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"Sans-papiers : des défenestrations plus ou moins télégéniques"
Publie le jeudi 11 octobre 2007 par Open-PublishingSans-papiers : des défenestrations plus ou moins télégéniques
Par Aurélie Windels le vendredi 5 octobre 2007
ENQUÊTE
Dans l’indifférence quasi-générale, la France devient un pays où des gens qui n’ont commis aucun délit se jettent par la fenêtre, pour échapper à la police.
Tout le monde se souvient du petit Ivan dont la photo, ci-contre, est devenue un symbole.
Mais il n’est pas le seul. Depuis que la police, sur odre du gouvernement, est entrée dans une "course au chiffre" en multipliant les rafles de sans-papiers pour tenter d’atteindre l’objectif de 25 000 reconduites à la frontière fixé par Nicolas Sarkozy, un certain nombre de personnes, pour échapper à la capture, se sont enfuies par les fenêtres, se blessant gravement, ou se tuant.
Vous avez entendu parler de deux de ces victimes. Mais dans l’indifférence médiatique générale, deux autres personnes se sont défenestrées depuis le mois d’août.
Toutes les télés ont largement médiatisé la défenestration d’Ivan, et la mobilisation qui a suivi :
Défenestration Ivan sur TF1 et F2
Au total, sur TF1 et F2, près de 11 minutes ont été consacrées à Ivan.
La défenestration et la mort de Chunlan Zhang Liu (plus connue dans les médias sous le nom de "la Chinoise"), le 20 septembre à Paris, ont occupé près de 2 minutes 30 de temps d’antenne sur les deux premières chaînes.
Une victime adulte "vaut" moins qu’un enfant, ce n’est pas nouveau.
Quelques jours plus tôt, à Roussillon, dans l’Isère, un jeune Tunisien s’est jeté du quatrième étage pour échapper aux gendarmes. La télé y a consacré...allez, nous vous offrons l’intégralité, ça ne devrait pas vous prendre trop de temps...
Brève TF1
9 secondes. C’est tout. Juste après un sujet d’1 minute 30 sur la convocation de tous les préfets de France au ministère de l’immigration pour cause de manque de résultats en matière d’expulsions...
A part PPDA, personne, sur les chaînes nationales, n’a parlé de ce Tunisien.
Un reportage a tout de même été consacré à cette affaire, c’était sur France 3 Grenoble. On y entend Thibaut Michoux, porte-parole de RESF Isère et Jean-Paul Borrelly, policier, secrétaire général du syndicat Alliance Rhônes-Alpes, qui a une solution toute trouvée pour éviter les accidents "ils n’ont qu’à se laisser faire"...
Reportage France 3 Grenoble
envoyé par LalieW
Reportage France 3 Grenoble
Malgré la mise à disposition, France 3 national ne l’a pas repris. Sorya Khaldoun, auteure du reportage, suppose que "c’est parce qu’il n’y avait plus de place dans le journal, que l’actu était trop chargée ce jour-là". Peut-être.
Pas une seule seconde de télé, en revanche, de Sébastien N., Congolais de 30 ans, qui s’est jeté de la fenêtre du deuxième étage des locaux de la PAF (police de l’air et des frontières) de Lyon le 4 août, après une interpellation et la menace d’être mis directement dans l’avion.
Seuls le Dauphiné libéré et l’Humanité ont évoqué cette défenestration. Ainsi que Libération, plus tard, [dans une enquête récapitulative http://www.liberation.fr/actualite/....
Pourquoi cette différence de traitement ?
Jean-Felix Vial, membre de RESF Isère, qui a suivi l’histoire de Sébastien N., à Lyon, explique : "On a tenu à garder le secret quelques jours parce que ça a été très chaud. On craignait fort que la police le récupère à nouveau, étant donné qu’ils avaient été très offensifs, y compris sur le lieu des soins".
Mais ça n’explique pas le silence sur la troisième défenestration, à Roussillon, qui a pourtant été annoncée par une dépêche AFP.
Pour Marianne Herlic, de RESF, la principale raison de cette différence de traitement tient dans le fait que les deux jeunes hommes étaient des personnes isolées, et surtout sans enfants. "On ne les connaissait pas, ils n’ont pas d’enfants, donc ils n’entrent pas dans le cadre de ce que l’on fait habituellement, même si on les a aidés quand même, par solidarité. On constate actuellement que les familles, connues et soutenues par RESF ne sont pas traitées de la même façon que les personnes isolées, inconnues des associations, pourtant beaucoup plus nombreuses."
Effectivement, la plupart du temps c’est RESF (Réseau Education Sans Frontières) qui contribue à la médiatisation d’une affaire, ou pas. Notamment grâce au site, dont l’association a fait un outil de communication hyperperformant et hyperréactif, où tombent, en temps réel, les communiqués et appels au rassemblement.
Même si l’association a rapidement été mise au courant après ces deux défenestrations, elle ne connaissait pas ces personnes : " On veut d’abord en savoir plus sur la personne, qui elle est et où elle en est. Et si elle réclame notre soutien, ce qui n’est pas toujours le cas" explique Marianne Herlic.
Médiatiquement, les gestes désespérés des immigrés sans-papiers ne sont pas une loi des séries comme les autres. Quand il s’agit de chiens dangereux, de multi-récidivistes ou de bébés congelés, rien n’échappe au regard aiguisé des médias. Mais en matière d’immigration si les associations ne disent rien, la télé est aveugle.
Source : ASI