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TERRE PROMISE

Publie le jeudi 26 mai 2005 par Open-Publishing

de Enrico Campofreda traduit de l’italien par karl&rosa

Tandis que Gitaï présente à Cannes son nouvel ouvrage, Free Zone, la dictature de la distribution n’offre que maintenant au public italien le film que le réalisateur israélien avait présenté au 61ème Festival du Cinéma de Venise. Neuf mois sont passés et de cela aussi nous tirons la confirmation que la petite Italie cathodique berlusconienne est devenue la dernière lande d’Europe. Nous faisons le compte-rendu du film pour sa valeur de dénonciation civile.

"Les requins élèvent dans les profondeurs de la mer des petits poissons qu’ils nourrissent et assistent et ils en soignent les écailles arrachées". La vieille maîtresse raconte une histoire improbable, tout à son avantage, à la plus sensible et démunie du groupe, un petit poisson qui pleure. Elle veut justifier et assouplir une réalité terrible, mais reconnaît qu’elle et sa bande ont un rôle de requin. Les autres petits poissons sont de blondes jeunes filles de l’Est baltique, elle fuient la misère et l’esclavage de mariages- tombeaux pour tomber dans un esclavage plus cru et plus triste : la prostitution.

Naturellement, les jeunes filles n’ont pas choisi ce tourment, elles ont payé deux mille dollars pour atteindre Israël et ont été conduites jusqu’à la frontière par des bédouins envieux qui essaient déjà de profiter d’elles. Mais le pire est encore à venir.

L’organisation criminelle qui les accueille les vend en pleine nuit, dans le désert, à d’autres clans israéliens et arabes qui font commerce de leurs corps. Comme les Romains de l’Empire d’il y a deux millénaires, avec les mêmes regards lascifs et les mêmes intentions vexatoires. En tant qu’objets voués au plaisir, les jeunes filles finissent dans les bordels de Ramallah, dans les centres touristiques de la mer Rouge, dans le trafic des hôtels de passe de Haïfa.

Monde musulman et monde hébraïque manifestent le même abus et le même mépris de la femme, comme d’ailleurs l’Occident, comme la chrétienté. La globalisation avance aussi à travers le plus ancien métier du monde et les jeunes filles qui échappaient au présent sans futur de leur pays se retrouvent dans l’impasse du chantage et de la violence, déshabillées, palpées, opprimées par des criminels anabolisés qui les jettent en pâture aux clients locaux.

La maîtresse ralentit la spirale de menaces violences maquillant et encourageant les jeunes filles en les préparant pour le ’travail’. Elles feront un métier comme un autre - dit elle - mais que la vie envisagée soit bestiale, c’est ce que comprend très bien Diana qui, pendant un des transports, subit l’attention morbide du chauffer du camion dans lequel les jeunes filles voyagent.

Leur vie devient un Enfer duquel il est difficile de s’évader et les implorations de Diana et de Rose, une touriste rencontrée dans le local-bordel où les jeunes sont exhibées par la pègre israélienne, ne trouvent aucune suite. Ce sera, au contraire, le conflit palestinien, jamais résolu, qui sera propice à la fuite de Diana. Une voiture piégée explose à Haïfa devant un des nombreux locaux qui fourmillent d’esclaves du sexe et c’est justement Rose qui l’aide dans sa fuite.

Tourné comme un film, avec un excellent usage de la caméra à l’épaule dans des scènes de mouvement qui transmettent la tension et l’anxiété des victimes et des geôliers, le travail de Gitaï représente une dénonciation du genre documentaire. La caméra témoigne de cette violence physique et psychologique que l’opinion publique ne peut pas imaginer, dont aucun reportage, au moins occidental, n’a jamais parlé. L’existence misérable et mesquine de ces esclaves du Troisième Millénaire est cachée par les principes de la macro politique, attentive aux revendications patriotiques des Palestiniens et au désir hébraïque de défendre la Terre promise. Alors que les mêmes combattants et les mêmes colons finissent par aller avec des jeunes filles de l’Est que les organisations criminelles jettent dans les bordels tandis qu’Abu Mazen et Sharon ferment les yeux.

En effet, il est impensable que ni l’armée israélienne, qui arrive même à repérer des aiguilles dans des bottes de foin, ni l’organisation armée de l’Autorité Palestinienne n’aient connaissance de l’activité exercée par la criminalité dans ces zones. En période de guerre, le territoire est sous contrôle militaire et quoiqu’il arrive, c’est absolument voulu ou toléré mais jamais ignoré.

Si le drame des jeunes filles en fuite de l’Estonie ou de l’Ukraine, contraintes à vendre leurs corps et leur vie, n’est pas le plus aigu des problèmes de ce coin tourmenté de la planète, il s’agit toujours d’une coupe verticale à travers la violence, la vexation, la cruauté, l’humiliation que tant les ferventes religions de référence des deux mondes en conflit que la laïcité des appareils de gouvernement respectifs semblent ignorer. Gitaï le dénonce, implacable.

Un film de : Amos Gitai
Sujet et scénario : Amos Gitai, Marie Jose Sanselme
Directeur de la photographie : Caroline Champetier
Montage : Isabelle Ingold, Isabelle Mongald, Kobi Netanel
Avec : Diana Bespechni , Anne Parillaud , Hanna Schygulla , Rosamund Pike ,
Musique originale : Arno Pärt, Simon Stockhausen
Production : Michael Tapuach, Laurent Truchot, Amos Gitai
Origine : Isr, Fra, 2004
Durée : 90’

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