Accueil > Richesse fabuleuse et misère sordide
Quatre morts lors des manifestations violentes contre la vie chère à Cayes au sud de Haïti. Toujours dans le même pays, un casque bleu attaqué et tué par balles alors qu’il apportait de la nourriture à ses collègues. A Ljubljana, capitale de la Slovénie qui préside actuellement l’Union européenne, des dizaines de milliers de manifestants scandaient des slogans contre la hausse des prix et la baisse du pouvoir d’achat. De telles manifestations se multiplient un peu partout à travers la planète (Bangladesh, Burkinabé, Cameroun, Côte d’Ivoire, Egypte, Indonésie, Maroc, Mauritanie, Philippines, Sénégal, etc.).
Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) des Nations Unies s’inquiète de cette flambée des prix des denrées alimentaires qui risque de diminuer ses capacités d’intervention : « Notre capacité à accéder aux gens diminue juste au moment où les besoins augmentent (...) ».déclarait sa directrice Josette Sheeran. (1).
Plusieurs facteurs importants interviennent pour expliquer cette crise : dynamisme des économies des pays comme la Chine ou l’Inde, pétrole cher, climat déréglé, spéculation, subprime etc. Mais il s’agit là plutôt de conséquences que de raisons profondes. Celles-ci sont à chercher dans le fonctionnement même du capitalisme.
« Nous faisons face à un nouvel aspect de la faim, les gens sont exclus du marché de la nourriture parce qu’ils n’ont pas les moyens d’en acheter... Des situations qui n’étaient pas urgentes par le passé le deviennent maintenant » toujours selon J. Sheeran.
Les plus démunis sont les premières victimes de la crise du capitalisme. Le peu de revenus dont ils disposent est intégralement dépensé pour l’achat des moyens de subsistance. La misère s’aggrave donc pour la majorité de la population mondiale. Et ce ne sont pourtant pas les marchandises qui manquent, mais les moyens pour se les procurer ! Selon le Fonds Monétaire International (FMI) « L’économie mondiale devrait croître de 4,1 % en 2008, contre 4,9 % en 2007 » (2). L’Afrique subsaharienne connaîtra une croissance de sa richesse de 6,5 % en 2008 précise la même source. Dans « L’empire de la honte », Jean Ziegler, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, montre que la planète possède aujourd’hui suffisamment de moyens pour nourrir 12 milliards d’individus.
Donc ce n’est pas parce que la société ne produit pas assez, mais bien au contraire, elle produit trop.
Marx n’écrivait-il pas dans le Manifeste du parti communiste « une épidémie, qui à toute autre époque, eût semblé une absurdité, s’abat sur la société,- l’épidémie de la surproduction (…). On dirait qu’une famine, une guerre d’extermination lui ont coupé tous ses moyens de subsistance ; l’industrie et le commerce semblent anéantis. Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d’industrie, trop de commerce ». Effectivement à l’époque féodale par exemple, les disettes étaient dues essentiellement aux structures économiques et sociales archaïques, incapables de nourrir les populations. Aujourd’hui, paradoxalement, c’est l’abondance qui provoque famine et malnutrition. Cette tragédie se chiffre par millions : 842 millions en 2005 et 854 millions en 2007 (3).
Dans le système capitaliste, on ne produit pas pour satisfaire les besoins des hommes et des femmes, mais pour vendre et faire du profit ; un profit maximum. Mais cela ne peut se faire qu’au détriment des salaires. Car profits et salaires varient en sens inverse. Lorsque les salaires baissent, les profits augmentent. Seule compte la valeur de la richesse produite par le travail humain. L’usage de la force du travail crée de la valeur, et celle-ci est supérieure au salaire versé. C’est cette valeur totale qui est « partagée » entre travail et capital. L’opération peut se reproduire à l’infini. Le capital se porte d’autant mieux qu’il exploite au maximum le travail : « Le capital est du travail mort, qui, semblable au vampire, ne s’anime qu’en suçant le travail vivant, et sa vie est d’autant plus allègre qu’il en pompe davantage » (4).
Si de surcroît les prix augmentaient et les salaires restaient inchangés, la situation matérielle de l’ouvrier se dégraderait terriblement. Hélas, c’est la réalité que vit aujourd’hui la majorité des salariés à travers la planète.
Résumons. On ne produit que pour faire des bénéfices. Pour cela, il n’y a pas d’autres possibilités que d’exploiter le travail humain en le rétribuant à une valeur inférieure à la richesse produite. La différence empochée par le capitaliste, représente du travail non payé. L’inflation ne fait que diminuer la valeur d’un salaire déjà faible.
En fonctionnant de cette manière, le capitalisme réduit la capacité de consommation des salariés. On a donc une accumulation de marchandises d’un côté, et de l’autre, une incapacité à les écouler totalement. L’offre (la production) devient supérieure à la demande (la consommation).
Mais le capitalisme force également le patron, sous peine de faillite, à ne consommer qu’une partie des bénéfices réalisés. L’autre partie, la plus importante, sera consacrée à l’achat de nouveaux moyens de production essentiellement des machines. Cet investissement lui permet de mieux affronter ses concurrents. En agissant de la sorte, il met une partie de ses salariés au chômage. Celui-ci constitue une aubaine pour le système puisque il met en concurrence directe les travailleurs du monde entier. La conséquence immédiate de cette « lutte fratricide » sur un marché du travail, désormais planétaire, est la baisse de la valeur du travail. Cette diminution des salaires entraîne, là encore, celle de la consommation.
Ainsi richesse fabuleuse et misère sordide constituent, entre autres, une caractéristique fondamentale du capitalisme : « C’est cette loi qui établit une corrélation fatale entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère, de telle sorte qu’accumulation de richesse à un pôle, c’est également accumulation de pauvreté, de souffrance (…) au pôle opposé. » (5).
Voilà, simplifié brutalement, un des aspects du fonctionnement de cet « ordre meurtrier » (6) dont on vante encore aujourd’hui les vertus et l’efficacité.
Mohamed Belaali
(1) http://internationalnews.over-blog.com/article-18450564.html
(2) Calvin McDonald et Paulo Drummond, département Afrique. Bulletin du FMI , février 2008.
(3) Interview de Jean Ziegler in Continent Premier.com Magazine.
(4) K. Marx. Le capital, livre I, chapitre X. Page 227. Editions du Progrès.
(5) K. Marx. Le capital, livre I, chapitre XXV. Page 613. Editions du Progrès.
(6) L’expression est de Jean Ziegler.