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Société morbide. 26 août 2006
Nous entrons dans une ère où la morbidité nous envahit. Oui, la morbidité est là, non pas parce que nous sommes à l’aube d’un cataclysme écologique, mais bien parce que l’Homme a perdu tous ses sens à commencer par celui de penser.
Quand je parle ici de penser, je ne parle pas du fait de s’adonner à un exercice mental, mais bien de s’interroger sur soi, sur les décisions que nous prenons et sur les conséquences de nos actes. Parce qu’il est une chose d’être un habile mathématicien, mais il en est une autre de se demander où vont les chiffres, à quoi servent-ils et à qui servent-ils. Ce qui peut sembler de prime abord un simple travail, un simple gagne pain, peut en fait constituer en soi la plus grande menace pour l’humanité.
Einstein l’a compris un peu tard, en regrettant d’avoir mené ses recherches sur la bombe atomique, croyant à l’époque militer pour la paix en militant contre les horreurs du nazisme. Ainsi, la société morbide est une société composé de zombies. Quel est le propre d’un zombie ? D’accord, il mange les gens. Mais d’autres le feraient tout aussi bien que lui, tel le vampire, le vers solitaire, le loup-garou, les communistes cannibales, sans oublier l’abominable homme des neiges. En fait, le propre d’un zombie est qu’il ne pense pas. Il se dirige lentement, mais sûrement vers toute proie qui tenterait de s’enfuir. Seul, le zombie n’est pas une menace puisque ses facultés sont si affaiblies qu’il est très facile de lui tendre un piège ou tout simplement de fuir.
Cependant, ce qui rend le zombie si terrifiant, c’est qu’à chaque personne qu’il mange, il agrandit les rangs de son armée de morts. C’est donc ainsi qu’il peut être facile d’éviter un zombie, mais si cent d’entre eux viennent cogner délicatement à votre porte, le combat est perdu d’avance. Mais quel est le but du zombie ? Le zombie traque ceux qui sont toujours alertes afin de les transformer en zombies. Il procède ainsi à une totalitarisation de la société. Une société où tous auraient le même but, manger de la chair à outrance sans ne jamais s’arrêter. Hors, question de logique, nous savons que les zombies finiront tôt où tard par manquer de chair.
Les zombies ne pouvaient pas manger indéfiniment de la chair humaine. Les zombies se questionnèrent donc. Leur questionnement les amena à aborder le problème de différents points de vue. Le premier groupe de zombies, majoritaire, avait décidé qu’il n’y avait aucun problème et que les humains, de toutes façons, il y en aurait toujours. Ce groupe s’appelait le groupe des zombies capitalistes. Il y avait un deuxième groupe de zombies. Bien moins nombreux que le premier, mais faisant sans cesse des adeptes, ce groupe prônait un contrôle des stocks d’humains à manger afin que ces derniers puissent avoir des enfants et assurer un garde manger pour les générations à venir de zombie. Ce groupe s’appelait le groupe des zombies durables.
Ensuite se succédèrent un certain nombre d’autres courants de pensée moins importants, comme ceux qui prônaient une répartition équitable des humains entre les zombies, d’autres qui demandaient à ce que les humains soient uniquement réservés aux zombies de première génération et d’autres qui proposaient un compromis entre la répartition des humains et leur consommation directe. Mais le groupe qui m’intéressa tout particulièrement fut un groupe assez marginal de zombies qui s’appelaient les anarcho-zombies. En fait, ces zombies étaient rejetés par la société des zombies parce que ce qu’ils voulaient, c’étaient la destruction du principe même selon lequel les humains sont une ressource à exploiter. Ces zombies affirmaient cela parce qu’ils étaient parfaitement conscients que toute leur société émanait de l’humain.
Tout zombie a été un jour un humain transformé de force par un autre zombie. Ils attestaient que bien sûr, l’humain restait indispensable à leur survie, mais qu’il fallait le considérer comme partie intégrante du zombie. « L’émancipation des zombies ne pourra se faire que si nous sommes en harmonie avec les humains » criait un anarcho-zombie alors que le dirigeant des zombies s’amusait à rire de cette logique qu’il qualifiait d’irréaliste. « Comment un zombie peut proposer de cohabiter avec l’humain… il annonce la fin de l’ère zombie ! » criait-il du haut de son balcon vêtu de sa veste en peau d’Homme. Il était impossible pour les anarcho-zombies d’accomplir leur rêve ultime de vivre avec les humains puisque ceux ci étaient toujours considérés comme de la marchandise.
Le temps passa, les zombies continuèrent sur leur logique et finirent, malgré les efforts des zombies durables, par épuiser toutes les cargaisons d’humains. C’est alors que le gouvernement des zombies prit la décision la plus lucide qu’il n’ait jamais prise. Il décida de manger les anarcho-zombies. Lorsqu’il fut interrogé sur sa décision de manger des zombies, le chef des zombies affirma bêtement « ce sont les seuls qui goûtent comme les humains ».
Serge Baillargeon
Léditorial, journal mensuel pour tous et par tous :