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Tunisie, quels enseignements pour le prolétariat
Publie le mardi 25 janvier 2011 par Open-Publishing6 commentaires
Le mode de production capitaliste, comme le démontrent ses crises à répétition, est incapable d’assurer de manière durable ne serait-ce qu’une vie décente à la classe productive moderne, le prolétariat, ni aux classes moyennes qu’il entraîne dans sa crise. Les effondrements économiques à l’échelle de pays ou régions du monde ont déjà eu lieu, d’autres plus graves encore, sont à venir, au cœur même des métropoles capitalistes. Dans ces circonstances, l’exemple tunisien est l’un des premiers épisodes des combats décisifs que le prolétariat mondial aura à mener.
Avec ce courage inouï qui fait les révolutions, les prolétaires tunisiens (ainsi que les classes moyennes paupérisées, étudiants déclassés, etc.) se sont affrontés au pouvoir armés de pierres et de bâtons, face à une police bestiale et à la complicité de l’ensemble des capitales arabes et occidentales et de l’état français, ancienne tutelle coloniale, en particulier.
Les effets de la crise internationale, la hausse devenue insupportable des matières de première nécessité, le chômage endémique très élevé (et que l’on retrouve dans tout le Maghreb) sont autant de facteurs qui poussent nécessairement le prolétariat à se mobiliser pour défendre ses intérêts de classe. Comme en Argentine en 2001, c’est la rue qui joue un rôle décisif dans le départ des dirigeants au pouvoir.
Contrairement aux « émeutes de la faim » des années 1980, la révolution tunisienne est l’un des premiers événements d’après la crise de 2008-2009 qui s’attaque directement au pouvoir politique et dont une des conséquences pourrait être l’apparition d’une république démocratique. Celle-ci est « l’ultime champ de bataille » (Engels) sur lequel doit se dérouler le combat décisif entre la bourgeoisie et le prolétariat.
Au cœur de la Méditerranée, c’est un exemple qui terrorise non seulement tous les gouvernements du monde arabe (qui ont connu de remarquables mouvements de solidarité, comme en Algérie ou en Jordanie), mais au-delà tous les états qui ont engagé avec leur propre prolétariat, un bras de fer pour faire baisser les salaires et démanteler les systèmes de protection sociale (Espagne, Grèce, France, Portugal, Royaume-Uni… au sein desquels se sont produits ces derniers mois de puissants mouvements de protestation).
Dans les premiers jours qui ont suivi la chute de la tête du régime (le reste de l’appareil restant encore aux commandes, notamment avec la farce d’un gouvernement qui a maintenu aux postes-clés les anciens ministres), les prolétaires tunisiens ont commencé à s’organiser en comités de quartier, à pourchasser les mercenaires de l’ancien régime. Dans la situation de pénurie où se trouve une grande partie de la population, et face à la mascarade électorale qui s’annonce, la voie à suivre est celle d’un renforcement de ces comités, afin qu’ils puissent prendre en charge la distribution des biens de première nécessité, organiser la production là où c’est possible, profiter de la fuite des propriétaires pour s’approprier les instruments de production, s’organiser militairement contre les exactions d’où qu’elles viennent. La continuation des manifestations, après la fuite de Ben Ali, et leur tournure de plus en plus sociale est un signe montrant que le cycle ouvert en décembre est loin d’être terminé.
Le prolétariat tunisien, hier encore muselé et brutalement réprimé, doit mettre à profit la situation qu’il a contribué à créer, et notamment l’obtention des libertés d’opinion et d’organisation pour pousser encore plus loin sa mobilisation et notamment travailler à fonder un parti prolétaire indépendant (communiste) capable de diriger la lutte.
En 1974, le peuple Grec a chassé la junte des colonels installée au pouvoir par un coup d’état depuis 1967. Trente-cinq ans après, alors que la corruption et le népotisme ont accompagné la démocratie depuis son retour, un gouvernement « socialiste » inflige au prolétariat grec l’une des pires cures d’austérité prises en Europe depuis la dernière crise.
Voilà ce qui attend le prolétariat tunisien, malgré toutes les ouvertures démocratiques rendues possibles aujourd’hui. Et, comme le montre toute l’histoire du mouvement ouvrier, plus sa mobilisation sera grande, plus il fera valoir de manière autonome ses propres intérêts de classe, plus il exercera un exemple sur ses frères de classe, au Maghreb et dans le monde, et plus il sera lui-même en butte à la répression du pouvoir républicain, qui révélera ainsi sa véritable nature de classe.
" Et pour les prolétaires qui se laissent abuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plantations d’arbres de la liberté, par des phrases sonores d’avocats, il y aura de l’eau bénite d’abord, des injures ensuite, enfin de la mitraille, de la misère toujours". (Auguste Blanqui, 1850)
Robin Goodfellow- 22 Janvier 2011 www.robingoodfellow.info - robin.goodfellow@robingoodfellow.info
Messages
1. Tunisie, quels enseignements pour le prolétariat, 25 janvier 2011, 23:39, par Copas
Ce sont bien les enjeux de la révolution tunisienne, chaque jour confrontée à des bifurcations possibles...
les prolétaires tunisiens ont apporté un éclairage significatif à tous les pays méditerranéens du nord, du sud, de l’est.
le prolétariat sur-puissant numériquement vient enfin d’apparaitre comme classe sur la scène de la bataille de pouvoir dans cet espace historique multi-millénaire méditerranéen.
Le processus est fragile, chaque jour peut montrer un retournement autour des morceaux d’appareil d’état encore fonctionnels .
Mais quel exemple :
Un détail que je ne partage pas, c’est là (en gras) :
les étudiants déclassés font partie intégrante du prolétariat urbain moderne. Quand aux classes moyennes elles sont une invention médiatique et correspondent plus à ce qu’on pourrait appeler la petite-bourgeoisie qui est pour l’instant aimantée pour l’essentiel dans le combat du prolétariat tunisien.
2. Tunisie, quels enseignements pour le prolétariat, 26 janvier 2011, 08:34
ce que nous avons appris depuis le 22 janvier :
dans un certain nombre de villes et de villages, en nombre indeterminé, les organes de pouvoir locaux, commissariats et mairies ont été brulés et donc detruits, privant le pouvoir central de relais locaux vitaux...
3. Tunisie, quels enseignements pour le prolétariat, 26 janvier 2011, 09:44
Tunisie : les travailleurs sont au centre du combat et sont la clef du succès
Ben Ali est parti mais rien n’est réglé : ni la question sociale ni la situation politique. L’écart entre les aspirations des masses et les manœuvres des classes dirigeantes est grandissant...
Il n’y aura pas de vraie solution sans l’auto-organisation des travailleurs, leur armement contre les milices du régime, le combat pour en finir avec la tutelle de l’impérialisme français, l’expropriation des grands groupes capitalistes, la reconstruction d’une économie au service des besoins du peuple.
Cela passe par la formation de comités partout, dans les entreprises, les quartiers, les écoles, les universités, les casernes...
A l’évidence, la satisfaction de ces revendications politiques et économiques implique une rupture totale avec le système de la dictature qui a mis le pays en coupe réglée. Ce n’est certainement pas le chemin que va prendre le gouvernement d’union nationale constitué pour confisquer la victoire aux masses et conserver tout le pouvoir aux mains de la bourgeoisie. Le prolétariat, la jeunesse, les masses tunisiennes ne peuvent donc compter que sur leurs propres forces, en écartant du chemin tous ceux qui prétendent parler en leurs noms, mais collaborent avec les plus fidèles partisans de Ben Ali. La force du prolétariat, de la jeunesse et des masses tunisiennes est considérable, ultra-majoritaire dans la société, pour peu qu’elle soit organisée. Mais dans quelle direction aller ?
D’abord, fédérer les comités de vigilance qui se sont spontanément constitués pour protéger les quartiers des exactions des milices du régime,
constituer des comités de villes avec des délégués de chaque comité,
constituer des comités d’usines, d’universités etc. sur le même modèle,
appeler à la constitution de comités de soldats indépendants de la hiérarchie militaire,
rassembler toutes ces forces au plan national dans un conseil central des délégués de tous les comités sur le programme des revendications définies par les masses tunisiennes elles-mêmes.
La constitution d’un gouvernement des travailleurs formé à partir de ces comités et appuyé sur eux pour appliquer résolument le programme voulu par les masses devient alors un objectif immédiat.
Loin d’être finie, la révolution ne fait que commencer. En effet, si Ben Ali a du s’enfuir, le système Ben Ali, l’Etat Ben Ali ne sont pas démantelés. Même si certains sont en fuite, tortionnaires et profiteurs n’ont pas disparu comme par enchantement ! Et surtout l’appareil politique de la dictature manœuvre aujourd’hui pour sauver l’essentiel du régime, les privilèges et l’impunité pour le plus grand nombre.......
http://www.matierevolution.fr/spip.php?breve398
1. Tunisie, quels enseignements pour le prolétariat, 27 janvier 2011, 01:09, par Copas
et l’UGTT qui est en tête d’énormes manifs et dont les siège ont été attaqués par les nervis du régimes dans plusieurs villes, seule organisation de masse des travailleurs, t’en fait quoi ?
Tu la fais disparaitre par l’imposition des mains ?
Les phénomènes de radicalisation pour l’instant se situent essentiellement sous structuration de la gauche de l’UGTT
La région de Sfax est en grève avec l’UGTT.
Pour l’instant toute logique qui cherche à l’ignorer et la contourner est une erreur.
De même la réponse actuelle, maintenant, est bien un gouvernement de l’UGTT pour la satisfaction des intérêts des travailleurs. La vacance du pouvoir va être remplie par la réaction si ça traine encore.
2. Tunisie, quels enseignements pour le prolétariat, 29 janvier 2011, 10:09
Sur l’UGTT tu peux lire les contribution du site :
Matière et révolution, qui sont édifiantes
http://www.matierevolution.fr/spip.php?article1870#forum5816
Robin Goodfellow
4. Tunisie, quels enseignements pour le prolétariat, 27 janvier 2011, 10:25
Les 2 propositions ne sont pas contradictoires mais complementaires :
par Fathi Chamkhi
Chers ami-e-s,
Voici la situation politique en Tunisie le mardi 25 janvier 2011 à 17h30
Coté contre révolution
1. Des milices du RCD ont attaqué hier les sièges de l’UGTT de Gafsa et de Sousse.
Aujourd’hui, ce fut le tour de celui du Kef, notamment.
2. Des pro gouvernementaux ont organisé des petits rassemblements, pour réclamer le retour au travail, contre, je cite ‘la paresse’ et pour dire non au ‘désordre’…
3. Le GUN hésite à annoncer le remaniement qu’il a annoncé pour hier, puis pour aujourd’hui… Il semblerait que le bâtonnier de l’ordre des avocats Kilani ait demandé au GUN de patienter afin de voir ce que vont donner les pourparlers qui se déroulent sous l’égide de l’UGTT.
Coté révolution
1. Poursuite des grèves pour exiger la dissolution du ‘Gouvernement d’unité nationale’ (GUN) et le RCD et pour la constitution d’un ‘gouvernement provisoire’ représentatif de la révolution :
– Grève générale régionale dans 5 gouvernorats (départements) dont Sfax, deuxième ville de Tunisie.
– Demain, Sidi Bouzid sera en grève générale
– Demain aussi, grève générale nationale dans l’enseignement secondaire.
2. Manifs :
Les manifs continuent un peu partout. A Tunis, le palais du 1er ministre est toujours en état de siège. Des tentes, représentant diverses villes révolutionnaires, sont plantées par les participants, des ‘caravanes de la liberté’ dans la place d’El Kasba, siège du 1er ministre. En outre, l’approvisionnement, de ces milliers de manifestants, qui ont déjà passé 3 nuits à la belle étoile avec une température minimale de 8°, est assuré par une multitude de citoyens qui n’ont pas cessé de faire le va-et-vient pour pourvoir aux besoins vitaux de ce campement en eau et en nourriture. Il constitue, tout le monde l’a bien compris, la garde révolutionnaire des acquis de la révolution. Certains citoyens font même des dizaines de km pour leur apporter des provisions sous forme de packs de laits ou/et de packs d’eau, de sandwichs, de plats cuisinés bien chauds, de jus, de café…
3. Sur le plan du gouvernement de la révolution :
La réunion d’aujourd’hui, des différentes composantes politiques et civiles et professionnelles, hors patronat et RCD, ont abouti à deux positions :
ü Celle de l’ordre des avocats, avec semble-t-il une recomposition du GUN avec maintien de Ghannouchi. Il semble aussi que le GUN, est prêt à de nouvelles concessions et souhaiterait, selon des bruits ‘des sources bien informées’ en plus de Ghannouchi les deux ministres actuel de l’industrie (Jouini) et Chelbi (ministre ?)
ü Une deuxième proposition, a été formulée, à propos de laquelle j’ai beaucoup plus de détails parce que j’en fais partie, et qui émane du ‘Front du 14 janvier’ qui est constitué des diverses constituantes de la gauche radicale et des nationalistes, en résumé cette proposition propose :
– La convocation d’un ‘congrès national pour la défense de la révolution’, qui sera composé de toutes les sensibilités politiques, les associations, les corps professionnels (avocats, juges, médecins, journalistes, artistes…), des représentants des comités locaux et régionaux de défense de la révolution, des personnalités indépendantes, sans le patronat ni le RCD et les ex membres du gvt Ben Ali.
– La reconnaissance du président par intérim en tant que ‘garant de la continuité de l’Etat’ mais aussi ‘source de légitimité pour le gouvernement de transition’ !!!!
– Dissolution du GUN
– Constitution d’un Gvt provisoire
– Principe de souveraineté populaire
– Assemblée constituante…
La Commission administrative de l’UGTT va se réunir demain pour étudier les deux propositions, et afin de réagir par rapport à la campagne anti-UGTT, notamment, les agressions des milices RCD contre certains de ses locaux régionaux.
Toutes les composantes se sont donné de nouveau un rendez-vous pour jeudi 28 janvier afin de tenter de sortir avec une position unitaire.
Fathi Chamkhi
http://www.cadtm.org/Au-40eme-jour-de-la-revolution