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Tibet : éviter la dérive émotionnelle
Publie le lundi 31 mars 2008 par Open-Publishing7 commentaires

de Philippakos
A l’heure où toute la presse et les chaînes de télévision prennent fait et cause pour le "combat du peuple tibétain" et contre la "répression sanglante" des autorités chinoises, n’y a-t-il pas lieu, en s’éclairant des événements du passé, de s’interroger sur les prises de position occidentales face aux conflits de ces dernières décennies, en essayant de comprendre la pression que les médias exercent pour influencer les opinions ?
Dans le cas du Tibet nous assistons aujourd’hui à un matraquage de l’information qui semble avoir trouvé là un sujet porteur et n’émet pas le moindre doute quant à la responsabilité de ce que certains appellent même un "génocide culturel". Ce monde journalistique semble en effet aujourd’hui œuvrer vers la simplification en distribuant les rôles : celui du bon et donc aussi celui du méchant. Tout comme George Bush, pourtant tellement moqué, qui évoquait les "forces du mal" pour justifier sa guerre en Irak.
Quand on examine rétrospectivement les événements, il est curieux de constater que, presque chaque fois, les médias occidentaux ont pris une position unilatérale et définitive pour l’un des belligérants. Chaque fois les journalistes sortent de leur rôle qui devrait rester celui d’informer pour se transformer en sorte de justiciers détenteurs de vérités premières. Et pourtant, souvent les héros, une fois détenteurs du pouvoir, déçoivent. Au point même que parfois on en vienne à exprimer des regrets. Cette attitude médiatique se fonde sur un principe simple : à un mal ne peut succéder qu’un bien. Forte de son expérience, l’histoire aurait dû enseigner que le pire est souvent à venir.
Toute l’Europe a soutenu la « juste lutte du peuple nord-vietnamien » face à l’ogre américain. Le régime khmer de Pol Pot avait la sympathie de toute l’intelligentsia française, depuis Sartre jusqu’à Foucault, qui l’exprimait dans les colonnes des journaux de l’époque. Toute la presse a conspué le Shah d’Iran en applaudissant à tout rompre le retour triomphal de l’ayatollah Khomeini. Tous les médias ont pris parti pour le père Aristide contre Duvalier et ses Tontons Macoutes, figures emblématiques de tueurs sanguinaires. Il arrive même que, sans crier gare, les sympathies se retournent : Saddam Hussein a longtemps joué le rôle du bon avant d’endosser celui du diable en 1991, au début de la première guerre du Golfe. Et pourtant le gazage des populations kurdes date de 1988, trois ans avant sa diabolisation. La volte-face fut si rapide que les pilotes des avions Mirage que la France venait de vendre étaient encore en stage de formation dans notre patrie des « droits de l’homme » quand le conflit a éclaté. Quand la vérité est compliquée on ne peut la dire que de manière compliquée (Pierre Bourdieu). Et rendre compte de la complexité paraît aujourd’hui au-dessus des forces médiatiques qui se contentent, le plus souvent, d’une simplification enfantine et manichéenne.
Les années 70 sont le point de départ en même temps du soutien politique à tout crin pour des régimes que l’on croit justes et de la compassion humanitaire relayée par le drame en direct à la télévision. La presse américaine s’attribue la victoire dans sa lutte pour mettre un terme aux opérations vietnamiennes. Ces années coïncident avec la prise de conscience par la télévision de son influence sur l’opinion, par ricochet sur le politique et donc de son immense nouveau pouvoir. C’est à partir de cette époque, en s’appuyant sur une opinion qu’elle a elle-même forgée, que la sphère médiatique se sent investie d’un rôle moral qui consiste à séparer le bien du mal. A partir de cette époque, et en utilisant souvent à son insu les ONG, qu’elle lance des croisades mondiales pour un monde meilleur, c’est-à-dire qui lui ressemble. Ce faisant, elle s’octroie, par assimilation avec les pays où elle agit, un rôle de donneur de leçons comparable à celui de la diplomatie coloniale du XIXème siècle ou encore celui des pères de l’église dans leurs missions évangélisatrices chez les bons sauvages..
Cette emprise des médias sur l’opinion se fait par l’intermédiaire des images présentées comme la seule vérité possible. Les photographies émeuvent et en même temps signent une garantie d’authenticité. Comment, dès lors ne pas résister à la tentation de la mise en scène ? Très vite la dérive devient avérée, l’imposture fréquente. Rony Brauman écrit à propos du Biafra et ses enfants faméliques : A peine inauguré, le témoignage humanitaire rencontrait déjà ses limites dans l’instrumentalisation des images de détresse. Souvenons-nous de la mise en scène de la chute de Ceaucescu présentée comme un soulèvement populaire en direct contre le dictateur, les faux charniers de Timisoara. Plus grave, puisque lourde de conséquences, la diffusion télévisée du témoignage de cette inconnue qui souhaitait garder l’anonymat pour éviter les représailles : elle racontait, la gorge noyée de larmes, un massacre de 319 nourrissons dans un hôpital koweitien qui émut tant que les parlementaires du Congrès, par seulement cinq voix de majorité, donnèrent le feu vert à l’opération « Tempête du désert ». L’opération fit directement et indirectement près d’un million de morts et des centaines de milliers de blessés. Rony Brauman remarque encore : Qui s’est intéressé au sort des civils irakiens pour lesquels nul « corridor de tranquillité », nul « couloir humanitaire » n’a paru nécessaire ? L’inconnue n’était autre que la fille de l’Ambassadeur du Koweit aux Etats Unis qui possédait assurément de grands talents théâtraux. On peut légitimement penser que ce conflit mondial aurait pu tourner différemment si la chaîne avait pris soin de vérifier l’information du massacre des nourrissons.
On en vient aujourd’hui à mesurer les chances d’une opération humanitaire non pas au désarroi de la population concernée mais à sa visibilité. Lu hier encore dans le Monde l’interview du représentant de l’ONU en Somalie : La Somalie est abandonnée par la communauté internationale. Question du journaliste : Avez-vous du mal à mobiliser l’attention sur la Somalie ? En effet, le problème se pose en ces termes. Le soulagement d’un désastre humanitaire est fonction de son écho médiatique. Difficile d’oublier la remarque d’un responsable de l’information d’une chaîne de télévision à propos de cette même Somalie qui déclara un jour : les téléspectateurs sont las de ces drames africains, désespérément semblables à eux-mêmes au fil des années. La bonne conscience médiatique n’a, en revanche, pas été blessée d’assister sans broncher au génocide rwandais qui fit entre 500 000 et un million de morts selon les sources. Il faut dire que le conflit tombait mal et que comme le rapporte Philippe Boisserie, la consigne de la direction de l’information de France 2 était en avril 1994 : Tu fais l’évacuation des Français et puis tu rentres, on n’est pas là-bas pour faire des sujets sur les noirs qui s’entretuent, de toute façon, ça n’intéresse personne.
En revanche aujourd’hui le Tibet paraît intéresser alors que les problèmes datent de 1950. La proximité des Jeux Olympiques rend le suspense à son comble. Boycott, pas boycott, sondages, prises de position, fausse objectivité médiatique : on entend uniquement les athlètes favorables à une action symbolique en faveur des « droits de l’homme » alors que la grande majorité, plus préoccupée de ses performances, reste favorable à la tenue des jeux sans aucune réserve. On fait venir sur les plateaux des acteurs convertis au Bouddhisme qui louent les vertus des moines tibétains. Avant-hier banderole déployée par des exilés tibétains à Paris le front ceint du bandeau pendant une émission de télévision. Hier à Olympie, banderole brandie par trois membres de Reporters sans frontières au départ de la flamme. Un scoop qui fait ce matin plus de bruit que la cérémonie elle-même. Pas d’image du conflit, simplement des plans d’archives qui ne montrent rien d’autre que touristique, parce que, précise-t-on, les reporters sont interdits de Chine… comme ils l’ont été de la Guerre du Golfe, mais qui s’en souvient ? Nombre de morts tibétains fluctuant (une dizaine, plusieurs dizaines, au moins 140, selon les sources), informations incertaines.
Prendre parti implique un minimum de connaissances sur la question. Or que savons-nous au juste d’une révolte menée, semble-t-il, par des religieux qui revendiquent au delà de leur « chef spirituel » le Dalaï Lama ? Que savons-nous d’un gouvernement en exil devant lequel le médiatisé Dalaï a promis de s’effacer mais qu’on n’entend pas, ou à qui personne ne donne la parole ? Que penser de ce saint homme « découvert » à l’âge de trois ans, d’essence quasi-divine et vénéré comme tel, capable de générer une véritable théocratie, système politique aux senteurs d’une autre époque ? L’indépendance du Tibet déboucherait-elle sur un état religieux ? Que savons-nous des problèmes intérieurs de la Chine, ce gigantesque état de 1,3 milliards d’individus qui redoute un éclatement de ses régions ? Que savons-nous du sort réservé aux 1,5 million de Chinois Han (pour 5 millions de Tibétains) résidant au Tibet si l’indépendance était prononcée ? Les indépendantistes dans un conflit ont-ils toujours raison ? N’est-il plus concevable, comme l’ex-Yougoslavie tend à le montrer, de regrouper des populations différentes pour vivre dans un même état ? L’île de Formose, ennemi juré, ne vient-elle pas d’élire un Président favorable au rapprochement avec la Chine ? La réalité du terrain serait-elle plus complexe que le simplisme journalistique voudrait nous le faire croire ?
Il n’est pas ici question de nier le colonialisme chinois au Tibet mais de s’étonner que l’information semble soudain s’en émouvoir et prendre violemment parti en faveur d’une insurrection pour laquelle elle manque cruellement de renseignements. Ou plutôt de constater que la proximité des Jeux Olympiques rend le sujet vendable et que les indépendantistes tibétains savent bien en tirer profit, on ne saurait leur en vouloir. Je citerai, en conclusion, une phrase de René Backman, journaliste au Nouvel Observateur, spécialiste de l’Asie et du Proche Orient : D’approximation en simplification, l’incompétence ajoutant à la manipulation, les médias ont fini par oublier leurs repères et laisser la communication, insidieusement, se substituer à l’information. Quant au Tibet, il serait bon que l’information remplisse enfin son rôle d’aide à la compréhension plutôt que de nous entraîner, en utilisant des moyens contestables, dans des réactions émotionnelles, certes porteuses d’audience, mais sans lendemain.
Messages
1. Tibet : éviter la dérive émotionnelle, 31 mars 2008, 16:19
De tout ce que j’ai pu lire ou voir sur cette crise je déduis :
1-que des commandos "tibétains" ont attaqué les magasins "chinois" de Lhassa. Simultanément, des manifs "spontanées" ont eu lieu en Inde et au Népal où la repression a été plutôt musclée. Par contre, au Tibet, la riposte des "chinois" a été plutôt cool.
2-que le Tibet est encore plus chinois que la Corse est française, à cette différence prés que si les français se foutent de la Corse comme de leur première chemise, les chinois ne veulent pas que leurs "amis" USA s’installent sur leur balcon !
3-que le féodalisme du boudhisme tibétain est particulièrement obscur, ce qui peut s’expliquer par l’isolement séculaire de cette région.
4-que cette obscurité, comme toutes celles qui existent sur la planète, constitue une touche de choix sur le clavier de l’impérialisme US dans sa volonté de garder la haute main sur notre avenir.
5-qu’en France, comme ailleurs, la distance critique par rapport aux médias est loin d’être majoritaire, donc que des progrès colossaux restent à faire pour que le "panurgisme médiatique" devienne enfin négligeable.
CN46400
1. Tibet : éviter la dérive émotionnelle, 31 mars 2008, 18:59
Le 5° point est particulièrement bien vu. Il faut préciser que le panurgisme commence chez les journalistes qui ne font en général que répéter ce qu’ont dit leurs confrères qui le tiennent eux-mêmes de 3 agences de presse et de 2 chaines de TV US.
2. Tibet : éviter la dérive émotionnelle, 31 mars 2008, 20:00, par Copas
Il existe autre chose que de suivre les médias, c’est de se placer toujours du côté des droits des peuples colonisés, du Vietnam au Tibet, de l’Algérie à la Palestine...., ou des peuples en butte à l’impérialisme, Vietnam, peuples d’Irak, Cuba, etc
Ce n’est même pas très compliqué.
Et ce n’est pas exactement la même chose que d’essayer de deviner la position de l’impérialisme américain pour se mettre pile poil à l’opposé. Sinon se retrouve des fois aux côtés des fascistes et des nazis, aux côtés des colonialistes anglais et français quand ils sautaient sur Suez et essuyaient la critique américaine, etc.
Enfourcher la logique des blocs et abandonner le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes n’aide en rien à affaiblir l’impérialisme le plus puissant de la planête mais le fait passer au contraire, pour les peuples en butte à la colonisation, pour des braves gens, un système ami ....
Alors c’est vrai que nous ne sommes plus dans la période d’avant 1964 où la population tibétaine avait diminué. Les répressions sont mesurées, la torture systématique remplace les meurtres méthodiques, la colonisation se construit par un essai d’absorption. Comme ce qui est tenté depuis 40 ans par le colonialisme français en Nouvelle Calédonie (le rapport de population est d’ailleurs similaire). Mais cette absorption est (comme ailleurs en Chine) construite sur le développement du capitalisme contre le développement du socialisme. La place du peuple tibétain là dedans est renvoyée au titre d’une réserve indienne où les hiérarchies religieuses font la loi dans des costumes et des bâtiments bariolés, pendant que l’essentiel des Tibétains est en butte à l’oppression, le mépris.
Mais tout cela est un échec, l’explosion de violence des émeutiers montre le degré de frustration d’un peuple. L’attitude du gouvernement chinois de vouloir contrôler toute enquête indépendante sur ce qui se passe au Tibet montre également l’importance du problème.
Pour que le Tibet reste dans les mêmes frontières que la Chine, d’une façon positive, les pratiques colonialistes et autoritaires doivent cesser.
1. Tibet : éviter la dérive émotionnelle, 31 mars 2008, 22:10
15 jours aprés le début de la crise, chacun, à condition de chercher, sur internet en particulier, peut trouver de quoi éviter les manip les plus grossieres. Et d’abord, quand on est citoyen d’un pays qui a beaucoup colinisé, il est facile de savoir ce qu’est le colonialisme.
En Algérie les policiers était "métro", pas algériens, idem en Indochine et ça dure encore en Nelle Calédonie, mais pas en Corse, ni en Martinique, ni à la Réunion. Or au Tibet les policiers sont majoritairement..... tibétains. Alors colonisation du Tibet, j’attends d’autres démonstrations !
CN46400
2. Tibet : éviter la dérive émotionnelle, 1er avril 2008, 14:00, par Maguy
Tout à fait d’accord avec toi Copas.
Face aux complications réelles ou fabriquées de la politique et des intérêts des blocs divergeants qui utilisent les manipulations diverses les plus perverses, Il existe un fil rouge pour que l’intérêt des peuples prime par dessus tout, et ce fil c’est le droit des peuples colonisés ou en butte à l’impérialisme.
Cesser les pratiques répressives et autoritaires pour être à l’écoute du peuple tibétain est la voie la plus sage à la fois pour la Chine et pour l’émancipation du peuple tibétain trop longtemps sous le joug d’un incroyable régime féodal. Ce ne sont certes pas des pratiques colonialistes et autoritaires qui l’aideront vraiment à se libérer dans le respect de leurs particularités et dans la dignité.
3. Tibet : éviter la dérive émotionnelle, 1er avril 2008, 19:53
1) ’’La torture systématique remplace les meuttres méthodiques’’... C’est bien connu le chinois -perfide- est particulièrement raffiné dans les techniques de torture... ;-)
Ceci dit, quelles sources d’informations pour asséner une telle ’’vérité’’ (rapport d’Amnisty, RSF, CNN, assos pro Dalai Lama, témoignages personnels, on-dits) ?
2) C’est bien connu aussi : ’’Pour que la Corse, la Bretagne, le Pays basque, la Savoie, reste dans les même frontières que la France, les pratiques colonialistes et autoritaires doivent cesser.’’... Et vive la Ligue du Nord en Italie !
Sérieusement, quels seraient les enjeux économiques chinois colonialistes vis-à-vis du Tibet ? (sur-exploitation de ressources minières ? de matières premières ? lesquelles ? réserves de main d’œuvre bon marché ?)
Et quels sont les pratiques colonialistes chinoises vis-à-vis du Tibet ? (infériorité juridique, citoyenne des tibétains par rapport aux Hans ? Impossibilité de droit, ou de fait, pour les tibétains d’accéder aux écoles publiques ? au travail de la terre ou aux petits commerce ? impossibilité de devenir fonctionnaire ou d’accéder à des responsabilité politique au sein du système chinois ?).
Merci de nous apporter ces compléments d’informations.
4. Tibet : éviter la dérive émotionnelle, 1er avril 2008, 22:07, par LOL
Est-ce que vous soutenez le goulag stalinien ou allez vous vous reveiller encore avec la gueule de bois ?
Sincèrement, je préfère, moi aussi, prendre le parti des colonisés. En Palestine comme au Tibet.
Et puis, vous avez vu la timidité du gouvernement : Kouchner : "je veux dire à mes amis chinois...." et leur art de se cacher derrière le mouvement sportif pour intervenir alors que l’on sait quels sont leurs moyens, notamment économiques. Les sarkozy et consort louperont peut être la cérémonie d’ouverture mais comptez sur eux pour la finale du 100m.
Vous avez entendu l’Europe dite des Droits de l’Homme ?Et celles des patrons ?Leur coeur bat rivé sur le CAC 40 et l’ouverture des nouveaux marchés.
Pas besoin de soutenir la Chine pour leur rentrer dans le mou. Et c’est bien plus agréable et juste.