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Troubles sociaux en Russie

Publie le jeudi 16 juillet 2009 par Open-Publishing

Sur fond de récession, la Russie guettée par les troubles sociaux

Pour la première fois en dix ans, la Russie affiche une croissance négative. Selon des chiffres publiés lundi 13 juillet, le produit intérieur brut (PIB) devrait chuter de 10,2 % au premier semestre et de 6,8 % au second avant qu’une légère reprise de l’économie ne s’esquisse en 2010. Au second semestre, la production industrielle devrait baisser de 9,8 %. Dans un tel contexte de récession, la société de conseil Eurasia Group juge que les troubles sociaux sont inévitables. Déjà de multiples conflits se manifestent.

A LIRE AUSSI Analyse Un droit citoyen nouveau dans la Constitution, à l’accès limité, par Patrick Roger A Pikaliovo (région de Saint-Pétersbourg), les ouvriers, privés de travail après la fermeture des trois cimenteries de la ville, réclamaient depuis des mois le versement de leurs indemnités, en vain. Ulcérés, les chômeurs et leurs familles ont bloqué, début juin, la grand-route, causant un bouchon de 400 kilomètres. Découragée par la présence de femmes et d’enfants, la police a refusé d’intervenir. Les manifestants en étaient sûrs, le premier ministre, Vladimir Poutine, en déplacement dans la région, allait passer par là.

Deux jours plus tard, l’hélicoptère de M. Poutine se posait enfin à Pikaliovo. Le chef du gouvernement s’est dirigé au pas de charge vers l’entreprise Basel-Tsement, "une vraie poubelle", a-t-il asséné. Les patrons des trois usines, présents, ont été tancés pour leur "manque de professionnalisme", leur "cupidité". Il fallait voir l’oligarque Oleg Deripaska, le propriétaire de la "poubelle", cachant son visage dans ses mains. Les télévisions ont montré cette image à l’envi. Le public a apprécié.

Décrit en 2008 comme "l’homme le plus riche" de Russie, ce proche du Kremlin est désormais le plus endetté des patrons russes. Pas question de laisser tomber cette vitrine de la "Russie prospère", présente dans la métallurgie, le bâtiment, la construction automobile, la pâte à papier et, qui plus est, liée à la famille du défunt président Eltsine.

Au début de la crise, l’Etat lui a accordé un crédit de 4,5 milliards de dollars. Lors de sa visite, M. Poutine, dit "VVP" (traduction en russe de PIB), a tout réglé avec un chèque de 34,5 millions d’euros de la Vnechtorgbank. Les comptes des trois usines ont été crédités, les arriérés de salaire ont été réglés. "VVP" est reparti sous les applaudissements.

L’exemple de Pikaliovo, soulignent certains sociologues russes, pourrait faire des émules dans toute la Fédération. Selon le ministère des régions, l’humeur est à la grogne : en avril 2009, 42 000 personnes ont pris part à des actions de protestation, contre 13 000 en décembre 2008. D’autres rejettent un tel scénario. Le peuple russe, peu organisé, réputé endurant et passif, n’est guère vindicatif. La situation est alarmante dans les villes mono-industrielles, héritées de l’époque soviétique, quand une usine, un combinat, une mine, donne du travail à toute la population. Avec la crise, des centaines d’usines stagnent.

A Svetlogorie, dans l’Extrême-Orient russe, la fermeture de la mine de tungstène a laissé 227 familles sans ressources et dans l’incapacité d’être entendues car il n’y a ni grand-route ni voie ferrée à proximité. Le propriétaire de la mine - enregistrée aux Seychelles - reste introuvable. En revanche, à Baïkalsk (Sibérie), les ouvriers de l’usine de cellulose ont menacé de bloquer le passage du Transsibérien. A Zlatooust (région de Moscou), des métallos ont fait une grève de la faim. Selon l’Institut de la politique régionale, la Russie compte 460 "mono-villes", soit 40 % de toutes ses agglomérations urbaines, 25 % de sa population totale et 40 % de son PIB. "Ces villes sont un casse-tête pour la politique sociale de l’Etat. Il est possible de secourir une ville, peut-être quinze, mais ensuite, que fait-on ?", interroge l’analyste Igor Bounine, directeur du Centre des technologies politiques à Moscou.

Doté de la troisième réserve de devises au monde (290 milliards d’euros), l’Etat russe a les moyens de payer. En tout, selon Rosstat, l’office des statistiques, les arriérés de salaire se chiffrent à 202 millions d’euros. Contrairement à la situation qui prévalait au moment de la crise économique de 1998, quand l’Etat était pauvre et les oligarques riches, aujourd’hui, c’est l’inverse. Dans ce contexte, la nationalisation des entreprises en difficulté est envisagée.

Les troubles sociaux pourraient contraindre les "politiciens libéraux", associés au président, Dmitri Medvedev, à céder la main aux "étatistes", proches de M. Poutine. La gestion des "étatistes" est pourtant loin d’être exemplaire. L’un d’eux, Viktor Tchemezov, un ancien responsable du KGB (services de sécurité) qui dirige la corporation d’Etat Rostechnologie, a fait des pieds et des mains pour absorber dans son chaebol 500 entreprises du secteur industriel et militaire. La plupart sont endettées et produisent à perte malgré un soutien important de l’Etat. Le secteur militaro-industriel est l’un des plus touchés par les arriérés de salaire.

En venant à Pikaliovo, M. Poutine a renforcé sa réputation d’homme providentiel, mais il a aussi ouvert la boîte de Pandore. "Le message envoyé aux autres territoires en crise est le suivant : vous êtes mécontents ? Vous avez faim ? La mutinerie est la solution", s’est alarmé récemment le quotidien Moskovski Komsomolets. (Le Monde 15.07.2009)