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SCIER LA BRANCHE

Publie le dimanche 12 octobre 2003 par Open-Publishing

SCIER LA BRANCHE (Jérôme Ceccaldi, Brian Holmes, François Matheron)

Remarques partielles et parallèles au fil du texte

"On pourra toujours objecter qu’à la différence de 95, le mouvement social
du
printemps 2003 a perdu face à un gouvernement de combat autrement plus fort,
rusé et déterminé. Nous préférons nous réjouir de cette nouvelle temporalité
inaugurée par les sujets antagonistes de l’ère post-fordiste."

Nous avions noté à l’époque que ces luttes, en posant d’emblée des questions
de société (pour le présent et l’avenir des jeunes, des vieux, et des
autres), reposaient en même temps plusieurs questions : le capital a-t-il
une issue, autre que ’par le bas’, comme il est dit plus bas dans ce texte ?

Quid de la séparation du syndicalisme et de la politique, héritée de
l’histoire du mouvement ouvrier (et des deux faces de la monnaie étatiste de
prise du pouvoir : social-démocratie, bolchévisme / sur fond de
keynésianisme), séparation conduisant à l’impuissance des deux dans les
conditions que l’on sait ?

Le diagnostic "absence d’une perspective politique", est instrumentalisé par
les partis de l’extrême-gauche jusqu’au PS, en passant par le PCF et les
Verts, encore hantés par les fantômes de la gauche plurielle, alors qu’une
autre instrumentalisation est mise en place, par les ténors du ’mouvement
social’, Attac et autres retirés de la politique institutionnelle, qui
auraient alors épuisé leur positivité détruisant l’ordre ancien de la
représentation.

Pour résister aux ’attaques contre les acquis’, il apparaît illusoire de se
contenter de les défendre de façon corporatiste, ou au nom de la République,
du statut de la Fonction publique ou de la sécu de l’après-guerre, dans le
cadre actuel, car le capital n’aurait pas le choix de satisfaire ces
revendications sans être remis en cause dans ses fondements. On ne peut plus
résister sans créer.

L’invention de formes nouvelles de luttes est à l’ordre du jour pour tenir
dans la durée, au niveau requis, avec les orientations requises (contre le
capital, pour autre chose). Malgré l’adaptation de leurs discours à ce qui
monte des luttes telles qu’elles se mènent, et sans que leurs militants en
soient pour autant absents, les syndicats comme les partis sont au pied du
mur de leur séparation, alors même que la CGT a coupé le cordon ombilical,
que ni le PCF, ni l’extrême-gauche, ni les diverses formulations
d’"alternatives radicales" n’ont de stratégie de rupture. Les impensés de
l’abandon de "la dictature du prolétariat" comme de "la courroie de
transmission" et du syndicalisme "de classe" n’ont pas permis aux
organisations anciennes et à leurs appareils de retrouver une efficience
dans les conditions du capitalisme post-fordiste, hors de courir derrière,
au mieux avec, le so called ’mouvement social’.

Le contre-capitalisme subjectif est-il en train de se reconstituer, ou de
patiner ?

Tenir dans la durée : "nous avons le temps". Certes. De le savoir, de s’en
servir, ne donne pas des réponses évidentes à la question : que faire, de ce
temps ? Pour en faire quoi, au bout d’un temps ? "Nous avons le temps", ce
n’est pas "nous avons tout le temps...", ni "le temps joue pour nous", qui
n’aurions plus qu’à être spectateurs de ce que nous inventons, ensemble,
sans vraiment le savoir (d’où l’intérêt de cette discussion).

"Les enseignants ont tout leur temps, et les lourdes retenues sur salaires
ne font dans leur esprit que retarder le moment d’une nouvelle mobilisation.
Les intermittents, eux, ne connaissent pas le temps saturé par le travail
posté, duquel on se libère pour une période déterminée appelée « vacances » ;
ils travaillent et peuvent se mettre en grève en été."

Si les mouvements sociaux se caractérisent par une démocratisation des
formes de mobilisation, d’organisation et d’expression (le syndicalisme lui
même évolue, en bas comme en haut, sinon cela n’aurait pas pris cette
ampleur : disons qu’ils auraient pu freiné davantage, en s’y prenant comme
il y a 20 ans), si l’on est pas effondré par ce qui serait une ’défaite’, si
ce n’est que partie remise, il n’en demeure pas moins qu’on ne pourra se
contenter d’une grève puissante tous les 6 mois, avec des pauses pour se
refaire une santé, comme on reconstituait ’sa force de travail’. Les formes
et contenus de luttes, pour être au niveau requis (mais au juste de quoi ?),
sont bien à interroger pour déboucher sur une amélioration de leurs
résultats effectifs, qu’ils soient en termes d’arrêt aux ’mauvais coups’,
d’acquis nouveaux, de ’moins-mal survivre’, de mieux-vivre sans leurres, que
de subjectivité social’politique révolutionnaire, conditions mêmes de leur
montée en puissance (constituante, si on veut).

"Car dans ces luttes souvent contradictoires, la puissance d’invention était
assurément du côté des scieurs de branche.

"Mots d’ordre

« grève générale interprofessionnelle ». À quoi il faut ajouter des mots
d’ordre spécifiques aux projets de décentralisation de l’Éducation
nationale. / Situation difficilement supportable pour des enseignants,
d’autant plus que dans un tel contexte l’exercice du métier est parfois
hautement problématique. Sans oublier que le milieu enseignant est lui aussi
soumis à la précarité ordinaire, l’État français recrutant de plus
en plus de professeurs contractuels, dépourvus de tout statut ..."

Au ministère de l’Equipement (l’"administration où je m’ennuie"), nous avons
une situation comparable, sans doute moins sensible pour l’opinion publique,
mais qui n’en porte pas moins sur ce qu’on va faire des territoires, des
routes, des transports, des ports, de la ville, du logement... et de la
structuration même de la Fonction publique, qu’elle soit d’Etat ou
territoriale (à quoi s’ajoute celle de la santé). 35 à 50 000 agents de
l’Etat, sur 100 000 que compte ce ministère, vont être transférés aux
collectivités territoriales, sur fond de ’Réforme de l’Etat’ et de la
réforme des finances publiques (en gros une comptabilité analytique). Nous
étions jeudi ’dans la rue’, 4000 selon les organisations syndicales (CGT, FO
et une CFDT/FGTE en cours d’explosion, pour rester, aller à la FSU, à la
CGT...) : ni un flop, ni un succès.

Les dégâts pour la majorité des agents
concernés ne seront pas dans l’immédiat considérables, mais l’enjeu et les
conséquences dans la logique ’néo-libérale’ sont énormes, en termes de
’maîtrise publique’ (que je préfère au discours sur ’le service public’, qui
fait parti du rituel syndical) : cette décentralisation dans la conduite de
la droite est à peu près le contraire d’une ’destruction de l’Etat’
préservant ’l’administration des choses’. Le néo-libéralisme à l’inverse de
ce que serait un néo-communisme libertaire, si l’on veut bien en percevoir
la trace, justement, dans les aspirations qui montent - dans et hors des
luttes effectives. Là encore, on voit mal comment cette réforme de
l’Equipement aurait des chances d’être enrayée sans sortir ’de la
profession’, au-delà de ceux qui ont une profession, mais aussi, par
exemple, de ceux qui n’ont pas de logement.

"Cela étant précisé, nous ne pourrons pas nous crisper éternellement sur une
conception radicalement étatiste de l’Éducation nationale qui, dans un
avenir relativement proche, est perdante. Perdante, évidemment, parce que la
construction européenne est un phénomène irréversible. Perdante notamment
parce qu’incapable d’apporter sur le terrain..."

Questions qui se posent parallèlement à l’Equipement (Je laisse de côté pour
d’autres débats l’affirmation "évidemment, la construction européenne est un
phénomène irréversible"). Les DDE amaigries seront regroupés avec d’autres
services de l’Etat autour des Préfets, une culture républicaine du Ministère
s’effondre, qui ne trouvera à sauver les meubles qu’en se musclant au niveau
régional, pilier de la construction européenne, pour n’assurer plus que des
’missions prioritaires’, en partenariat avec de nouvelles agences
(routes...) et les entreprises... Il est et sera très instructif d’observer
comment un grand corps d’Etat, celui des Ponts-et-Chaussées, "scie la
branche"...

On ne peut que constater, à l’Equipement, des contradictions entre un fort
désir "anti-corporatiste", "égalitariste", et des limites à ce qui peut en
être fait, tant dans les discours syndicaux (mots d’ordre dont la justesse
n’échappe pas à un certain formalisme sans formulation alternative "sauver
le service public de l’Equipement" etc), que dans les attitudes
individuelles qu’encourage, sur fond d’angoise et de stress des personnels,
le pourrissement stratégique de la gouvernance ministérielle : sauver sa
situation propre, se retrouver une bonne place, sans trop se poser de
questions concrètes sur l’avenir du ’service public’, y compris parfois
quand on défile sous la banderolle qui le défend.

Il existe donc, sans minimiser l’intérêt de ce qui monte un peu partout, un
déficit patent d’élaboration stratégique, social’politique, à tisser dans le
bio-politique, en construisant une politique de rupture et son langage
commun. Nous ne pouvons pas nous contenter de "ne pas savoir où va ce
mouvement", pas plus que nous pouvons attendre qu’il soit bien "guidé" par
qui que ce soit.