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Terres bénies-terres bannies : le Viêt Nam et ses terres rares

Publie le mercredi 27 octobre 2010 par Open-Publishing
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de André Bouny

Les richesses du sous-sol ont toujours nourri la convoitise, et donc la guerre. La bataille des terres rares est engagée. Il existe des terres rares légères, moyennes, lourdes (exceptionnelles).

Nos sociétés de services oublient que les « biens » de consommation « lisses et policés » proviennent à l’origine d’un effort humain effectué dans des conditions sanitaires que ne s’imposeront jamais les bêtes, comme sur cette photo de Reuter : mineur (à ciel ouvert) portant un sac de terres rares (Chine).

Il y a 25 ans commença le temps des terres rares, convoitées par des organisations criminelles au même titre que l’opium et le pétrole. Elles contiennent les cérium, dysprosium, erbium, europium (ce dernier est présent dans les échantillons ramenés de la Lune lors du programme Apollo), gadolinium, holmium, lanthane, lutécium, néodyme, praséodyme, prométhéum, samarium, scandium, terbium, thulium, ytterbium, et yttrium.

En tout 17 minerais indispensables, dans l’état actuel des connaissances et des savoir-faire, aux applications des « biens » de haute technologie ; à l’image du tantale (fils de Zeus, signifiant en Grec malheur) très présent dans les téléphones portables et les malheureux mineurs de la République Démocratique du Congo. Un métal qui a vu son prix augmenter de 2000% en un demi-siècle.

Ces métaux que recèlent les terres rares, devenus précieux, sont le secret des hautes technologies civiles et militaires allant des téléphones cellulaires, ordinateurs, écrans plats plasma et LCD, lecteurs de CD et DVD, radiographie, semi-conducteurs, fibre optique, catalyseurs, supraconduction, pile à combustible, laser de guidage, missiles et fusées, verres optiques filtrant les rayons X, appareils de vision nocturne, aux batteries lithium-ion, pots catalytiques, voitures hybrides et électriques, lampes basse consommation, éoliennes (moteurs électriques à aimant permanents)… C’est sans fin. 125 000 tonnes sont extraites chaque année.

Les virtuoses des nouvelles technologies que sont les USA, le Japon, l’Europe, entre autres, se tournaient essentiellement vers la Chine qui fournissait jusqu’ici pratiquement 100% des besoins mondiaux en terres rares, à si bas coût qu’elle était sans concurrent. Mais Beijing voyant ses réserves baisser vertigineusement (en Mongolie intérieure, mine de Baotou) fait désormais rétention puisque ses futurs besoins intérieurs sont loin d’être satisfaits en la matière et que les terres rares sont devenues le vecteur de développement et de puissance stratégique à venir, donc à ne pas brader. Au rythme de la production actuelle, les grandes réserves chinoises ne seraient plus que de 15 ou 20 ans. En outre, la demande mondiale devrait doubler d’ici 5 ans. Alors des mines seront probablement ouvertes dans la précipitation, en Mongolie, Inde, Kazakhstan, risquant aussi de se situer dans des lieux à fortes contraintes environnementales, comme au Labrador.

Et voilà que la terre du Viêt Nam, violée, brûlée, empoisonnée il y a peu de temps par ces mêmes virtuoses des high-tech, renferme des terres rares. Il se pourrait que les victimes vietnamiennes de l’Agent Orange bénéficient soudainement d’un regard intéressé et bienveillant… attention danger. Après l’Agent Orange* (et à l’heure où l’exploitation controversée de mines de bauxite sur les Hauts-Plateaux vietnamiens par des entreprises chinoises provoque une nouvelle atteinte à l’environnement), le Viêt Nam devra s’assurer que la mer émeraude de ses rizières ne devienne pas ce désert brûlé aux acides utilisés pour l’extraction de ces fameux métaux au service des technologies vertes. Plusieurs paradoxes se présentent.

Les terres rares sont donc largement utilisées pour obtenir des métaux de haute pureté permettant de substituer à l’énergie polluante actuelle non renouvelable de nouvelles techniques et moyens de capter des énergies moins polluantes et/ou renouvelables (l’exemple de très gros aimants ultra légers situés dans les têtes d’éoliennes perchées sur des mâts toujours plus hauts est parlant). Or, ces matériaux sont performants grâce à leur grande pureté obtenue par des traitements successifs aux solvants rejetant des concentrés radioactifs, sans qu’existent actuellement des matériaux de substitution ou alternatifs. De plus, ces métaux ne sont pas recyclables facilement, car très souvent contenus dans de très petits composants ou éléments.

Le Viêt Nam a la plus grande potentialité éolienne du Sud-est asiatique avec ses 3 444 km de littoral, sans compter le potentiel énergétique de son ensoleillement exceptionnel. Et voici qu’il recèle des terres rares permettant d’extraire ces métaux indispensables à la construction d’appareils de captation d’énergies renouvelables. Autrement dit, ce pays semble posséder tous les atouts des nouveaux enjeux, comme si la nature avait gardé sous ses pieds une poire pour la soif, lui offrant en quelque sorte une revanche (à la condition que l’extraction se fasse dans des contraintes environnementales strictes sans quoi le fruit pourrait s’avérer empoisonné). Mais si le Viêt Nam a les terres rares, il n’a pas les savoir-faire des hautes technologies. Japon (premier importateur mondial de terres rares) et Corée du Sud manquant de ces précieux matériaux possèdent en revanche ces savoir-faire. Une entente est prévisible pour cette fin octobre.

En septembre 2010, le Viêt Nam a raccordé 5 premières éoliennes (située dans la province de Binh Tuân au centre du pays) au réseau électrique national. L’installation de 7 autres est prévue dans ce parc éolien de Thuy Phong, avec un objectif de 80 pour 2012. Dans un an devrait rentrer en fonctionnement une usine de fabrication et d’installation de turbines éoliennes, issue de technologie et investissement allemands. Ainsi le danger majeur pour le Viêt Nam, qui consisterait à fournir le monde en terres rares et d’en conserver seulement la pollution durable, semble être esquivé. Parions que pour assurer son développement ce pays puisse s’éviter le projet en cours avec la Russie d’une première centrale nucléaire à l’horizon 2020, technologie ô combien dangereuse (plus encore dans un pays aux calamités naturelles extrêmes et récurrentes) et de surcroît obsolète par avance puisque commencera à apparaître alors l’épuisement de son combustible du fait de la multiplication des réacteurs nucléaires de par le monde...

Mais démographie et attente de développement lui en laisseront-elles le temps ?

André Bouny, père adoptif d’enfants vietnamiens, pt du Comité International de Soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange.

* Lire, Agent Orange – Apocalypse Viêt Nam, du même auteur, Éditions Demi-Lune :

http://www.editionsdemilune.com/agent-orange-apocalypse-viet-nam-p-33.html

Messages

  • Le problème est que nous vivons dans un monde fini et que peu tiennent compte de cet axiome incontornable. On va vers l’épuisement de beaucoup de ressource à une vitessse accélérée, disons exponentielle avec les pays émergeants qui en toute logique veulent rejoindre le même niveau de vie que les pays dits évolués.

    De toute façon, que l’on prenne le problème par n’importe quel bout, il y aura une limite à toute croissance, même avec des technologies encore plus performentes.

    Dans le calcul des économistes, les matières premières ne représentent que 5%, mais où l’on s’aperçoit que ces 5% sont la pierre angulaire de nos sociétés et c’est que lorsqu’on les ôte qu’il n’y a plus d’économie...

    Alors, dans les pays développés on organise une baisse continuelle de la croissance, voire à certains moments on créer volontairement de la recession. Mais cela ce fait sur le dos du lampiste, ne serait-il pas mieux que ce soit lui qui gère sa moindre croissance ( que l’on peut appeler alors Décroissance) plutôt que les capitalistes qui ne se serront pas la ceinture mettant de fait le peuple dans la misère.