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Ségolène Royal : l’archéo-moderne

Publie le samedi 17 février 2007 par Open-Publishing
2 commentaires

Chronique
Ségolène Royal : l’archéo-moderne, par Eric Le Boucher
LE MONDE | 17.02.07 | 13h30 • Mis à jour le 17.02.07 | 13h30

Ségolène a deux paris. Le premier est que son charisme, pour ne pas dire son charme, lui permette de créer une relation particulière avec les Français. Puis, forte de leur confiance, de les convaincre d’accepter le mouvement malgré cette angoisse de l’avenir qui les paralyse. La suite du pari veut qu’elle choisisse de bons conseillers et qu’elle les écoute. Elle emmène la France à "tout revoir, tout repenser et ne craindre ni d’imaginer ni d’inventer", elle dit en somme "en route", puis laisse ses proches étudier les directions des solutions concrètes.

Etant donné la pagaille qui semble régner dans le camp Royal, on n’est pas sûr qu’elle coordonne bien ses experts ni qu’elle étudie assez leurs dossiers. Ce premier pari n’est donc pas bien parti. Il n’est pas perdu pour autant.

Le second porte sur le fond. Ségolène Royal a des intuitions qui collent à l’air du temps. Il en est ainsi de la "démocratie participative", qui répond à la crise du politique. Cette crise, décrite par l’historien Pierre Rosanvallon, habite Ségolène Royal. Elle sent, elle sait, elle a raison : l’envie de parler, de s’exprimer, de participer, de dire sa vie, est immense à notre époque. TF1 comme les sites Internet (YouTube) en font leur jolis profits.

"Il faut écouter les gens" : Ségolène Royal a cassé le moule ancien de la démocratie représentative. Le revers est que la recomposition reste tâtonnante, porteuse d’illusions et que Mme Royal ne les évite pas toutes.

L’autre intuition est économique. On va ici sans doute surprendre, mais la bonne réponse à la grande question de la mondialisation, c’est elle qui la détient. Ecoutez la première partie de son discours de Villepinte : "Nous sommes un pays d’excellence technologique où pas un jour ne passe sans que des hommes et des femmes se lancent pour donner corps à un projet créateur d’activité, de valeur et d’emploi. Je suis reconnaissante à ces entrepreneurs du risque (...). Je sais gré à ces PME qui sont nos premières créatrices d’emploi." "L’inventivité des entrepreneurs doit être reconnue", Mme Royal veut faire de la France un immense "atelier de la création".

Innover, donc. Ecoutez ensuite la troisième partie du discours, concernant l’école. " C’est l’éducation qui tient tout l’édifice", dit la candidate. "Elle sera au coeur de tout et en avant de tout". Et de détailler, de la maternelle à l’université, comment elle veut "donner à tous la même éducation qu’à ses propres enfants". L’école pour rétablir l’égalité des chances, bien sûr, mais aussi, et surtout, pour entrer au plus haut niveau dans "la société de la connaissance".

Face à la Chine, la France doit dare-dare rehausser sa productivité en innovant, elle doit faire naître des PMI conquérantes capables de régénérer son tissu productif et de se substituer aux grandes du CAC 40, qui ni n’investissent ni ne créent plus beaucoup d’emplois en France. Elle doit, c’est l’autre versant de la même exigence, donner aux jeunes Français une forte qualification et un goût pour la création de produits, d’activité, de valeur. Ne cherchez pas : c’est LA réponse à la mondialisation. Il n’y en a pas d’autres.

Nicolas Sarkozy, lui, sous l’influence de son conseiller Henri Guaino, s’éloigne du libéralisme pour s’enfoncer dans la nostalgie du capitalisme d’Etat. La suppression des droits de succession en fait, au même moment, le défenseur des fortunes acquises. Bref, économiquement, Nicolas Sarkozy laisse libre le boulevard de la modernité : intuitivement, Ségolène Royal a compris que le couple innover-former lui permettait de l’occuper.

Hélas, ensuite, pis encore que pour le premier pari, tout se détruit. Est-ce parce que Ségolène Royal est écrasée par l’orthodoxe lourdeur des éléphants du Parti socialiste ? Est-ce parce qu’elle même n’a pas les idées claires et que le côté noir de sa force, appelons cela le conservatisme populisto-régionalo-syndical, reprend le dessus ? En tout cas, la modernité du discours ne se retrouve pas dans la liste des 100 propositions de son "pacte présidentiel" présenté à Villepinte. Même l’encouragement de la recherche n’est vu qu’au travers des crédits publics. Le soutien aux PME est devenu vague.

En vérité, on avait déjà eu un petit doute le 14 janvier quand, visitant " cette France qui réussit", elle s’était extasiée devant une presse à huile d’un éleveur de brebis... En 1981, le candidat François Mitterrand était allé, lui, visiter le Salon des composants électroniques. La reconnaissance verbale des "PME du risque" ne serait-elle que le paravent qui cache la dénonciation recuite des grosses sociétés et "des forces de l’argent" ?

Augmenter le SMIC, revaloriser les retraites, grossir les allocations, conditionner les aides aux entreprises, créer 500 000 emplois publics pour les jeunes..., la liste de la société socialiste de l’assistanat était longue, elle en rajoute encore dans la volonté de "protection", de la naissance à la mort, jusqu’à épauler l’archéo en chef, José Bové, contre les OGM.

Ségolène Royal, l’art de gâcher ses intuitions ? La raison est que Mme Royal ne peut pas avancer seule, ambiguë elle-même, au sein d’un parti qui s’est volontairement enfermé dans la stérilité intellectuelle. Tout bouge autour du PS, les économistes, les sociologues, décrivent une société neuve, des souffrances neuves, des solutions neuves. Ségolène Royal le sent. C’est tout, hélas.

Eric Le Boucher
Article paru dans l’édition du 18.02.07

Messages

  • Merveilleux article. Excellent cet Eric le Boucher.
    Dok.

  • Au royaume des archéo les coco sont-ils les rois ?

    Ben oui quoi : être contre les OGM c’est être archéo ??! Alors pour ne pas être archéo il faut aider les multinationales qui fabriquent des OGM pour produire encore plus, tout en aidant à coup de subventions les paysans à ne pas crever ; mais en continuant ainsi à faire crever les paysans du sud qui eux n’ont aucune forme de protection et doivent quitter leur terre pour grossir le flot des clodo des bidonvilles. OK, c’est sûrement bon pour la bourse et vos actions. Pourquoi pas, mais difficile dans ces conditions de faire croire qu’on est de gauche (mais c’est vrai qu’on y est pas obligé !).