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Todd : Il existe une véritable dérive à droite des dirigeants socialistes.

Publie le lundi 2 juin 2008 par Open-Publishing
14 commentaires

Philippe Cohen : Bertrand Delanoë se prononce en faveur du libéralisme, Pascal Lamy dénonce le protectionnisme. Un virage à droite du PS ?

Emmanuel Todd : Il faut dépasser le cas Delanoë, qui apparaît décidément comme un homme banal. Quand il s’affiche en tant que socialiste libéral, il se pense comme original il croit qu’il a plein d’audace, comme le titre son livre.
Quand Pascal Lamy défend le libre-échange et le capitalisme en général, il croit sans doute être rigoureux et moderne. Mais au-delà de ces perceptions, il existe une véritable dérive à droite des dirigeants socialistes, dérive d’autant plus étonnante qu’elle se produit au moment même où la société leur demande d’effectuer un virage à gauche.
Ce phénomène est mondial : nous venons d’assister au au naufrage de la gauche italienne, avec un leader, Velproni, qui a trouvé judicieux de jeter le doute, en pleine campagne électorale, sur son appartenance à la gauche. En Allemagne, le SPD a préféré pactiser avec la droite, ce qui a fini par entraîner la création et la percée rapide du Linkpartei.

Le phénomène dépasse aussi la classe politique : il est significatif que Delanoë et Lamy qui portent cette dérive droitière ont été accouchés par le directeur de Libération Laurent Joffrin. Quand le Maire de Paris publie un livre, c’est Laurent Joffrin qui l’interviewe et fait la promotion de l’opus. Lorsque Pascal Lamy associe de façon scandaleuse protectionnisme et xénophobie, c’est le même Laurent Joffrin qui choisit, ou en tout cas valide, un titre qui reprend cette association d’idées absurde. Je n’en veux pas plus à Laurent Joffrin qu’à Bertrand Delanoë ou Pascal Lamy, qui sont sincères et consciencieux. Il ne sont que les symptômes d’un phénomène social, politique, pathologique, même. Car il y a quelque chose de frénétique à se droitiser quand toute une société subit une baisse de niveau de vie et une insécurité sociale qui devrait le conduire à gauche.

Philippe Cohen : La gauche est donc en train de suicider ?

Emmanuel Todd : Quand on prend un peu de distance, ce spectacle fait surgir une abondance d’images inattendues, comme celle de rats se bousculant pour s’engouffrer sur le navire coulant du capitalisme. Mais la meilleure métaphore est celle du roman de Pierre Boule dont un excellent film a été tiré, le Pont de la rivière Kwaï, dans lequel le rôle de l’officier anglais est joué par David Niven. Un homme si honnête et scrupuleux qu’il s’acharne avec une sorte de rigueur morbide à servir du mieux qu’il le peut les Japonais dont il est prisonnier. Des socialistes, devenus esclaves du capitalisme le plus dur, nous construisent un Pont de la rivière Kwaï. Un pont qu’il faudra bien faire exploser un jour . Car si la gauche continue d’opposer sa dérive droitière à la demande d’une vraie politique de gauche, ses électeurs se tourneront vers la droite extrême, en attendant l’extrême droite. Les élections de Sarkozy et de Berlusconi ne sont peut-être que le premier moment de ce phénomène. Reste que les réactions des responsables socialistes, leur insensibilité à la société a quelque chose de mystérieux et d’effrayant. C’est même un problème anthropologique, presque religieux : je ne suis pas croyant mais on ne peut que se reposer à cette occasion la question du péché originel.

Philippe Cohen : Est-ce à dire que la réaction de Ségolène Royal est la bonne ?

Emmanuel Todd : Il y a deux acceptions du terme libéral, libéralisme économique et libéralisme politique. Mais dans la mesure ou la revendication managériale était au cœur du livre « De l’audace » de Bertrand Delanoë, le concept de libéralisme est bien associé, d’une manière subliminale chère aux publicitaires, à l’idée d’économie libérale. Bien sûr que Ségolène Royal a raison de critiquer Delanoë. Mais cela ne lui donne ni un programme ni une stratégie. Les socialistes ne s’en tireront pas en dénonçant les erreurs que les uns et les autres commettent. La dénonciation du vide ne produit pas du plein.

http://www.marianne2.fr/E-Todd-Les-socialistes-sont-sur-le-pont-de-la-riviere-Kwai_a87878.html

Messages

  • on ne peut que se reposer à cette occasion la question du péché originel.
    Quel immense universitaire, ce Todd...

    Quels magnifiques politiciens "socialistes" dont la veste est tellement usée qu’ils retourneront bientôt leur pantalon, ces Delanoe, Royal, Lamy..

    Quel beau journal tellement de "gauche", Marianne....

  • En grande partie d’accord, sauf sur l’incise de "péché originel", je vois pas trop le pourquoi, ni l’intérêt.

    Todd se demande pourquoi ?..A mon avis, c’est parce qu’il n’est pas sociologue.
    Les socialos d’en haut sont tous à l’ISF, ou presque. Il vit une vie de riches, la même que celles des bourges lepénistes honteux, genre Sarko, Fillon, Devedj, et autres Hortefeux.

    Quelles valeurs de gauche peuvent résister longtemps à ce mode de vie conjugué à la lutte pour le pouvoir, lutte essentiellement liée au capitalisme, puisqu’elle est basée sur la concurrence et le succés en écrasant sans pitié le voisin ?...

    Soleil Sombre

  • il existe une véritable dérive à droite des dirigeants socialistes, dérive d’autant plus étonnante qu’elle se produit au moment même où la société leur demande d’effectuer un virage à gauche. Ce phénomène est mondial :

    A ne pas vouloir entendre ce que le peuple demande, on peut craindre l’instauration d’une dictature !

    C’est un contre-sens et une insulte aussi que de continuer à dire que le PS est à gauche. Non !

    Au delà des apparences, je me demande ce qui fait courir les hommes politiques, notamment à et vers la droite ? Tout comme ces patrons du cac40, au delà du très bon salaire, c’est carrément le détournement d’argent qui pourtant appartient aux salariés ? Pourquoi mettre toute son intelligence à courir après l’argent, à mettre en difficultés jusqu’à poser le problème de la survie de millions et de millions d’humains, alors que la plus belle des jouissances serait de rendre tous les hommes heureux ?

    Je ne m’explique pas non plus l’acharnement qu’a Parisot et son medef à vouloir exiger que les salariés se tuent au travail, par l’augmentation des cadences, du temps de travail, et de la sortie envisagée à 63,5 ans !

    Il n’y a qu’un psy pour fouiller les profondeurs de l’être qui marche à contre-sens du progrès et nous expliquer cet étrange phénomène de la course effrénée au fric, les choix politiques, économiques n’étant que la face visible d’un problème plus profond ?

  • On n’est pas obligé d’être d’accord sur tout avec Todd pour reconnaitre qu’il porte un regard original et croisé sur les grandes évolutions de notre société.

    Sa profession et sa façon, totalement différente de l’approche classique dans la gauche, l’amène des fois sur des conclusions proches des nôtres. Il n’est pas anodin de savoir qu’un autre système d’observation trouve des résultats comparables par certains aspects.

    Sur le virage libéral du PS (le sens politique anglo-saxon du terme est brandi par Delanoé pour camoufler l’alignement sur le sens économique du terme) il fait mouche.

    Le PS est devenu un parti de droite. Car nous pouvons y rajouter (ce que ne fait pas Todd) une analyse sur la classification des partis que plus d’un siècle de batailles politiques nous a légué. Du moins lui il classe à sa façon et les révolutionnaires à la leur (la relation avec les classes est déterminante pour les gros partis).

    ....../.......Car il y a quelque chose de frénétique à se droitiser quand toute une société subit une baisse de niveau de vie et une insécurité sociale qui devrait le conduire à gauche.

    Philippe Cohen : La gauche est donc en train de suicider ?

    Emmanuel Todd : Quand on prend un peu de distance, ce spectacle fait surgir une abondance d’images inattendues, comme celle de rats se bousculant pour s’engouffrer sur le navire coulant du capitalisme...../......

    Pas mieux, du moins le PS, en tant que parti de gauche, s’est suicidé , il est sur le terrain des partis de la bourgeoisie (même si il incarne une tendance paraissant moins agressive pour les travailleurs).

    Le positionnement, à contre, de Royal, fait rire par le creux du discours. Pas crédible, elle n’arrive pas à se distinguer de l’ultra-libéralisme du capitalisme mondial. Car elle n’en a ni la volonté, ni les outils d’analyse, ni les propositions adéquates .

    C’est au PCF, au NPA, à LO, aux alters, de se cogner de représenter la "gauche" ou du moins (préférable) une opposition résolue au capitalisme , à ses attaques concrètes et d’élaborer en même temps un projet séduisant de société et une stratégie valable pour y aller.

    En attendant, la ligne de front est bien dans la lutte concrète contre le capitalisme, pour délimiter entre ce qui a une chance d’être de gauche et ceux qui sont passés du côté capitaliste ....

    Et le PS ne fait même pas le service minimum là dessus...

    • C’est au PCF, au NPA, à LO, aux alters, de se cogner de représenter la "gauche" ou du moins (préférable) une opposition résolue au capitalisme , à ses attaques concrètes et d’élaborer en même temps un projet séduisant de société et une stratégie valable pour y aller.

      Oui c’est ça : un projet séduisant de société, avant-gardiste même, et une stratégie valable, qui tienne la route et sécurise les citoyens contre la folie d’une minorité. Parce qu’enfin, il faudra bien se pencher sur cette anomalie qu’a une poignée d’hommes à vouloir esclavagiser la majorité à leur seul profit. Ringardiser tous ces mafieux de la finance, c’est le minimum qu’on puisse faire, parce que courir toute une vie durant après l’argent et surtout celui des autres, pour quel résultat au final, si c’est pour pas embarquer toutes ses richesses de l’autre côté du rideau (mort) ? Si c’est pas être un peu fêlé, et ringard c’est quoi alors ?

  • "il faudra bien se pencher sur cette anomalie qu’a une poignée d’hommes à vouloir esclavagiser la majorité à leur seul profit." Se pencher le plus vite possible...........

  • Keynes, économiste capitaliste qui passe aujourd’hui pour un gauchiste révolutionnaire avait tout compris :
    A long terme ? Nous serons tous morts !

    Les anciens, inventeurs du mythe de Cassandre, avaient, bien avant lui, tout compris : Les hommes préférent aller à toute vitesse droit dans le mur plutôt que d’admettre qu’ils y vont quand ont les avertis un peu (ou même beaucoup) à l’avance.

    BRUTUS

  • Je suis en total désaccord avec cet article : l’officier anglais du Pont de la Rivière Kwai c’est pas David Niven mais ALEC GUINESS !!!

  • QUEL SCOOP !
    TODD est toujours en retard de plusieurs trains, et a vraiment l’art d’enfoncer des fenêtres grandes ouvertes !!!
    Très difficile de comprendre sa notoriété !