusque-là, les patrons ont, dans la dernière ligne droite, trouvé leur « projet » et leur « leader ».
Thomas Lemahieu
http://www.humanite.fr/journal/2006...
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Le patronat rêve
de changer le peuple
Terrorisés par l’antilibéralisme qui, selon eux, caractérise l’opinion publique en France, les patrons peinent à sortir de la nasse.
Guerre au Liban, flambée du pétrole, capitalisme en train de s’autodétruire... Et un pull-over vert se lève, la question qui tue : « Moi, je suis joueur de golf et on retrouve parfois des pots de yaourts sur les parcours. Est-ce que Danone compte bientôt passer au biodégradable ? » Mines bronzées et rictus de rentrée, plusieurs milliers de patrons ont certes bien rigolé pendant l’université d’été du MEDEF, mais, globalement, ça n’aura pas vraiment été la fête pour eux. Moral passagèrement en berne ou développement durable du coup de blues ? Et si, au fond, le patronat était aujourd’hui entré dans sa grande dépression ? Il y a les petits tracas (la pollution, par des gueux sans doute, des parcours de golf, mais aussi les augmentations « politiques » du SMIC, les menaces sur les stock options, la perspective du chèque-emploi, le dossier brûlant de la fusion GDF-Suez, etc.) et un très gros problème, une montagne, leur hantise : les patrons viennent de découvrir que les Français n’aiment ni « l’économie de marché » ni, dans une perspective élargie, le « libéralisme ».
Selon un sondage mondial commandé par l’université américaine du Maryland, publié au printemps dernier, mais convoqué à maintes reprises lors des rencontres annuelles de Jouy-en-Josas (Yvelines), les Français ne seraient que 36 % à répondre qu’ils sont d’accord avec l’assertion : « Le système de libre entreprise et de l’économie de marché est-il le meilleur pour l’avenir ? » Loin derrière les Chinois (74 %), les Américains (71 %), les Anglais (67 %) et les Allemands (65 %), qui, eux, auraient la foi... Après la déroute référendaire du projet de traité constitutionnel européen en 2005, après la mise en échec dans la rue du contrat première embauche (CPE) cette année, le MEDEF a fait un rêve : changer ce peuple de cancres dans la classe de la « mondialisation heureuse ».
Même les évêques
trahissent
Trop injuste : les patrons français n’ont décidément pas le pays qu’ils méritent... Et face à des concitoyens qu’ils dépeignent volontiers comme archaïques ou carrément arriérés, ils trépignent. « Si, comme nous le disent presque tous les économistes, on assiste bien à la « fin de l’histoire », cela signifie qu’il y a un consensus mondial sur le meilleur système économique, et que c’est le marché, assène Serge Villepelet, président du cabinet d’audit Price Waterhouse Coopers. Or nous sommes dans un pays qui conserve une méfiance à l’égard du libéralisme. Mais comment la France, qui n’aime que si tièdement les meilleures de ses entreprises, pourrait-elle aller sur le chemin de la croissance et de la compétitivité ? » Dans un autre style, Robert Leblanc, courtier en assurances et responsable de l’association des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC), déplore : « Nous qui sommes chrétiens, quand on voit les évêques réagir, ça nous donne parfois des boutons. Ils sont en phase avec les citoyens, l’opinion publique et les médias, et quand on annonce un licenciement, ils voient ça comme un drame humain. Ils refusent de prendre en considération le fait que c’est une opportunité, que la mobilité, c’est positif... »
Pour rendre présentable, voire désirable, le capitalisme, le MEDEF se retrouve, au terme de trois jours d’université d’été ultra-pauvres au plan intellectuel (lire ci-dessous), avec trois registres d’interventions dans le débat public... Trois « arguments », et autant d’impasses : l’idéologie de la « réalité », l’assertion technique de la « contrainte extérieure » et l’« exemple » international (la méthode des comparaisons des standards entre les pays dite « benchmarking » dans le jargon du management).
Les patrons sont
la « réalité »
« Nous vivons dans un pays où l’opinion publique est la moins bien informée au monde, considère Michel Pébereau, président du conseil d’administration de BNP-Paribas. Dans les entreprises, les Français ont accepté une série de réformes, mais il demeure bien difficile de réformer au plan national. Nous avons sur ce terrain une exception française incompréhensible. En tant que chefs d’entreprise, nous sommes mieux placés que d’autres pour parler de la réalité, cela nous évitera de nous embarquer dans débats idéologiques qui sont en train de contester le réel. » Avec la présidence de Laurence Parisot, le MEDEF a mis en place une commission du « dialogue économique », vaste entreprise « pédagogique » d’explication de la « réalité ». Mais avec une désinvolture totale, Frank Riboud, PDG de Danone, lève un coin du voile sur la nature de la manipulation : « Oui, il faut aujourd’hui un dialogue économique, s’embarque-t-il. Il faut expliquer que l’objectif de l’entreprise, c’est de faire des résultats. Danone a été l’entreprise préférée des Français, et puis celle qui était la plus détestée au moment de l’affaire LU [licenciements boursiers et fermeture annoncée en 2001 de deux usines à Calais et à Ris-Orangis - NDLR]. Le matin, je me regarde dans la glace, je me dis : « C’est toi qui décides si ce que tu fais est bien ou pas. » C’est la règle que j’applique, et ça marche. » Au MEDEF, il en va de cette « réalité », passablement amputée, comme du reflet dans le miroir de Frank Riboud : c’est toujours le patron qui décide ce qui est « réel » ou « bien » et ce qui ne l’est pas.
« Crédit épuisé »
pour la contrainte
Alors que le politologue Bernard Manin avertit qu’en matière de « réformes » néo-libérales « l’usage exclusif de la rhétorique de la contrainte produit aussi des coûts » et qu’aujourd’hui « le crédit est épuisé », Henri de Castries, président du directoire d’Axa, tient son rôle de zélateur du « benchmarking » jusqu’à la caricature et au mensonge par omission : « Nous n’en sommes pas encore à manger des glands, se félicite-t-il, mais depuis qu’en France le libéralisme est diabolisé, notre performance a décroché par rapport à des pays qui y ont, eux, pleinement adhéré. Regardez l’Angleterre, où le revenu moyen par tête a dépassé celui de la France, regardez les performances économiques, et sociales, de l’Irlande et de l’Espagne, qui ont fait des choix libéraux et qui les assument ! » Dans un des ateliers suivants, l’avocat d’affaires et essayiste Michel Guénaire, qui se gargarise d’avoir été jeune giscardien à dix-sept ans, mouche en douce le représentant du parrain du grand capital français, Claude Bébéar. « La France n’est pas en déclin, elle est juste en décalage avec le modèle dominant, anglo-saxon, de la mondialisation. Or ce modèle est en échec. Blair est en train de remettre les services publics, Bush a demandé à Chirac comment fonctionne la Sécurité sociale française. Une fois réformée, la France pourrait esquisser un modèle alternatif à la mondialisation actuelle. »
Dans l’impasse
du libéralisme
En instance de divorce avec la société, le MEDEF ne semble guère trouver d’issue pour continuer d’avancer ses pions. Bien sûr, il peut, comme il le fait depuis 2002, compter sur le secours de la droite française... Et il le sait, en témoigne l’accueil triomphal offert au président de l’UMP, qui s’est payé le luxe de prononcer le discours de clôture de l’université d’été patronale (lire ci-contre). Dans cette crise de confiance, quelles manoeuvres imagine encore le patronat ? Il y a une solution du coup de boule paternaliste, un peu surannée, décalée par rapport au discours officiel, mais encore défendue sans vergogne par le patriarche Serge Dassault : « Il ne sert à rien de parler avec les syndicats puisqu’ils ne connaissent rien à l’économie, il faut discuter directement avec le personnel. » Vient ensuite la technique de la cuisson du homard : « Maintenant qu’il n’y a quasiment plus de cotisations sur les salaires, on ne va plus pouvoir les alléger longtemps, note Éric Chaney, « chief economist » pour l’Europe chez l’analyste Morgan Stanley. Pour avancer, on doit aller vers le contrat unique, plus flexible que le CDI. Mais petit à petit ! On a un atout en poche, c’est la démographie. Cela va prendre vingt-cinq ans, mais il faut qu’on ait le courage d’y aller tout de suite. » Dernière piste en réflexion lors de cette université d’été : que la gauche se convertisse enfin complètement aux thèses du MEDEF ! « En 1983, la gauche abandonne le programme de rupture avec le capitalisme, mais elle ne le dit pas, regrette Philippe Raynaud, philosophe au centre de recherches politiques Raymond-Aron. La gauche dit juste qu’il faut s’adapter. Or, à mon sens, ce qui est idéologiquement hégémonique en France, c’est la gauche... C’est pourquoi il faut désormais que l’opinion française éclairée, et je pense en particulier à l’opinion française de gauche, fasse un aggiornamento [mise au goût du jour - NDLR] qu’elle n’a que trop différé jusqu’ici. » Encore quelques années à ce rythme, et c’est le patronat français qui, dans une perspective véritablement réaliste, devra faire son « aggiornamento ».
T.L.
http://www.humanite.fr/journal/2006...
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« Le vrai problème
de la France »
Dans son gigantesque raout de remotivation, que le MEDEF baptise « université d’été », peu de grands penseurs ou de chercheurs en sciences humaines s’installent aux tribunes ; ils laissent souvent la place à des essayistes médiatiques, à des « journalistes vus à la télé »... Et aux politiques : en dehors des ministres (Nicolas Sarkozy, Thierry Breton, Jean-François Copé et Christine Lagarde), le MEDEF n’est pas peu fier d’avoir réussi à débaucher, sans grand mérite pourtant, François Bayrou (UDF), Dominique Strauss-Kahn, Jean-Marie Bockel et Manuel Valls (PS), Denis Baupin et Daniel Cohn-Bendit (Verts). Modèle du genre libéral-libertaire, ce dernier réveillera la foule au moyen de quelques saillies anticommunistes. Quand Henri de Castries, délicat dirigeant d’Axa, convoque Maurice Thorez pour illustrer la nécessité, selon lui, de parler moins de répartition et plus de productions de richesse, Daniel Cohn-Bendit gueule sous les vivats : « Et au goulag, c’est sûr qu’on produisait ! » Autre gros succès lorsque le même affirme : « Le vrai problème de la France, c’est toujours le gaullo-communisme ! » Mais qui sont les archaïques dans cette affaire ?
Messages
1. > Retour sur l’université d’été du MEDEF / L’Huma du 1er septembre, 5 septembre 2006, 13:36
"Quand Henri de Castries, délicat dirigeant d’Axa, convoque Maurice Thorez pour illustrer la nécessité, selon lui, de parler moins de répartition et plus de productions de richesse, Daniel Cohn-Bendit gueule sous les vivats : « Et au goulag, c’est sûr qu’on produisait ! »"
Cohn-Bendit monstre d’anti-communisme primaire vendu aux patrons ...
Francesca