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Tchernobyl, le cimetière qui disperse la mort

Publie le mercredi 2 juin 2010 par Open-Publishing
5 commentaires

Tchernobyl, 2007. Des ouvriers de dos en combinaison de protection et casque devant le réacteur n°4 entouré de sa structure de stabilisation. | Photo Hubert Fanthomme

Paris-Match :
24 ans après la catastrophe, le site fait l’objet d’un pillage en règle. Chaque semaine, on y vole 200 tonnes de métal radioactif.

De notre envoyé spécial Bruno Masi - Paris Match
Dans deux ou trois heures, la nuit aura recouvert cette mer de sapins. La centrale et son réacteur n° 4 se dressent à une dizaine de ­kilomètres. Plus loin, c’est Pripyat, la ville fantôme où logeaient les ouvriers du complexe atomique. Dans un périmètre de 30 kilomètres, nul ne doit se risquer sans autorisation. Capots, pièces de moteur et portières rouillées servent de jalons vers la plaine de Razokha, où furent entreposés à la hâte des milliers de véhicules hautement radioactifs. « Les hélicoptères furent les premiers désossés, explique Piotr, un chercheur de métal. On pouvait gagner pas mal d’argent grâce à l’aluminium qu’ils contenaient. » Pour Piotr et ses « confrères », 100 kilos de métal, c’est l’assurance de gagner 90 grivnas (9 euros).

Des cimetières de métaux radioactifs vidés
Dans le tumulte qui a suivi l’explosion du réacteur n° 4 en 1986, les autorités ont pallié le plus pressé : enterrer les villages les plus contaminés et créer çà et là des tombeaux où devaient rester confinées pour des siècles des tonnes de métaux radioactifs. Un quart de siècle plus tard, la plupart de ces cimetières ont été vidés. Sur les 8 millions de tonnes de métal disséminées sur l’ensemble de la zone d’exclusion, il n’en resterait plus que 2 millions, représentant une valeur marchande de 1 milliard de grivnas (100 millions d’euros). Mais l’Agence internationale de l’énergie atomique basée à Vienne, en Autriche, dit « ne pas être au courant ».

Depuis l’indépendance de l’Ukraine en 1991, ce territoire vaste comme l’île de la Réunion est devenu une zone affranchie, avec ses propres règles, ses luttes d’influence, ses trafics. Ville de Tchernobyl, 9 heures du matin : cent vingt personnes sont encore employées au démontage de la centrale stoppée en 2000 ou à la surveillance de la zone. La plupart des immeubles sont à moitié déserts et les maisons cossues laissées à l’abandon. Le port qui borde le fleuve Dniepr est obstrué par des épaves de péniches. A l’exception des bus qui effectuent la liaison avec la centrale ou la sortie de la zone, le trafic est inexistant.

La société DSP Komplex qui, en 1988, a obtenu l’agrément du ministère des Situations d’urgence pour veiller à la sécurité des sites et au contrôle de leur contamination a installé ses locaux dans cette ville condamnée. Son directeur adjoint, Valery Michaelovitch Antropov, nous reçoit dans un bureau au décor suranné, devant une immense carte de la région. DSP Komplex doit recenser tous les lieux où les liquidateurs ont enterré des matériaux radioactifs. Aucun relevé topographique n’a été effectué : 300 points d’enfouissement ne figurent sur aucune carte. Il nous répète : « Nous avons l’aval du ministère des Situations d’urgence et de l’administration de la zone, et nous décontaminons les pièces avant toute exportation. »

Une radioactivité 20 fois supérieure à la norme autorisée
Mais il ne dira rien au sujet de Tchernobyl 2, cette base militaire soviétique ultrasecrète dont les installations auraient déjà été démontées pour être revendues à l’étranger. Les deux radars géants qui servaient à écouter les communications jusqu’en Europe occidentale vont bientôt être découpés, malgré leur importante radioactivité. Antropov refusera également d’ouvrir les portes de Buriakovka, de Lelov et de Razokha, les principaux sites d’enfouissement et de stockage. En revanche, il accepte de montrer le centre de retraitement dans l’enceinte de la centrale, à 200 mètres du réacteur n° 4 où le métal contaminé est trempé dans des bains d’acide. La radioactivité dépasse 400 microrems, plus de 20 fois la norme autorisée. Un enfer terrestre.

Dans une note de 2008, le ministère de la Santé ukrainien reconnaît qu’il ne peut endiguer le commerce du métal et tente de l’encadrer en fixant les normes ­radiométriques de désactivation des déchets. Il suffit de se rendre dans les blocs 5 et 6 pour découvrir le secret le mieux gardé de la zone : à 200 mètres de la cantine, des hommes tentent de nettoyer les turbines des réacteurs. Les poussières s’envolent à travers les vitres cassées. ­Officiellement, la centrale n’a qu’une seule fois mis en vente du métal provenant de ses installations.

Au début des années 2000, 110 tonnes d’Inox ont été commercialisées pour financer l’entretien du sarcophage entourant le réacteur n° 4. Le pouvoir a mis un point d’honneur à signaler l’arrêt du programme. ­Pourtant, demain, les pièces des blocs 5 et 6 auront ­certainement pris la route. En 2007, un chargement de tubes en cuivre et nickel a été intercepté à la sortie de la zone. Sa contamination était 23 fois supérieure aux normes. En mai 2009, 10 tonnes de métal dont le taux de radioactivité dépassait 30 000 microrems (plus de 1 000 fois le seuil autorisé) se sont volatilisées. Dans la nuit du 10 septembre 2009, une cargaison de 25 tonnes non traitées a été saisie par les services secrets ukrainiens : « Pour un chargement stoppé, combien parviennent à passer ? Quand il n’y a pas de neige, ce sont 100 à 200 tonnes de métal qui sortent illégalement chaque semaine », affirme Igor Chtirba, chauffeur d’un des camions arrêtés cette nuit-là.

Sans papiers et sans ressources, les forçats du métal font leur sale besogne
Igor ­attend avec inquiétude le procès dans lequel il doit comparaître à titre de témoin. Originaire de Moldavie, il a rejoint l’Ukraine à la fin de la guerre contre la Transnistrie, en 1992. Sans papiers et sans ressources, il est devenu un « forçat du métal » : « Chaque matin, on nous dépose sur un site et on se met à découper jusqu’à la nuit véhicules, usines, kolkhozes, maisons. Le métal est ensuite chargé dans des camions que nous sortons directement de la zone, soit par des routes secondaires, soit avec l’aval de la milice. Parfois, les chargements dépassent les 7 000 ou 8 000 microrems. Quand on le signale à nos chefs, ils nous disent de la fermer et de continuer à travailler. »

Sur le terrain, ce commerce parallèle revêt de multiples formes. La première consiste à établir des papiers en règle sans faire les frais de la désactivation. Les chargements peuvent ainsi être vendus à moitié prix. Ces petits arrangements, Serguei Lapkin, employé de DSP Komplex depuis quinze ans, les connaît : « Tous les moyens sont bons pour arrondir nos fins de mois », explique-t-il.

Micha*, un entrepreneur étranger installé depuis quinze ans en Ukraine, a consacré une grande partie de ses activités au trafic de métal : « Une autre solution est de disposer le métal radioactif au centre d’une quantité importante de ferraille propre. Ainsi, l’alarme ne se déclenche pas sous le portique de sécurité. Mais la manière la plus fréquente de sortir du métal reste la corruption. » Quatre cent cinquante miliciens sont affectés à la surveillance de la zone interdite. Leur salaire est de 2 500 grivnas par mois (250 euros), à peine plus que le salaire moyen. Tout est possible, du moment qu’on y met le prix : il faut compter 100 dollars par milicien pour qu’un camion de 10 tonnes quitte la zone sans être contrôlé. « En général, il y a deux miliciens par poste de contrôle, plus une personne chargée des mesures radiométriques. Pour 300 dollars, on peut sortir ce que l’on veut », ­raconte Vadim*, un ancien travailleur de la centrale.

Des milliers de tonnes de métal non retraité quittent Tchernobyl
D’avril à novembre, ce sont 4 000 à 5 000 tonnes de métal qui, sans retraitement, quittent ainsi le périmètre de Tchernobyl. Pour aller où ? Il existe 3 000 postes ­légaux de collecte de métal en Ukraine, mais près de 1 200 non répertoriés. Tout autour de la zone, chaque village possède son centre de récupération. Le métal rejoint donc Kiev, où certaines entreprises le transforment en tuyaux ou en matériel de chantier. Mais les plus grands volumes, des centaines de tonnes de métal contaminé par mois, rejoignent le berceau de la métallurgie ukrainienne, à l’est du pays.

Une épaisse fumée recouvre le centre de Dnipropetrovsk, à 500 kilomètres de Kiev. Une quinzaine de conglomérats métallurgiques se sont installés sur les bords du Dniepr. Et, chaque jour, des trains remplis de métaux en provenance de toute l’Ukraine prennent le chemin des fourneaux sidérurgiques.
Vladimir Gontcharenko préside l’Association Vtormet, qui regroupe une centaine d’entreprises métallurgiques. Il mène une lutte implacable contre certains de ces gros industriels. Selon lui, le métal de Tchernobyl infiltre massivement les usines métallurgiques de Dnipropetrovsk ou de Donetsk, l’autre grande cité industrielle du pays. « Aucune loi n’est plus forte que l’argent, dans notre pays, dit-il.

En principe, des contrôles radiologiques doivent être systématiquement opérés à l’entrée des usines. Mais la plupart sont peu équipées en matériel de détection et les mêmes combines se répètent immanquablement. Lorsqu’il arrive ici, le métal est acheté 200 dollars la tonne, deux fois plus qu’à sa sortie de Tchernobyl. Une fois fondu, il est revendu plus du double, soit 450 dollars la tonne. » Aux écologistes et aux scientifiques russes comme aux députés européens qui dénoncent le trafic, l’Ukraine continue à répondre que les rumeurs restent infondées : le métal radioactif peut continuer à rejoindre la Chine, avant de regagner l’Europe sous la forme anodine d’une boîte de conserve ou d’un vélo pour enfants.

* A la demande des intéressés, les prénoms ont été modifiés.

http://www.parismatch.com/Actu-Matc...

Messages

  • Tchernobyl n’a pas fini de faire parler de sa centrale, le pire reste à craindre encore.
    Pourtant je suis glacée d’horreur en lisant cet article, car cet ennemi invisible bouffe la planète entière, au mépris de tout ce qui vit, et tout cela encore dans le seul but de faire du fric.
    C’est à vomir.

  • Et pourtant il y a quelques jours sur ARTE une émission "scientifique" (je dirais de manipulation) nous informait que la vie sauvage revenait à Tchernobyl et que le danger avait pratiquement disparu !!!!!

    • Ce monsieur est du CEA...blabla.
      Petit résumé après bref survol de son site :
       Il navigue entre deux eaux du genre le nuc c’était mieux avant.,"l’histoire du nucléaire", "l’expérience de Tchernobyl" je, je, j’y étais aussi se fait prendre en photo devant la centrale et expose son diplôme comme si c’était un disneyland, Il cite le site de la dame à moto Filatova (file à tout va) qui sillonne la zone en prenant des photos dont on avait parlé l’année dernière, bref que des choses qui font croire aux gens que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes à Tchernobyl, on maitrise la situation, on vie bien avec, c’est du passé, on maitrise la situation "sarkophage" etc...
       Il minimise l’ensemble mais ne réfute pas tout,
       Il cite "le sacrifice" de Tchertkoff et eandreoli mais pas "controverse nucléaire".
      Parle du "le survol de tchernobyl"comme si vous y étiez etc...
       Il parle maintenant qu’il est à la retraite, qu’il ne risque plus rien de l’ouvrir un peu. Passionné par son métier, oublie de retirer complètement ses œillères, c’est un cas typique d’une "élite à la française" droit dans ses bottes, un cas d’école.

      sur http://www.hilliontchernobyl.com/index1.php#tchernobyl

      Il avoue : "*il y a un domaine qui m’intéresse, mais pour lequel je n’ai pas de compétence spéciale : ce sont les conséquences sanitaires du nucléaire et de Tchernobyl en particulier, je n’en parlerai donc pas directement, mais à l’occasion si je trouve un débat ouvert, constructif et qui apporte quelquechose, je m’en ferai l’écho." *il cite independentwho, c’est bien mais vaudrait mieux qu’il cite le CERI, IPPNW ou la CriiRAD directement.
      Et quant au "débat ouvert, constructif et qui apporte quelque chose"
      cela veut surement dire qu’il a le sens de l’humour...

      Concernant les commentaires sur le film d’Arte. (les bestioles ne peuvent pas parler de leur pathologies, les enfants si)

      voir sur :
      http://enfants-tchernobyl-belarus.org/doku.php

      Pour les mutations génétiques, voir le Pr Rosa Goncharova et d’autres noms de scientifiques intègres:On connaît les positions d’un Einstein, d’un Sakharov mais les travaux du professeur Muller dès 1927 , le sont moins ; prix Nobel en 1946, il avait déjà énoncé les conséquences génétiques et donc les conséquences pour les générations futures de la radioactivité. Et les travaux des scientifiques et médecins intègres comme Sternglass, Petkau, Reichelt, Nesterenko, Vohra, Bertell, Bandazhevskaya, Bandajevsky, Bourlakova, Groushevaya, Skouratovskaya, Belbeoch, Yablokov, Goncharova, Kovachenko, Vorontsova, Lazjouk, Gadekar, Kogarko, Pelevina, Kryshanovskaya, Titov, Gres, Gould, Schmitz-Feuerhake, Furitsu, Scherb, Spix, Körblein, Busby, Fernex, Viel, Fauconnier...etc Vous connaissez ? Les conséquences sur l’environnement, la santé, et les droits de la personne oubliés ? Étouffés ?

    • retour sur le document d’art té sur les bestioles de Tcherno
      et réponse de sdn à Foos sur :

      http://energie.lexpansion.com/energie-nucleaire/pourquoi-vouloir-cacher-les-effets-biologiques-de-tchernobyl-_a-32-4538.html

      Pour la dissémination des métaux piratés, c’est jouer sur l’ignorance et la pauvreté, les séquelles peuvent apparaitre 10 à 20 ans après la contamination. Contactez la CRIIRAD pour les mesures au Geger... Ils ont aussi dénoncé depuis longtemps le fait que nos chers compatriotes élus et autres enfoirés veulent refourguer ces salo-prix dans les matériaux de construction et autres biens de consommation courantes.
      C’est ça recyclez, reçyclez, c’est tendance... Ha, connerie quand tu nous tiens.