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Semer les germes d’une guerre civile entre le Fatah et le Hamas

Publie le mercredi 24 mars 2004 par Open-Publishing

Directeur de la Revue d’études palestiniennes, Elias Sanbar vient de publier les Palestiniens, la photo d’une terre et de son peuple. 1839 à nos jours, aux Editions Hazan.

A quelle logique obéit Ariel Sharon en tuant cheikh Yassine ?

Plus que la décision de le tuer qui était prise depuis longtemps, c’est le moment choisi qui est crucial. Contrairement à ce qu’ils affirment, les responsables israéliens n’ont pas saisi une opportunité. Cheikh Yassine ne vivait pas dans la clandestinité, son domicile et ses habitudes étaient connus et fixes et il se rendait cinq fois par jour dans la mosquée où il a été tué... Dans la mesure où il a été assassiné quelques heures après que Sharon a annoncé à son gouvernement le retrait de Gaza, il y a une jonction entre ces deux événements. Cet assassinat « fait partie intégrante du retrait », note d’ailleurs Ze’ev Schiff, le meilleur chroniqueur militaire israélien. Sharon veut que Gaza soit plongée, après ce retrait, dans des troubles incontrôlables. En faisant de cheikh Yassine un « martyr » et en transformant Gaza en poudrière, il a un triple objectif : décapiter le mouvement islamiste, rendre impossible tout contrôle de Gaza par l’Autorité palestinienne après le retrait et semer les germes d’une guerre civile entre le Fatah (l’organisation de Yasser Arafat, ndlr) et le Hamas. Il va en effet devenir impossible à l’Autorité et au Fatah de maîtriser le Hamas à Gaza et surtout de restreindre ses ambitions. N’oublions pas que, dès l’annonce du retrait, le Hamas a annoncé que tout était prêt sur le plan de l’organisation sociale, politique et militaire pour prendre le contrôle de ce territoire. En misant sur des troubles interpalestiniens après la sortie de son armée, Israël fait un pari très risqué.

Que peut espérer Israël à terme de cette stratégie du chaos ?

Elle bénéficie au gouvernement israélien, mais pas à son peuple, pour qui elle est une catastrophe. Ariel Sharon pense que, face à un chaos généralisé, son impunité sera totale car rien ne pourra limiter ou s’opposer à sa politique. Tout sera justifié pour répondre au chaos. En outre, cette stratégie élimine de fait tout interlocuteur palestinien crédible et « fréquentable ». Le gouvernement israélien pourra dire qu’il n’a aucun territoire à céder, non parce qu’il refuse une telle cession mais parce qu’il n’y a personne pour la prendre en charge. C’est une vision aveugle, autiste et suicidaire. Toute la question, c’est de savoir comment faire pour que ce gouvernement ne mène pas toute sa société à ce suicide. Les dirigeants israéliens ne sont plus dans la politique du pire mais du désastre.

Que peut l’Autorité palestinienne pour empêcher le chaos ?

Aujourd’hui rien. Une partie importante de ses effectifs est devenue incontrôlable. Les Brigades d’Al-Aqsa ont d’ores et déjà annoncé qu’elles riposteraient avec le Hamas. Il y a quelques années, les bases (de l’Autorité et de Hamas, ndlr) étaient encore distinctes. Ce n’est plus le cas, et seules leurs directions demeurent distinctes. La différence s’est dissoute dans le malheur, les destructions, le mur que les bases subissent toutes indistinctement. Il y a donc aujourd’hui une réelle impuissance de l’Autorité nationale : il suffit de savoir que, la semaine dernière, des dizaines de cadres du Fatah à Gaza ont rallié le Hamas...

Pourquoi Sharon élimine-t-il cheikh Yassine au moment où il veut rencontrer George W. Bush ?

Les Américains agissent avec Sharon comme ils l’ont fait avec le mur. Quand sa construction a été lancée, ils ont pris pendant une très courte période une position de principe s’opposant à son édification. Mais elle s’est très vite muée en une critique de son tracé. La question n’était plus de savoir s’il fallait ou non construire un mur, mais comment faire passer celui-ci dans des zones où cela poserait le moins de problèmes à la stratégie américaine et à la « feuille de route »... C’est la même chose aujourd’hui : le seul pays de la planète qui n’a pas condamné l’assassinat de cheikh Yassine, c’est les Etats-Unis, qui ont en revanche appelé au calme. Une manière de signifier qu’ils sont surtout préoccupés par la gestion des conséquences de cet assassinat, mais qu’ils n’en font pas une question de principe. Sharon sait que son impunité se loge dans cet intervalle. Il sait aussi que les Etats-Unis peuvent être critiques sur sa manière de faire, mais qu’ils n’interviendront pas. Et que, jusqu’aux élections de novembre, ils ne s’impliqueront pas plus qu’ils ne le font aujourd’hui.

Libération