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Un documentaire qui restitue la ferveur et les espérances du Chili d’Allende.
de Jean-Claude Loiseau
Pas de faux-semblant. Pour Patricio Guzmán, ce film est une affaire personnelle.
Il le déclare d’emblée : « Salvador Allende a marqué ma vie. Je ne serais pas
ce que je suis s’il n’avait pas incarné l’utopie d’un monde plus juste et plus
libre. » L’utopie a été assassinée le 11 septembre 1973, quand, dans le palais
de la Moneda assiégé par les chars, en flammes, le président Allende s’est tiré une
balle dans la tête. Comment tant de ferveur populaire accumulée pendant trois
années a-t-elle pu déboucher sur une aussi brutale dictature ? Pourquoi, au moment
décisif, quand la haine hystérique de la droite relayée par une armée putschiste
a placé Allende dos au mur, le peuple littéralement « amoureux » de son chef
charismatique a-t-il assisté sans réagir à l’écrasement impitoyable d’un espoir
collectif inouï ? Ces questions, qui restent lancinantes trente ans après, sont
les lignes de force du portrait d’un homme qui croyait ce qu’il disait, et a
incarné ce rêve fou : faire vibrer ensemble, sans compromis, la révolution et
la démocratie.
Salvador Allende, ce héros... Le fil rouge du film de Guzmán, c’est l’éthique inébranlable d’un homme de conviction et de cœur. Changer la vie, sans trahir l’idéal de toute une vie : le défi était phénoménal. Il prend toute sa force, ici, dans les images tournées à chaud (certaines sont aussi au cœur de La Bataille du Chili, le grand œuvre - deux cent cinquante-deux minutes - de Guzmán), comme dans cette courte mais édifiante séquence où l’on voit un propriétaire « remettre » ses terres à l’assemblée des paysans du village.
Mais la clé de la tragédie finale, c’est l’ex-ambassadeur américain à Santiago qui la fournit aujourd’hui. Quand celui-ci déclare avec une sérénité goguenarde que la CIA et Nixon ont, « évidemment », tout tenté pour éliminer celui qui voulait faire, dit-il, « du fidélisme sans Fidel », on « voit » alors de manière aveuglante comment l’idéal incarné par Allende ne pouvait que se fracasser sur l’implacable réalité géopolitique. Le Chili a voulu oublier Allende, nous dit Guzmán. Avec cette évocation fervente, souvent affectueuse, et faufilée des souvenirs émus des compagnons de route, il lui offre une belle et mélancolique réhabilitation.
http://cinema.telerama.fr/edito.asp?art_airs=MAG2146098&srub=2