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Soupçons de harcèlement sexuel dans la Marine

par Amélie Gautier

Publie le jeudi 3 mai 2012 par Amélie Gautier - Open-Publishing

Elle s’appelle Isabelle* mais il l’aurait toujours appelée "P’tit chat" et "Little minou". Il lui aurait aussi fréquemment demandé de lui rappeler le mot de passe de son propre ordinateur. Le sésame ? "Bitte de port". Pendant près de six mois, cette jeune femme de 26 ans, employée comme secrétaire au centre d’information et de recrutement de la Marine de Metz affirme avoir été harcelée sexuellement par son chef. Elle vient de déposer plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction de la ville de Moselle.

Isabelle s’est engagée dans la Marine pour "vivre une première expérience professionnelle enrichissante et valorisante", comme le promettait la pub. La sienne débute en juillet 2011. Les "avances répétées" auraient commencé tout de suite. Selon elle, son chef lui interdit de porter le pantalon. Lors de "joggings" organisés avant les heures de bureaux, il court derrière elle pour "profiter du spectacle". Il lui tape aussi les fesses "parce qu’elle ne va pas assez vite". A maintes reprises, elle doit refuser de se changer dans le bureau de son supérieur après la douche. Elle doit aussi supporter ses commentaires libidineux du type : "Elle a l’air physiquement intéressante" ou "Je la retournerais bien, qu’est-ce que tu en penses P’tit Chat ?" Sans parler des plaisanteries douteuses supportées quotidiennement : "A la Saint-Valentin, les amoureux se tiennent par la main et à la Sainte-Brigitte, on se tient par..." La blague graveleuse déclinée avec des variantes : Sainte-Monique, Dominique etc.

"Ce qui se passe à Vegas, reste à Vegas"

La jeune femme affronte ce régime salace six mois. Elle tente de couper court à ces avances répétées : refuse de le tutoyer, décline ses propositions de sorties "privées". En vain. Les mots salaces et allusions lourdingues -quand elle se baisse : "moi, cette position, je m’en sers pour faire autre chose...- n’arrêtent pas. Lors des vacances de Noël, elle réagit. Elle est orientée par erreur vers l’inspection du travail. Là, le contrôleur lui explique que l’instance n’est pas compétente s’agissant de militaires. L’homme est un ancien recruteur de l’Armée, il lui fait comprendre qu’il connait son chef. Le lendemain, ce dernier lui aurait signifié que son contrat ne pourra pas être poursuivi. "Il termine en lui disant : ’Ce qui se passe à Vegas, reste à Vegas’", relate à TF1 News Me Maumont, l’avocate de la jeune femme. Depuis ce jour-là, Isabelle est en arrêt maladie.

Quelques jours après, elle dépose plainte auprès du parquet de Metz. "Il n’a pas bougé, ou trop tard", constate, amère, sa défenseure qui a contre-attaqué par une nouvelle plainte avec constitution de partie civile. Une enquête interne conduit à une nouvelle désillusion. "On lui reparle de ’taquineries et on tente de la dissuader de porter plainte’", relate sa défenseure. Le sous-officier se voit infliger dix jours d’arrêts avec sursis. "Ou la peine qu’aurait un militaire pour ne pas avoir ciré ses chaussures", ironise Me Maumont.

Les procédures aboutissent rarement

La jeune femme a le soutien de l’Association de défense des droits des militaires. "Les cas de harcèlement dans l’armée, il y en a comme partout ailleurs, explique le colonel Bessy, président de l’Adefdromil. Mais le cas d’Isabelle est exemplaire car il est particulièrement circonstanciée." Isabelle s’est battue de longs mois pour être enfin entendue. Les procédures aboutissent rarement. Actuellement, le statut des militaires est régi par le code de la Défense dans lequel, contrairement à la loi de 1983 sur les fonctionnaires, il n’y a aucune disposition sur le harcèlement moral ou sexuel.

L’Adefdromil demande au ministère de la Défense de "compléter le statut général des militaires avec des articles explicites, inspirés du statut de la fonction publique, interdisant le harcèlement sexuel et moral dans les armées". L’association souhaite aussi que "des instructions soient données (...) aux procureurs de la République (...) pour que (...) des poursuites soient engagées contre les auteurs" de tels faits. Aujourd’hui, la jeune femme attend d’être reconnue comme victime et que son cas serve d’exemple. Une certitude, pour elle, l’uniforme, c’est fini.

* Le prénom de la jeune femme a été modifié

http://lci.tf1.fr/france/justice/soupcons-de-harcelement-sexuel-dans-la-marine-7219251.html