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Retraites : usage de faux généralisé
Publie le mardi 12 octobre 2010 par Open-Publishing1 commentaire
11/10/2010 à 00h00
Par CÉDRIC MATHIOT, LUC PEILLON
Les débats qui ont entouré la réforme ont été alimentés par des assertions et des chiffres biaisés, à droite comme à gauche.
C’était dimanche 3 octobre, sur RTL. François Baroin, ministre du Budget, invité de l’émission politique le Grand Jury, se félicitait de la qualité du débat sur retraites. Louant la « pédagogie » des acteurs, il ajoutait : « Ce qui compte, c’est que les Français comprennent l’enjeu. » Sauf que quelques minutes avant, le même s’était plutôt échiné à brouiller les cartes, s’indignant contre « l’union de la gauche, de Besancenot à Martine Aubry, qui n’ont plus qu’un seul slogan : 60 ans et à taux plein ». Et de rajouter, théâtral : « Mais c’est une blague ! C’est une farce ! C’est irresponsable sur le plan politique. On ne peut pas être un parti de gouvernement comme l’est le PS et tenir ce type de position. » C’est effectivement une blague. Car les socialistes ne défendent nullement, à l’inverse du NPA, la retraite à 60 ans et à taux plein. C’est même la ligne de démarcation entre le PS et sa gauche. Mais voilà, l’heure n’est plus à la nuance. Dans la dernière ligne droite du débat parlementaire, et alors que les manifestations ne faiblissent pas, il faut emporter l’adhésion. Quitte à mentir.
Les parfaits bobards
Quelques heures plus tard, le même jour, mais cette fois à la télé, François Fillon en apportait une autre preuve. Le Premier ministre est l’invité de Capital, sur M6. Le journaliste Guy Lagache lui oppose la critique de fond des syndicats contre la réforme : elle est « injuste », insiste Lagache, car elle poussera ceux qui ont commencé à travailler à 18 ans à cotiser pendant 44 ans, bien au-delà du nombre minimal d’annuités requis, avant de pouvoir partir en retraite à 62 ans. Implacable. Fillon tourne autour du pot, puis lâche cet énorme bobard : ce n’est pas injuste, car les salariés en question toucheront« une retraite plus élevée ». Archifaux. C’est même le nœud du problème : un salarié partant à 62 ans et ayant cotisé 44 ans aura la même retraite qu’un autre partant au même âge avec 41,5 ans de cotisation.
Zappons maintenant sur i-Télé, toujours ce 3 octobre : Dominique de Villepin est l’invité de l’émission Dimanche soir politique. L’ex-Premier ministre, transformé en opposant numéro 1 de Sarkozy au sein de la majorité, dénonce le report de 65 à 67 ans de l’âge de départ à taux plein : « Avec la réforme, 50% des femmes seraient obligées de partir à la retraite à 67 ans. » Re-zappons sur M6, pour entendre… exactement l’inverse, puisque François Fillon prétend démonter les mensonges proférés sur le sujet : « Il y a une désinformation totale sur cette affaire de 67 ans. Très peu de gens partiront à la retraite à 67 ans, il n’y en aura même sans doute pas. De même qu’aujourd’hui, il y a très peu de gens qui partent à 65 ans. » Tâchons de comprendre : la moitié des femmes partiront-elles à la retraite à 67 ans… ou bien aucune ? La vérité se situe… entre les deux. Actuellement, 17% des Français (21% des femmes) attendent d’atteindre l’âge du taux plein (65 ans) pour partir en retraite. Contrairement à ce que dit Fillon, l’allongement de la durée des études, retardant l’entrée sur le marché du travail, conjuguée au durcissement des conditions d’obtention de la retraite, vont contraindre de plus en plus de Français à travailler jusqu’à l’âge du taux plein. Arrivera-t-on à la proportion de 50% de femmes citée par Villepin ? Aucune étude n’étaye cette sombre projection.
Des bobards, des approximations comme cela, le débat en crache en continu depuis son lancement : chiffres rabiotés, tronqués quand ils ne sont pas inventés ; positions du camp adverse caricaturées… Libération avait récemment dressé la liste des cinq mensonges de la droite en matière de retraite. Mais à ce petit jeu, la gauche se défend aussi. Depuis quelques semaines, Olivier Besancenot milite à tous les micros pour un retour aux 37,5 annuités qui étaient en vigueur avant la réforme de 1993. Son argument : « Il faut savoir qu’aujourd’hui, il y a une toute petite minorité de salariés qui arrive à faire les 37,5 annuités.Pourquoi ? Parce qu’il y a des départs en préretraite, du chômage, des maladies professionnelles. » Besancenot a raison : le chômage rend les carrières moins linéaires… mais son affirmation catastrophiste selon laquelle seule une toute petite minorité de salariés parviennent à 37,5 annuités est tout à fait fantaisiste : parmi les Français partis à la retraite en 2009, 60% (hors invalides) l’ont fait à 60 ans et 85% d’entre eux avaient tous les trimestres requis.
Les chiffres arrangés
Le paradoxe, c’est que les chiffres incontestables existent. Le Conseil d’orientation des retraites (COR), qui avait précisément été créé dans le but d’éviter les batailles rangées à propos des chiffres, livre régulièrement des kilos de rapports. La Caisse nationale d’assurance vieillesse regorge de statistiques. Problème, ces chiffres sont peu ou mal utilisés. Eric Woerth était ravi de puiser dans le rapport du COR le fait que les pensions allaient continuer à augmenter dans les prochaines années… mais il a « oublié » de préciser que, selon le même rapport, les salaires allaient progresser beaucoup plus vite… Et donc que le ratio entre les pensions et les salaires va en fait continuer à se dégrader.
Pire, les sources statistiques sont parfois raillées quand elles ne vont pas le sens souhaité. Benoît Hamon, porte-parole du PS, s’est ainsi perdu en avril dans un calcul fantasque aboutissant à une sombre conclusion : la moitié des retraités français toucheraient, au sortir d’une carrière complète, moins de 800 euros… Un chiffre effrayant, mais totalement faux. Démenti par Libération, Hamon a accusé le quotidien « de ne pas dépasser le stade des "informations" glanées auprès du COR ».
La technicité du débat explique-t-elle les dérapages ? Voire. Les plus experts sont volontiers les plus menteurs. Fillon était ministre du Travail en 2003, artisan de la réforme des retraites qui porte son nom, et à ce titre excellent connaisseur du dossier. Ce qui ne l’empêchait pas d’affirmer récemment que les Français vont « passer quinze ans de plus que nos parents en retraite ». Une grossière contre-vérité : en une génération, l’espérance de vie à la retraite progresse de 4,5 ans environ, et non de 15 ans.
La foire aux estimations
La question du financement a également donné lieu à de nombreux bobards… Quand le PS présente son contre-projet de réforme, il affirme qu’il glanera 3 milliards d’euros avec une majoration de 15 points de l’impôt sur les sociétés des banques. L’estimation est avantageuse car elle se base sur les années les plus fastes en matière de profits bancaires. Les « mauvaises » années, la surtaxe ne rapporterait qu’un milliard d’euros. Mais plutôt que de rectifier, la droite préférera enfoncer le clou… quitte à raconter n’importe quoi : la taxation n’apportera que 300 millions, se moquent Woerth et Fillon. Qui répondent donc à une exagération par une plus grosse exagération encore.
Et que dire du tour de passe-passe du gouvernement sur les chiffres du déficit ? Pour préparer l’opinion à une réforme dure, la droite a insisté dès janvier sur la lourdeur des déficits à venir : 100 milliards d’euros en 2050, 45 milliards dès 2020. Mais, quand le gouvernement présente sa réforme, le compte n’y est pas : à l’horizon 2018, il reste encore un tiers du trou… soit 15 milliards. Ce qui n’empêche pas la droite d’assurer que sa réforme finance « la totalité du déficit ». Explication : les 15 milliards manquants, qui correspondent au déficit du régime de retraite des fonctionnaires, auxquels la réforme n’apporte pas de solution, sont compensés par un « effort » de l’Etat. C’est-à-dire… par du déficit.
Difficile, dans ces conditions, de partager le satisfecit accordé par Baroin à la qualité du débat. Les syndicats et experts jugent plutôt sévèrement (lire ci-contre) des échanges qui ont parfois pris des airs de dispute de cour d’école. Ainsi, lors de son discours de clôture des journées parlementaires, le 22 septembre, Martine Aubry affirmait : « Contrairement à la proposition du gouvernement, nous traitons du premier au dernier euro le problème du déficit des retraites, alors que vous le savez, le gouvernement laisse plus de la moitié des déficits sans financement. » Réponse de l’UMP : « Le PS nous dit que sur le plan financier, cette réforme est inefficace. C’est faux, elle ramène le système à l’équilibre en 2018, alors que le projet socialiste ne comble pas la moitié des déficits ! » Au milieu, le citoyen se demande lequel des deux croire. Au risque de finir par n’en croire aucun.
Messages
1. Retraites : usage de faux généralisé, 12 octobre 2010, 15:17
Libération n’est pas ma tasse de thé (mi-chèvre mi-chou mais depuis longtemps vendu au Kapital), mais Bernard FRIOT, si !